Les médiateurs de presse en France - yves agnes





C’est le Washington Post qui, en 1970, a inauguré la formule d’un journaliste chargé des relations entre le journal et ses lecteurs, d’entendre les griefs de ceux-ci, de rédiger des notes internes et de publier une chronique en toute liberté d’expression.
La fonction de médiateur de presse (ou d’ombudsman selon la dénomination suédoise reprise dans le monde anglo-saxon) est récente en France : elle débute au Monde en
1994, voulue par son nouveau directeur Jean-Marie Colombani, qui la confie à André Laurens, ancien directeur (1982-1984) et encore salarié du journal à l’époque. Le quotidien du soir s’était posé la question dès la fin des années 1980, alors qu’existait déjà un « défenseur » au quotidien madrilène El Pais. Aucun autre quotidien national français n’a de médiateur. Le poste de médiateur créé en 1999 à l’hebdomadaire La Vie a été supprimé quatre ans plus tard.
L’audiovisuel public a emboîté le pas au Monde à partir de 1998. Le premier à s’y intéresser a été l’ancien directeur de l’information de France2, Albert du Roy, auteur du Serment de Théophraste, aiguillonné par un souhait du ministre de la Culture et de la Communication de l’époque, Catherine Trautmann. Aujourd’hui, seules parmi les chaînes publiques importantes, France5 et Arte n’ont pas de médiateur.
La troisième catégorie de médias concernés par la médiation est la presse quotidienne régionale. Au début des années 1990, la NRCO crée une page quotidienne « d’interactivité » avec les lecteurs, où un journaliste se fait le défenseur des lecteurs qui lui soumettent leurs déboires en tant que consommateurs, usagers des administrations, etc. Quelques années plus tard, les papiers publiés dans cette page ont trait aussi, de façon irrégulière, aux critiques des lecteurs sur le traitement dans le journal de l’actualité nationale et internationale. À la fin des années 1990, Le Progrès (Lyon) a eu un médiateur, voie de garage semble-t-il pour un proche de l’ancienne direction ; le poste a été supprimé après le départ de celle-ci. Le fait nouveau est la création récente (2001, 2004, 2006) de trois nouveaux postes de médiation en PQR, certains autres titres s’étant posé la question d’une telle innovation pendant cette période (notamment L’Alsace et Ouest-France).
On peut avancer une motivation générale, commune aux différents médias : ceux-ci ont besoin de renforcer le lien avec le public, de plus

en plus critique, et dont nos interlocuteurs soulignent presque toujours la pertinence. La Charte de déontologie de RFI, qui définit la fonction de médiateur pour cette entreprise, estime ainsi avec justesse que « sa raison d’être est de conforter la crédibilité » du média. Des journalistes trop souvent négligents, « parfois trop éloignés de leur public », une hiérarchie rédactionnelle trop souvent faible, des lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs insatisfaits et qui le font savoir aussi en désertant… La médiation doit être analysée comme une réponse stratégique à une perte d’influence, et pas seulement comme partie prenante d’une conception
« citoyenne » de l’information. Il faut aussi faire une part, au niveau des directions, à la judiciarisation de la société : le médiateur constitue un filtre avant le droit de réponse et les procédures devant les tribunaux (voir dans le même esprit le travail de Magali Prodhomme sur les chartes déontologiques2).


Un statut hors normes

La fonction de médiateur présente de nombreuses caractéristiques communes. Quelques aspects sont particulièrement importants.

