Interventions de :
Flip Voets, du Conseil de presse de
Belgique flamande,
Marc-François Bernier, universitaire québécois
Dominique von Burg, du Conseil de presse suisse
1. Les
fondamentaux : quand, comment et qui ?
Suisse. Naissance du Conseil dans
les années 70 après l’apparition du code de déontologie rédigé par le syndicat
des journalistes d'alors. Une fondation réunit les organisations qui l’ont
créé, les trois syndicats actuels de journalistes, l’association des rédacteurs
en chef, la radio-télévision publique et les organisations d'éditeurs.
Composition : 21 membres, dont 15 journalistes et 6 représentants du
public.
Belgique flamande. Naissance suite en 2002 à
un accord conclu entre éditeurs et journalistes. Dans les années 90, il
existait un Conseil de déontologie qui livrait ses opinions sur des problèmes
de journalistes. « L’affaire Dutroux » a incité les éditeurs à se joindre
aux journalistes pour fonder un Conseil de presse. Composition : 18
membres (6 journalistes, 6 représentants des éditeurs et des directions de
médias, 6 représentants du public + des experts + Flip Voets en tant que
secrétaire (général ?) et médiateur).
En 2009, un accord a été obtenu pour la Belgique
francophone. Le Conseil va exister dans quelques mois. Les deux conseils
coopéreront ensuite.
Québec. Naissance en 1973, devant
la menace d'intervention des gouvernements, à la suite précisément d'une commission
d'enquête sur la concentration de la presse. Il est une réaction et non une
initiative des médias. Il entend les plaintes du public et enquête (plus de
2000 plaintes instruites depuis 1973). Initialement, il y avait trois parties :
éditeurs (presse écrite et radio), journalistes et public. Mais au comité où se
prenaient les décisions sur le comportement des journalistes, les éditeurs
représentaient les 2/3 des votes. Depuis quelques années, il y a parité :
moitié de représentants du public et moitié d’éditeurs et de journalistes.
2. Financement
Suisse. Budget de 100 000 €,
annuels provenant des associations membres de la fondation du Conseil. Aucune
intervention étatique.
Belgique
flamande.
Budget de 160 000 € par an. Sources : le budget vient à parts égales des
médias (audiovisuel, presse écrite), qui paient chacun une contribution selon
le nombre de journalistes employés, et de l'unique syndicat des journalistes
qui, lui, reçoit des subventions publiques.
Québec. Budget annuel de 300 000
€, provenant essentiellement d'une fondation. Le gouvernement du Québec avait
déposé un capital et la fondation vivait des intérêts. Aujourd’hui, ça ne
suffit plus. Une part provient aussi des entreprises de presse, sur une base
volontaire, et des associations de journalistes (de façon marginale).
3. Mode de
saisine et traitement des litiges
Suisse. Tout citoyen peut le
saisir pour violation du code de déontologie, sans être forcément touché par le
sujet, y compris les journalistes, qui ne s'en privent pas. La présidence du
Conseil donne ou pas suite aux plaintes, attribuées ensuite à une des chambres
composant le Conseil (francophone, germanophone et une italo-germanophone).
Depuis le début des années 2000, le nombre de plaintes a crû et se situe autour
de 110 à 120 par an. Des associations comme des particuliers déposent des
plaintes. Les chambres rédigent les avis, qui sont soumis à l'ensemble du
Conseil. Si deux membres s'opposent à un avis, il est discuté en séance
plénière (c'est très rare). Sinon, au bout de 10 jours, l'avis est publié. Le
mode de sanction est la publication des avis. Depuis un an, il y a obligation
morale pour les éditeurs concernés de publier au moins un résumé des avis qui
les concernent.
Pas d’activité de médiation directe.
Belgique
flamande.
Missions : faire de la médiation entre les médias et le public +
instruction de plaintes. On distingue les demandes d'information (100 à 150 par
an) et les demandes d'intervention ou les plaintes (40 plaintes par an). Tout
citoyen peut demander une information sans avoir un intérêt particulier. Pour
une plainte ou une demande d'intervention, il faut être directement concerné
(une personne ou un groupe d'individus).
