Au 2ème
Forum de la presse maghrébine qui s'est déroulé à Hammamet du 28 au 30 mai, la
création d'un conseil de la presse était dans toutes les discussions. "La
presse tunisienne est un corps malade", a affirmé Sadok Hammami,
professeur à l'Institut de la presse et des sciences de l'information (IPSI).
Ce
"corps malade" doit être soigné par ses pairs, mais encore faut-il
qu'ils aient le pouvoir de le faire, assurent de nombreux participants. Si la
création d'un conseil de la presse n'est pas rejetée dans le principe,
l'étendue de ses prérogatives fait débat et l'enjeu à peine voilé est celui de
la distribution de la publicité publique.
Un Conseil
de la presse, qu'est-ce que c'est?
Le Conseil
de la presse est un organe d'autorégulation de la presse écrite, dont les
prérogatives diffèrent légèrement selon les pays où cette structure existe.
Si en
France, une telle structure n'a pas été mise en place, l’Association de
préfiguration d’un Conseil de presse en France (APCP) en étudie les
possibilités.
"L’idée
de créer un 'conseil de la presse' est née du fossé constaté entre les
mécontentements des citoyens en matière de contenu et de qualité des médias et
le peu d’écoute accordée par la profession à ces protestations. Les réponses
apportées généralement par le monde des médias sont seulement techniques,
managériales ou financières. Elles ne résultent pratiquement jamais d’une
réflexion sur la qualité éthique des contenus diffusés", avance l'association, pour qui le Conseil de la presse,
comme au Québec ou en Suisse, vise particulièrement à être une instance de
médiation entre le public et les médias.
En Belgique, au Québec ou en Suisse, le but affiché d'une instance
d'autorégulation est de régler les différends entre les citoyens et le média, à
l'amiable, avant de recourir à la justice. Ces organes visent également à
œuvrer pour une "information de qualité", respectueuse des règles
communément admises de déontologie.
Un pouvoir
contraignant ou symbolique?
Généralement,
les "conseils de la presse" ou de "déontologie
journalistique", selon les dénominations, n'ont aucun pouvoir
réglementaire. Ils statuent sur les différends à l'amiable ou émettent des avis
et des recommandations.
Au Québec par exemple, "le Conseil agit comme tribunal
d’honneur de la presse québécoise tant écrite qu’électronique, il
émet également des avis sur diverses questions ou pratiques en lien avec sa
mission".
"En aucune façon, le Conseil ne
peut être assimilé à un tribunal civil, il ne possède aucun pouvoir judiciaire,
réglementaire, législatif ou coercitif ; il n’impose aucune autre sanction que
morale. Mais la rigueur de ses interventions, ainsi que la confiance et l’appui
que lui manifestent les médias et le public, lui confèrent une autorité
indéniable", précise le Conseil québécois sur son site internet.
Les versions
belges (flamande ou francophone) agissent de la même manière et ces structures
sont reconnues en tant qu'associations à but non lucratif, avec des variations
dans le mode de financement.
Pour les
principaux défenseurs d'une instance régulant la presse écrite en Tunisie,
notamment des représentants de la Fédération tunisienne des directeurs de
journaux (FTDJ), octroyer des pouvoirs contraignant à ce conseil serait plus
adapté au "contexte tunisien". "Le principe dissuasif visant à
'nommer' les médias ou les journalistes fautifs (connu sous le nom de 'Name and
Shame') ne fonctionnerait pas en Tunisie", soutient Sadok Hammami.
"Notre
objectif n’est pas de fonder une instance d’autorégulation pareille à celle qui
existe en Europe mais de l’adapter à la réalité tunisienne. Nous ne voulons
surtout pas créer un Conseil de la Presse de 'décor', avait déclaré Taïeb Zahar, le
président de la FTDJ, dans l'hebdomadaire Réalités.
Mais le but
affiché est également celui de la distribution de la publicité publique,
défendue au Forum de la presse maghrébine par Abdelkrim Hizaoui, président du
Centre Africain de Perfectionnement des Journalistes et Communicateurs (CAPJC)
mais aussi par Sadok Hammami ou encore des membres de la FTDJ.
"Il y a
des médias qui ne déclarent pas leurs journalistes, ne paient pas la CNSS et
qui ne respectent aucune règle de déontologie, faisant régulièrement leurs
choux gras de diffamations et autres insultes", affirme Sadok Hammami,
fervent défenseur d'un "Conseil de la presse fort". "Nous
proposons la mise en place d'un label de qualité pour contraindre l'Etat à
distribuer la publicité publique de manière plus juste", a-t-il ajouté.
Un possible
conflit d'intérêt? "Non, la composition du Conseil devrait pouvoir
l'empêcher, par une représentation paritaire entre le Syndicat des journalistes
et la Fédération des directeurs de journaux", se défend M. Hammami.
Le
"corps malade" décrit par Sadok Hammami devrait ainsi panser ses
propres plaies, avec des avantages économiques à la clé. Dérives autoritaires,
conflit d'intérêt ou simple autorégulation nécessairement imposée, le Conseil
de la presse est-il le remède miracle pour soigner les maux dont souffre la
presse tunisienne?
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