La volonté patronale

Sans la volonté au sommet de l’entreprise (Jean-Marie Colombani au Monde, Jean-Michel Baylet à La Dépêche, Patrick de Carolis à France Télévisions, Antoine Rousteau à Paris-Normandie, etc.), rien n’est possible. La hiérarchie rédactionnelle se cabre et met des bâtons dans les roues. Après le passage de Jean-Claude Allanic à France 2 – il avait été assez loin dans ses critiques – un débat tendu a eu lieu sur le maintien ou non de l’émission hebdomadaire et même du médiateur. C’est le nouveau PDG, Patrick de Carolis, qui a maintenu l’une et l’autre ; il a demandé en même temps à RFO de relancer la fonction, avec une présence sur les antennes. Les rapports avec la haute hiérarchie rédactionnelle sont sans doute les plus difficiles. À France 2 encore, les plus grosses difficultés ont été enregistrées avec un directeur de la rédaction (Olivier Mazerolle) et des présentateurs vedettes (Claude Sérillon, David Pujadas, Béatrice Schönberg, etc.). Au Monde, Edwy Plenel a violemment critiqué le travail du médiateur, provoquant une prise de position publique de celui-ci à l’assemblée générale de la Société des rédacteurs. À La Vie, problèmes aussi avec un rédacteur en chef, puis avec le nouveau directeur de la rédaction, peu favorable à la fonction et intervenant sur les chroniques

du médiateur, obtenant finalement la suppression de la fonction. À La Dépêche, difficultés au part avec les directeurs départementaux, jaloux de leurs prérogatives…

L’importance du statut

Une charte, ou à tout le moins une définition officielle du rôle du médiateur, ne sont pas toujours adoptées. C’est pourtant la garantie de la clarté par rapport au public et surtout par rapport à la rédaction. C’est aussi la garantie d’une pérennité de la fonction : un statut officiel sera parfois établi en concertation avec la rédaction, avec l’appui formel ou informel des syndicats et/ou  de la société des journalistes, et avec l’assentiment de l’actionnaire. Le point le plus important est que l’indépendance du médiateur soit totale : il doit être hors hiérarchie, il n’a de comptes à rendre à personne sur ses interventions publiques (chroniques, émissions, etc.) ou internes (discussions, réunions, contacts individuels, etc.), pas même au patron, qu’il informe parfois en cas de problème qu’il doit connaître. C’est presque toujours le cas et ce qui fonde la crédibilité de la fonction. C’est d’autant plus nécessaire que les médiateurs sont rémunérés par les entreprises et que presque tous font partie des effectifs de la rédaction.

La personnalité du médiateur

Le médiateur façonne son poste (c’est une fonction jeune, voire nouvelle). Il dépend beaucoup de la personnalité du titulaire. Les médiateurs sont toujours des journalistes chevronnés, venant de la hiérarchie et même de la haute hiérarchie rédactionnelle, ayant assumé plusieurs fonctions dans l’entreprise (une exception : RFI, dont l’ancien et le nouveau médiateurs sont des retraités très impliqués dans la profession et extérieurs à l’entreprise). Ils mettent en avant leur parcours, souvent exemplaire, synonyme d’autorité, de respect et de crédibilité dans les rédactions. Selon la personnalité de chacun, toutefois, la médiation est plus ou moins incisive, la rédaction plus ou moins ménagée, l’activité du médiateur plus ou moins intense. Chaque médiateur use plus ou moins largement de son indépendance. Entre la chronique du premier médiateur du Monde, André Laurens, et celle de l’actuel, il y a un monde
! Le premier médiateur de Radio France, Philippe Labarde (extérieur, venant du CSA après une carrière en presse écrite), n’a pas réussi dans la fonction. Il y faut en effet une grande implication personnelle pour qu’elle soit efficace, même si elle est exercée à temps partiel.

Un poste difficile et à risque

C’est ce que ressentent les médiateurs. Pour plusieurs raisons. D’abord, on reçoit en permanence (surtout à France 2 et au Monde) le flot des critiques. Le nouveau médiateur de France 2 a eu une période de doute, de découragement pendant les premières semaines. Ensuite, parce qu’on prend des coups, on subit des tensions, on se fait mal voir des confrères, dont certains peuvent être agressifs, on se heurte à la hiérarchie de la rédaction. « J’ai failli démissionner plusieurs fois, constatant que personne ne m’écoutait, que je ne servais à rien », avoue l’un d’eux. Thomas Ferenczi, le deuxième médiateur du Monde, estime qu’il ne faut pas exercer plus de deux ans à cause de ces tensions. Enfin, on est isolé, solitaire car la fonction le veut (les médiateurs de France 2 et France 3, ainsi que celui des programmes de France Télévisions et le chargé de la charte des antennes, premier médiateur dans le service public, sont regroupés dans des bureaux proches et se serrent les coudes). Comme on dépend du bon vouloir du patron, lequel peut décider de supprimer la fonction (on l’a vu à La Vie), la position est inconfortable. Il faut un caractère bien trempé et une capacité de distanciation.