Quand une plainte arrive, une solution à l'amiable
est d’abord recherchée. Dans certain cas une discussion s'engage et on trouve
une solution qui convient au plaignant (30 à 35% des cas) : soit un nouvel
article ou une interview, soit des excuses sont présentées (en cas de violation
de vie privée par exemple) par une lettre du rédacteur en chef. Peu de
plaignants veulent de l'argent ou des excuses publiques. Très souvent, le fait
d’être écouté et de se voir expliquer le problème suffit. Si aucun accord
amiable n’est trouvé, ou s'il s'agit d'un cas de principe, l'affaire est portée
devant le Conseil qui créera alors une chambre de 3 membres (1 éditeur, 1
journaliste et 1 membre du public) pour examiner le dossier. Une audience
permet de décider si la plainte est fondée (moitié des plaintes). La décision
est rendue publique sur le site Internet et dans le mensuel Le journaliste , lu par toute la
profession. Dans certains cas graves, on demande au journal concerné de publier
l'avis.
Québec. Le processus est ouvert à
tous, gratuit et assez rapide. D’abord une recherche de médiation. Le cas échéant,
étude rapide pour voir si la plainte s'inscrit dans un cas de faute très claire
et déjà vue : on peut alors donner rapidement une décision. En cas
d'insatisfaction, le plaignant peut s'adresser au « comité
d'éthique » appelé aussi « comité des plaintes ». Y siègent à
parité des représentants des trois parties. Le Conseil envoie d’abord la
plainte au média concerné, qui doit fournir une réponse au plaignant et au
Conseil. Échanges de courrier avant que le comité se penche sur la plainte. Il
doit rendre sa décision dans les six mois suivants. Il y a une procédure
d'appel. Particularité : les commissions sont anonymes.
4. Cas
d’auto-saisine des Conseils
Les trois Conseils de presse ont une faculté
d’auto-saisine.
Suisse. Ce n’est pas très fréquent.
Il y a eu des cas retentissants qui demandaient une clarification dans la
profession. Récemment, la police a fait une conférence de presse reprise en
direct et révélant alors le nom et la photo du présumé criminel. Les médias ont
réagi différemment. Le CP a voulu s’emparer de ce cas. Résultat : le fait
que les autorités donnent une info qui viole la protection de la personnalité
n'est pas une raison suffisante pour les médias de publier. Les médias ne
peuvent pas faire l'économie de leur propre réflexion déontologique.
Belgique
flamande.
Faculté encore inutilisée pour un cas particulier, mais elle est utilisée à
propos de tendances générales. Exemple : la généralisation de programmes
avec caméra cachée. Le Conseil a dit que ça allait trop loin et qu'il fallait
remplir certaines conditions pour
faire usage d’une caméra cachée. Attention, le
Conseil est une association de tous les médias, il serait dangereux de prendre
le cas d'un média qui se sentirait très vite visé. On préfère quand même
attendre une plainte pour déclencher ce genre de réflexion.
Québec. Auto-saisine sur de grands
phénomènes. Exemple : le Conseil a fait une tournée des régions pour
s'intéresser à la qualité de l'information. Les publics rencontrés ont été
tellement critiques que lorsque le rapport a été publié, certains médias ont
menacé de quitter le Conseil et de ne plus participer à son budget. C’est un
risque constant.
5. Comment
sont rédigés et publiés les avis ?
Suisse. Les avis sont découpés en
trois parties : les faits, les « considérants » et les conclusions.
La publication est exhaustive sur le site du Conseil, et on en fait un
communiqué repris plus ou moins par les médias. La publication par le média
concerné n'est pas une obligation, il relève d'un « compte-rendu loyal des
prises de position du Conseil ». C’est inscrit dans la charte
déontologique : une personne qui aurait été concernée par une affaire
pourrait saisir le Conseil en violation du code déontologique si le média n'a
pas publié les conclusions. Ce n'est pas encore arrivé. L’important est de
faire avancer la doctrine déontologique, pas de viser un journaliste. Le
Conseil considère que le média ou le rédacteur en chef est responsable. Dans
l’absolu, un journaliste pourrait saisir le Conseil s'il estime que son article
a été fait dans de telles conditions qu'il n'a pas pu réaliser un bon travail.
Belgique
flamande.
L’avis est une sanction morale. On ne veut pas mettre à l’amende ou retirer la
carte de presse. Le but principal n’est pas de viser un média ou un journaliste
particulier, mais de profiter d'un cas concret pour expliquer les règles de
déontologie. Nous essayons d’être pédagogique, de rapporter les différents
points de vue et d'expliquer ce qui ne convenait pas en regard des règles du
journalisme.
Québec. C'est un peu différent.
D’une part, il y a des décisions prises sur les plaintes. D’autre part, il y a
des avis plus généraux lors des grands problèmes (cas des caméras cachés et
autres procédés clandestins), qui sont ensuite publiés sur le site Internet.