L’ancrage public est fondamental

Ce qui fonde la crédibilité et l’efficacité du poste est sa visibilité pour les lecteurs comme pour la rédaction. La chronique ou l’émission régulière sont capitales. Non seulement cette visibilité rend accessible au public la médiation (en un an, Patrick Pépin, médiateur à Radio-France, est passé de six lettres et courriels le concernant par semaine à plus de
120), mais elle donne aussi au titulaire un vrai statut « professionnel » dans la rédaction, évitant que le médiateur ne soit perçu comme l’occupant d’un placard, voire d’une planque, ou comme un empêcheur de travailler en rond. Dans un seul cas, cet ancrage a existé puis disparu : Henri Amar, à La Dépêche du Midi, est resté médiateur après son passage à la retraite mais ne publie plus de chroniques dans la page hebdomadaire de courrier des lecteurs comme il le faisait au départ toutes les trois ou quatre semaines. La fréquence de l’intervention publique du médiateur est essentielle : plus elle est rapprochée, plus l’interactivité avec le public se renforce ; le rendez-vous hebdomadaire paraît excellent.

Le référentiel déontologique

Au Monde, à France Télévisions, à la NRCO, à RFI désormais, le médiateur dispose d’un texte interne de référence sur les bons comportements professionnels. Il peut s’y référer. Ces chartes

déontologiques ont toutefois moins de poids qu’une Charte nationale ou un Conseil de presse (ou Commission nationale d’éthique), comme cela existe ailleurs. Ainsi, au Québec, les téléspectateurs peuvent saisir l’ombudsman de Radio-Canada ou le Conseil de presse, par nature extérieur à l’entreprise et donc moins enclin à la défendre. On pourra se reporter là-dessus à l’ouvrage de Marc-François Bernier L’ombudsman de Radio-Canada, protecteur du public ou des journalistes ? (2005). Selon cet auteur, les principales « normes journalistiques » concernent l’intérêt public, le droit du public à l’information, la vie privée, vérité-rigueur- exactitude, équité3, intégrité.


Comment ils se voient

Comment ces journalistes finissent-ils leur fonction ? Petit florilège
de citations :

Ni flic, ni juge
– « Je suis le bureau des pleurs fondés »
– « Une interface »
– « Une alerte »
– « Un pare-feu »
– « On me voyait comme une espèce de flic, d’inspecteur »
– « Je ne suis pas un juge »
– « Éviter d’être un procureur »
– « Apporter au public de la compréhension et une connaissance de nos
contraintes de journalistes »
– « Un passeur des préoccupations de la rédaction »
– « Un double avocat : de la rédaction vers les lecteurs, des lecteurs vers
la rédaction »
– « Quelqu’un qui remonte l’info venant des lecteurs »
– « Une espèce d’intercesseur »
– « Un Monsieur Bons Offices »
– « J’ai un peu le statut de sage »
– « Un point d’ancrage »
– « Un rôle de contacts »
– « Aider tout le monde à mieux se comprendre »
– « Un rôle de vigilance et de prise de conscience chez les journalistes »
– « Appeler sans cesse au respect du public »

Pouvoir et indépendance
– « J’ai une paix royale »
– « On dérange mais c’est jouable »
– « Quand on me conteste, je réponds sur le mode humoristique »
– « On m’a remis la bombe atomique, je ne dois pas abuser de mon
pouvoir »
– « Il faut de la retenue pour ne pas mettre en cause brutalement les
journalistes »
– « Je n’ai pas envie de dévaloriser le travail des confrères »
– « Tout ce que j’écris, je le pense, mais je n’écris pas tout ce que je
pense »
– « Des comptes à rendre seulement en mon âme et conscience »
– « Le public ne comprend pas que je n’ai pas une fonction d’autorité »


Les interpellations du public

Le courrier

Le courrier des lecteurs, auditeurs et téléspectateurs augmente, on l’a vu, grâce à la présence publique du médiateur. Mais Internet a fait exploser les flux de courrier (auprès des médiateurs comme auprès des services traditionnels de liaison avec le public). Désormais, le courrier est constitué essentiellement de courriels, parfois à plus de 90%. Le courrier n’est pas traité dans sa majorité par le médiateur : les services spécialisés s’en chargent. Toutefois, à La Vie, Jean-Claude Escaffit avait pris en charge le « forum » ; au Monde, Robert Solé sélectionne avec ses collaborateurs les lettres à publier quotidiennement ; à la NRCO, Yves Mary est d’abord responsable de la page quotidienne « Dialogue », accessoirement médiateur…
Quelques repères quantitatifs (pour le courrier relatif à la médiation seulement) : Midi libre : une dizaine de courriers par jour, soit environ
200 par mois ; France 2 : 5 200 par mois (dont 5 000 courriels) au premier semestre 2005 ; France 3 : environ 1 200 par mois ; Radio France : environ 500 par mois. Lors d’une grosse actualité, le courrier atteint des pics. Exemples : plusieurs centaines en une journée au Monde après les attentats du 11 septembre 2001, plus de 1 000 courriels à Radio France concernant les déclarations de Finkielkraut à Haaretz et dans les médias français (dont France Culture) sur la crise des banlieues, à RFO le plus gros courrier reçu concernait Gaston Flosse4
Les médiateurs s’efforcent de répondre à cette avalanche, ne serait-ce que par un accusé de réception, mais n’y parviennent que très

imparfaitement, faute de moyens humains (Marie-Laure Augry, à France
3, attend une assistante…). À travers la fonction médiation, le public
sollicite une reconnaissance de sa parole, de son altérité. « Si vous voulez
qu’on vous écoute, écoutez-nous », explique un médiateur. Les émissions
et chroniques, les réponses individuelles au courrier font mouche et
entraînent en retour une forte satisfaction. La critique par le public de
« ses » médias n’est pas une contestation radicale à la manière d’une
certaine frange politisée. « Il nous demande simplement de faire correctement
notre métier », précise tel autre médiateur.
Les réponses à ces sollicitations, qu’elles soient individualisées ou au
travers des chroniques et émissions, sont la plupart du temps en même
temps qu’un jugement explicite ou implicite sur la question posée – une
forme d’éducation au fonctionnement du média et de la presse en général.
Ce rôle est souligné par la plupart des médiateurs.

Les thèmes récurrents

Un certain nombre de thèmes sont communs au courrier reçu par les médiateurs : les gros sujets d’actualité (de la grippe aviaire à Outreau, de la mort de Jean-Paul II aux caricatures de Mahomet) ; la forme (la langue, lorthographe, les titres, les bidonnages, les faux-directs, le mélange d’images d’actualité et d’archives, etc.) ; des rectificatifs ; des compléments d’information, des suggestions, des témoignages ; des critiques sur le traitement au fond de l’actualité et la politique éditoriale (équilibre politique, parti-pris, partialité, hiérarchie de l’information, place excessive du fait-divers, etc.) ; la violence des images (premier point évoqué par tous les médiateurs de télévision) ; le respect des personnes, etc.