Quand la plainte vise un individu, le Conseil a le choix entre trois options :
rejeter la plainte, l’accepter et mettre un blâme, l’accepter et émettre un
reproche (grief). Ces sanctions morales sont censés être diffusés par les
médias dans leurs pages, mais ils ne le font presque jamais, car tout repose
sur leur bonne volonté. Ils ne publient jamais les décisions qui les concernent
ou s'ils les publient c'est très loin et en petits caractères. Parfois, ils
publient les décisions concernant leurs concurrents. C'est une sorte
d'équilibre où tout le monde se surveille.
6. Un conseil
pour soutenir la qualité de l’information
Nathalie
Dollé :
Le Conseil ne doit-il pas soutenir la qualité de l'information et aider les
journalistes à fabriquer une info de qualité ? Des journalistes français
craignent qu’un Conseil de presse soit un tribunal des journalistes.
Dominique von
Burg. Selon
une étude effectuée en Suisse auprès des journalistes, ils sont une grande
majorité à reconnaître l'autorité morale du Conseil, qui constitue une boussole
déontologique dans un monde très évolutif. À mon sens, ceux qui craignent ou
méprisent le plus le Conseil sont les rédacteurs en chef.
Marc-François
Bernier. Au
Québec, des journalistes se sont servi du Conseil pour dénoncer leur employeur
et les conditions dans lesquelles ils travaillaient. Un média qui obligeait ses
journalistes à faire une couverture excessive de certaines émissions de son
groupe, à faire la promotion de ses émissions de divertissement, a ainsi été
épinglé.
Flip Voets. Une anecdote en
Flandres : nous avons eu deux plaintes successives pour le même article. Il n'y
avait pas de problème dans le papier. La faute était dans le titre, très
sensationnel, qui ne correspondait pas à l'article. Le Conseil en a fait le
reproche à la rédaction en chef.
7. Du pouvoir
réel des Conseils
Nathalie Dollé. Avez-vous le pouvoir ou du
moins le sentiment de pouvoir intervenir pour que les cas problématiques ne se
reproduisent pas ?
Flips Voets. L'autorégulation part du principe
que tout repose sur la coopération volontaire des différents acteurs. Dans
l’anecdote évoquée précédemment, il a fallu deux fois pour faire comprendre que
le titre devait correspondre au contenu de l'article. Si tel n’est pas le cas,
le journaliste peut avoir de vraies difficultés avec ses sources.
Dominique von
Burg.
L'effet peut-être le plus important du Conseil est de couper toute velléité du
monde politique d'intervenir sur le contenu des médias. Le Conseil a bataillé
contre les syndicats de journalistes pour que les éditeurs rejoignent le
conseil de fondation. Il fallait élargir la base pour éviter le contrôle
extérieur de l'Etat.
Marc-François
Bernier.
Historiquement, les journalistes québécois avaient peur des politiques, donc
ils se sont dotés de mécanismes d'autorégulation. La jurisprudence en matière
de diffamation doit déterminer s’il y a faute professionnelle. Quand il y a
faute, le juge peut se référer au Conseil et le juge est plus à l’aise pour
rendre sa décision. Résultat : les entreprises de presse menacent encore
de le quitter car elles ne veulent pas que le Conseil prenne des décisions
aussi « impliquantes ». Elles préfèreraient qu’il soit un
observatoire général des médias.
Flip
Voets :
la Cour européenne des droits de l’homme ( à Strasbourg) a déjà dit plusieurs
fois que les journalistes jouissent d'une grande liberté que les Etats doivent
protéger, à condition que les journalistes fassent leur travail d'une façon
éthique et déontologique. Il est donc préférable que la déontologie soit
formulée par les Conseils plutôt que par les juges. Certes, le risque est que
certaines décisions du Conseil soient utilisées pour demander une compensation
au tribunal -c'est déjà arrivé deux fois-, mais on a constaté une diminution
des affaires judiciaires contre la presse, trois ans après la création du
Conseil en Belgique. À l’inverse, en offrant la médiation, on évite
l’engorgement des tribunaux et le coût des procès.
Dominique von
Burg. En
Suisse, à chaque plainte déposée, on demande au plaignant s'il a l'intention de
se pourvoir en justice. Si oui, le Conseil n’intervient qu’à deux conditions
cumulatives : il doit avoir la conviction que son avis ne pourra pas être mal
utilisé devant le tribunal et la question doit avoir une certaine importance
sur le plan déontologique.