Points particuliers

À RFO, 80% du travail de l’ancien médiateur a consisté à recevoir les plaintes des élus d’outre-mer (présidents de conseils régionaux, maires, sénateurs, etc.) accusant les journalistes de telle ou telle station de les maltraiter : pas interviewés, mal interviewés, reportages n’ayant pas l’heur de plaire… Après enquête du médiateur et lettres
« diplomatiques », tout rentre en principe rapidement dans l’ordre.
À RFI, les récriminations d’ambassadeurs, de chefs d’État ou de
gouvernement (surtout en Afrique), conduisent le médiateur à intervenir
directement, parfois sur place, avec la bénédiction du président de la
chaîne.
France 3 se distingue dans l’audiovisuel public : le courrier reçu est
très largement positif, il exprime un fort assentiment des téléspectateurs,

qui parfois mettent en avant cette différence : « Vous n’êtes pas comme les autres » Chaîne de proximité dans les régions, France 3 se rapproche en cela des quotidiens de province, le courrier traduit des critiques moins nombreuses et une agressivité bien moindre.


Les interventions des médiateurs

Le travail quotidien du médiateur, c’est la lecture du courrier (et les réponses) ; la sélection des réactions (pour le courrier des lecteurs, pour une chronique, pour une émission de radio ou de télévision avec cette difficulté supplémentaire de l’expression à l’antenne) ; l’enquête sur les problèmes soumis (auprès du public, auprès de la rédaction, voire sur le terrain) ; les interventions publiques (chroniques, émissions) et internes dans la rédaction.

Chroniques et émissions

Elles sont généralement centrées sur un sujet issu des réactions du public et sont pour la plupart hebdomadaires ou mensuelles : 1. hebdomadaires : Le Monde (« Médiateur »), France 2 (« Le médiateur »), Midi libre (« Le Médiateur »), France Inter (dans le « 13-14 » du vendredi) ; mensuelles, donc avec moins de visibilité et d’impact : France 3 (« Votre Télé », complétée par des émissions à peu près une fois par an dans chacune des régions), RFI, France Culture la fin du 13 heures), pour mémoire La Vie et La dépêche du Midi au début.
L’existence de ces rendez-vous est déjà, en soi, la reconnaissance de l’importance accordée par le média aux critiques de son public. Il n’est plus considéré comme passif. Les chroniques sont lues, les émissions regardées. Ce qui les distingue le plus les unes des autres est la netteté du propos du médiateur par rapport à ces critiques, parfois vives, du public et sa faculté, au-delà des explications techniques ou de politique éditoriale, à accepter la mise en cause du travail des journalistes.
Ainsi le médiateur du Monde est-il devenu plus exigeant par rapport à la rédaction avec le troisième titulaire (en poste depuis huit ans). Celui de France 2 est beaucoup plus incisif qu’à France 3, généralement « bon enfant » (on a noté que les critiques des téléspectateurs y sont moins violentes qu’ailleurs). La presse régionale est, quant à elle, très chiche de critiques sur le travail des rédacteurs Il m’arrive de reconnaître une erreur », « J’ai fait un mea culpa une fois dans une chronique »).

Notes internes

Les médiateurs de l’audiovisuel public jouent leur rôle aussi par diffusion de notes à la rédaction. Ce sont essentiellement : 1. les rapports annuels à France 2 et France 3 (celui de RFO n’était destiné jusqu’à présent qu’au président de la chaîne) ; 2. une newsletter trimestrielle à la rédaction de France 2 avec Jean-Claude Allanic ; 3. une newsletter mensuelle d’annonce de l’émission nationale de France 3 (à l’ensemble du personnel de la chaîne). Le médiateur du Monde souhaite, à terme, introduire ce mode d’intervention.

Interventions directes dans la rédaction

Les médiateurs ont un rôle très important de contacts informels au sein des rédactions. Ils téléphonent, ils voient directement les journalistes intéressés, ils envoient des courriels aux gens concernés, ou diffusés plus largement en cas de courrier abondant sur un thème (exemple : France 3). Ils rencontrent souvent la hiérarchie rédactionnelle de façon informelle ou formelle. Le médiateur peut assister à la conférence de rédaction du matin (RFI) ou à des séminaires de la rédaction (Radio France). Tous ces contacts permettent de régler des problèmes, d’alerter, de faire de la pédagogie, de rendre plus perceptibles la présence du public et ses critiques.
Parmi les interventions fréquentes citées spontanément par les médiateurs, notons : 1. la langue, l’orthographe, les coquilles ou les erreurs d’incrustation, l’usage du vocabulaire, le franglais, la géographie incorrecte, etc. ; 2. les choix rédactionnels ; 3. la médiation avec les élus ;
4. les droits du public (droit de réponse, droit à l’image, protection de la vie privée, etc.).


Les rapports avec les journalistes

Souvent en conflit ou en délicatesse avec la haute hiérarchie, les
médiateurs sont en revanche acceptés et défendus presque partout par
« la base » de la rédaction et la hiérarchie intermédiaire. Les syndicats
et sociétés de journalistes les soutiennent.
Cette acceptation du médiateur et de son regard critique, comme
porte-parole du public, sur le travail de la rédaction demande du temps.
Partout, il y a eu ici et des tensions. Elles sont inévitables à partir du
moment la fonction est correctement assumée et une partie de
ses interventions consiste à relayer les critiques, à rappeler à l’ordre, à

mettre le doigt sur les erreurs, voire les fautes de tel ou tel. Mais pour la plupart des journalistes, aux dires des médiateurs, ce rôle est reconnu comme important. Didier Epelbaum, qui fut le premier médiateur de France 2, distingue toutefois trois catégories parmi les journalistes : les opposants à toute autocritique, les partisans affichés (dont la plupart des jeunes journalistes) et la « majorité silencieuse » qui est d’accord sur le fond mais en retrait et versatile :

« Ils jouent le jeu, y compris quand ils sont mis en cause. Ils ne sont pas toujours contents, mais ils acceptent. Ils savent que je ne cherche pas à les enfoncer. »
« Il y a une grande susceptibilité chez les journalistes. Mais ils comprennent et disent souvent que ça aide à avancer. »
« Il y a des journalistes à problèmes, toujours les mêmes. D’autres sont parfois malheureux de leurs bêtises, il faut presque les consoler. »
« Quand je leur transmets des critiques, ils me disent souvent : "tu as raison, tu fais bien de nous le rappeler"... »
« Je n’ai pas de réactions négatives, mais je ne suis pas r d’être entendu… »

La grande question est évidemment que le médiateur a toujours tendance, a priori, à justifier la conduite de ses confrères journalistes et de son média (dont il serait en quelque sorte un « chargé de communication »). Diverses études nord-américaines montrent que la fonction de médiateur favorise davantage la compréhension mutuelle (journalistes-lecteurs) que la critique des pratiques journalistiques.
En tout état de cause, la médiation, ainsi acceptée et confortée par un dialogue permanent à l’intérieur de la rédaction, débouche alors souvent sur un autre rôle : celui d’un conseiller, d’un « monsieur déontologie », de quelqu’un en qui on a confiance et avec lequel, parce qu’il est hors encadrement, on peut échanger. Les journalistes sollicitent le médiateur pour des conseils de nature déontologique, sur des papiers ou sujets délicats. De fil en aiguille, la médiation peut dériver vers une perception de « médiateur social » à l’intérieur d’une rédaction (RFI, RFO), ce qui n’est pas sa fonction et est récusé par les médiateurs.


Quel résultat pour l’information ?

L’intervention permanente du médiateur améliore-t-elle pour autant les comportements professionnels ? La qualité de l’information s’en trouve-t-elle accrue ? Le médiateur du Monde existe depuis plus