Marc-François
Bernier. Au
Québec, le Conseil a étudié plusieurs années de dossiers qui allaient aussi
devant les tribunaux. Aujourd’hui, la personne doit s'engager à ne pas aller
devant les tribunaux. Réciproquement, s’il dépose un recours en justice, il ne
doit pas déposer une plainte auprès du Conseil.
Flip Voets. Notre organisation est
assez nouvelle et nous n'avons pas encore l'autorité nécessaire pour pouvoir
demander cela au public. Nous pensons que d'aller en justice est un doit
fondamental. Mais sur les 100 décisions prises jusqu'à présent, seuls 2 avis
ont été utilisés par la justice.
Marc-François
Bernier. Au
Québec, l'inquiétude n'est pas que les tribunaux se servent des avis du Conseil
– le juge regarde surtout le guide de déontologie des journalistes
professionnels et les normes et pratiques en vigueur à Radio Canada – mais que
le Conseil interprète le texte et fasse donc le travail du juge. Le juge sera
plus à l'aise pour condamner un média s'il est soutenu moralement par le
Conseil.
8. Les textes
de référence
Suisse. La Charte nationale et
trilingue des droits et devoirs du journaliste + des directives précisant les
points de cette charte. La fondation peut la réviser à une majorité des trois
quarts. Aucune partie (éditeurs, journalistes ou public) ne peut imposer seule
un changement. Les directives – textes plus changeants et plus pratiques – sont modifiées par le Conseil lui-même.
Belgique
flamande.
Nous avons commencé avec le code de déontologie journalistique de 1982. Depuis,
le Conseil a rédigé 5 ou 6 directives à propos de problèmes concrets.
Actuellement, un nouveau code est en cours de réécriture, il abordera les
questions liées à Internet. Il devra être adopté par la fondation dans laquelle
sont représentés le syndicat et les éditeurs.
Québec. Le texte, évolutif,
s'appelle « Droits et responsabilités de la presse ». Il a pour
vocation de défendre la liberté de la presse et de définir les responsabilités
de la presse. La première version date de 1973, la deuxième des années 80, la
troisième de 2003. Une nouvelle version est en cours de rédaction à la
Fédération professionnelle des journalistes du Québec, association non
syndicale dans laquelle on trouve des syndiqués, des indépendants et des patrons.
Cette fédération avait élaboré son propre guide de déontologie en 1996, puis
créé des comités dans les régions pour lui donner une légitimité. Aujourd’hui,
la fédération et le Conseil se rapprochent pour aboutir à un texte unique de
référence.
9. Comment
désigne-t-on les représentants du public ?
Suisse. Les représentants du
public sont des membres de plein droit, comme les journalistes. Parmi les 7
personnes par chambre, 5 sont journalistes et 2 représentent le public. La
fondation désigne tout le monde, il n'y a pas de règle spéciale, il n'y a pas
d'associations qui doivent être représentées. Pourtant, depuis cette année,
nous avons voulu ouvrir davantage les délibérations des chambres. Certains
membres craignant pour leur liberté de parole, l’ouverture se limite pour
l’instant à de jeunes journalistes à des fins de formation. Comme les
expériences sont très positives, je suppose qu’on ouvrira totalement les
délibérations au public d’ici à 2011.
Belgique
flamande.
La fondation nomme les 6 membres extérieurs à la profession, qui ont évidemment
les mêmes droits que les autres. Parmi ces 6 membres il y a deux juges, deux
professeurs de communication ou de journalisme et deux personnes
représentatives d'organisations du public : une est issue d'un syndicat et
l'autre d'une association de victimes. On voudrait réfléchir à des candidatures
publiques (ce que fait le Conseil de presse anglais), mais on craint les
influences politiques. On associe le public au cours de la médiation :
nous avons des contacts très réguliers avec des lecteurs, auditeurs,
téléspectateurs. On réussit parfois à rétablir un lien de confiance qui a été
rompu avec les médias.
Québec. Les patrons des médias
choisissent leurs représentants, les journalistes sont désignés par un vote de
l'assemblée annuelle du congrès de la fédération des journalistes du Québec. À
cette occasion, le Conseil diffuse une annonce publique pour pourvoir les
postes du public. Il y a une élection.
Problème : il n'y a pas beaucoup de candidats. Souvent, le quorum n'est
pas atteint. Mais des personnes, souvent retraitées, s’intéressent aux médias
et siègent bénévolement au Conseil.