de 10 ans ; or, on a vu dans cette période une inflation de pratiques
douteuses…
Les confrères médiateurs sont très modestes sur ce point : les effets,
disent-ils, sont « homéopathiques ». D’une part, ils estiment souvent que
la hiérarchie rédactionnelle ne se sert pas suffisamment de la fonction :
en prenant davantage en compte les attentes du public, en consultant
plus fréquemment le médiateur, en réfléchissant collectivement sur la
manière de juguler les petites dérives (langue, inexactitudes, etc.). Mais ils
pensent d’autre part que la présence publique du médiateur (chronique,
émission) a un « effet dissuasif », au moins sur « les gens sérieux ». Cette
présence entraîne sans doute une plus grande prudence « parce qu’il n’y
a plus d’impunité » (l’émission hebdomadaire de Daniel Schneidermann
sur France 5, « Arrêt sur images », jouait un peu le même rôle pour toutes
les chaînes de télé) : « Si j’exige un droit de réponse, la leçon porte et ensuite
on est plus vigilant. »
On note parfois des conséquences heureuses sur le fonctionnement
rédactionnel. Ainsi, à France 2, une meilleure conscience des réactions
des téléspectateurs a entraîné la tenue de séminaires de flexion, comme
sur l’immigration et les banlieues (mai 2005). À RFI, un groupe de travail
a rédigé un « livre d’antenne » sur les « bonnes pratiques » au micro
(juin 2005).


Conclusion

Au-delà des difficultés de fonctionnement, des rapports plus ou moins conflictuels, des résultats faibles sur la qualité de l’information, on peut tirer au moins deux leçons :
1. À partir d’une préoccupation patronale de rapprocher le média de son public et de lui donner plus de crédibilité, on a abouti à un résultat tangible incontestable : l’expression critique du public est possible et prise en compte par certains médias eux-mêmes. Cette considération nouvelle pour les lecteurs, auditeurs et téléspectateurs rencontre un très bon écho, notamment dans la fraction du public la plus « citoyenne » pour laquelle l’information n’est pas un simple produit de consommation. Répondre au courrier, donner la parole est déjà important. Admettre, au moins de temps à autre, que le journaliste ou le média ont pu se tromper et en discuter correspond à une vraie demande de ce public.
2. La fonction de médiation, partout elle s’installe durablement, est bien accueillie par la collectivité des journalistes, même si certains hiérarques y voient une atteinte à leur pouvoir. La présence du médiateur, son rôle de « sage », de « garant de la déontologie », sont


de mieux en mieux perçus. Il est – ou peut être – un garde-fou efficace pour une rédaction qui veut jouer le jeu. Avec de la diplomatie et de la fermeté, il ancre peu à peu dans les esprits l’idée que certaines erreurs ne doivent plus être commises, que le public est de plus en plus critique et exigeant et que les journalistes doivent être à la hauteur de cette exigence. Son existence et son action sont un rappel permanent à la responsabilité individuelle et collective. La jeunesse de la fonction, le statut et la personnalité de chaque médiateur, l’absence de normes d’éthique journalistique reconnues dans toute la profession empêchent d’aller suffisamment loin dans cette direction.
Les médiateurs sont isolés, sauf à France Télévisions. Ils auraient sans doute avantage à échanger, à se « serrer les coudes », en créant un regroupement informel ou formel qui donnerait plus de visibilité à la fonction et attirerait peut-être de nouvelles vocations (quotidiens, hebdomadaires, chaînes audiovisuelles privées, etc.)

Notes

1.   Robert Solé (Le Monde), Yves Mary (La Nouvelle République du Centre Ouest), Henri Amar (La Dépêche du Midi), Olivier Clerc (Midi libre), Jean-Marie Gautier (Paris-Normandie), Didier Epelbaum, Jean-Claude Allanic, Christian-Marie Monnot (France 2), Marie-Laure Augry (France 3), Albert-Max Briand, Anastasie Bourquin (Réseau France Outre-mer), Patrick Pépin (Radio France), Noël Copin (Radio France Internationale, remplacé par Loïc Hervouet fin février 2006), Jean-Claude Escaffit (La Vie).


3.   Selon les « Normes et pratiques journalistiques » (NPJ) de Radio-Canada, est jugée équitable l’information « qui rapporte les faits pertinents, reflète impartialement les points de vue significatifs et traite avec justice et dignité les personnes, les institutions, les problèmes et les événements ».