Comparé aux
autres pays du Monde arabe, tous coulés, par leur régime, dans le moule du
monolithisme, le Maroc passe pour une exception heureuse. N’est-il pas, depuis
sa première Constitution de 1962, le pays du multipartisme constitutionnel
alors que, du Golfe à l’Atlantique, c’était, et c’est encore, le règne du parti
unique ou dominant ou des monarchies héréditaires absolues. Mais à examiner les
régimes arabes de plus près, comparaison n’est pas raison. Certes, le Maroc tranche
par plusieurs particularités politiques, ethniques, religieuses, sociales,
linguistiques, géographiques et économiques qui lui sont propres et qui en font
un pays pluriel. Mais le Monde arabe est, dans l’ensemble, gouverné par des
pouvoirs autoritaires qui n’ont d’autre projet que de durer1. Dirigés quasiment
par les mêmes élites depuis l’indépendance, les États ont résisté aux
tentatives de renversement par la force et restent insensibles tant aux
mouvements d’émancipation qu’aux interpellations de la nouvelle gouvernance.
Incarnés par des monarques absolus ou présidents à vie autoproclamés pères de
la nation, avec souvent la complicité bienveillante d’intérêts occidentaux2,
les gouvernants s’approprient les richesses du pays et s’arrogent tous les pouvoirs.
Pour se construire une légitimité, ils instrumentalisent la religion, voire la
laïcité. Pour asseoir leur autorité, ils s’appuient sur l’armée et des services
de sécurité dont les pratiques sont décriées par les ONG internationales3. Par
ailleurs, ils étouffent toute velléité critique dans l’œuf.
4 Attentats de Casablanca du 16/5/2003.
5 Khadija Mohsen-Finan, « Espoirs déçus au
Maghreb », Atlas du Monde Diplomatique, 2006, p. 118. (...)
2La chute du
mur de Berlin et la fin de la guerre froide avaient apporté quelques espoirs de
changement. Mais les événements du 11 septembre 2001 aux États-Unis et la «
lutte mondiale contre le terrorisme » à laquelle sont associés les États arabes
ont redonné vigueur aux régimes autoritaires. Se présentant comme des victimes
collatérales du même terrorisme4 et se prévalant cyniquement de ce prétexte
pour museler toute critique, les gouvernants des pays arabes « se sont,
progressivement, inscrits dans la continuité des périodes antérieures, déjouant
ainsi les aspirations réformatrices tant de leurs citoyens que des partenaires
occidentaux »5.
6 Le pouvoir monarchique.
7 Le taux de pénétration de la presse écrite au
Maroc est de 13 exemplaires pour mille habitants d’a (...)
8 Le taux d’analphabétisme au Maroc est de 50 à
56 %.
3Au Maroc
depuis le règne de Hassan II, l’audiovisuel est contrôlé par le Makhzen6,
tandis que la presse écrite est aux mains des partis politiques (à l’exception
des premier et deuxième quotidiens du pays par le tirage et de plusieurs
périodiques contrôlés par le Palais). Seul media populaire au Maroc et
bénéficiant d’un public par défaut, au vu de la faible diffusion de la presse
écrite7 et du taux d’analphabétisme élevé de la population8, la radio et la
télévision sont sous la tutelle de l’État et font l’objet de verrouillages
multiples : juridique, éditorial, financier, sécuritaire etc. Cédant aux
pressions extérieures pour un changement de gouvernance et faisant écho à la
déréglementation préconisée par l’OMC dont le Maroc est membre fondateur, les
autorités ont accepté d’ouvrir le secteur à l’initiative privée. Depuis 2002,
des textes d’abrogation du monopole public et de création d’une autorité de
régulation ont été élaborés.
4Techniquement,
la nouvelle législation marocaine réglemente la gestion des fréquences en mode
analogique hertzien par définition limitées. Mais avec la télévision numérique
terrestre, la télévision par câble et la télévision par satellite, la rareté
des canaux n’a plus lieu d’être et le principe de licence s’en retrouve remis
en cause. Actuellement, on a affaire à une profusion de canaux grâce aux
nouvelles technologies de l’information et de la communication.
L’audiovisuel,
unique media de masse et monopole d’État
9 La vie culturelle (théâtre, concerts, cinéma
et sorties nocturnes) est limitée au Maroc. Le pays c (...)
10 L’équipement en postes de télévision et
récepteurs satellitaires coûte, selon les modèles, aux env (...)
5Au Maroc,
l’audiovisuel est l’unique média populaire. On compte près d’un poste de radio
pour deux habitants et la télévision, grâce aux chaînes satellitaires, est le
seul moyen de divertissement pour le Marocain9. Malgré son prix très élevés10,
on compte au Maroc près de 5 millions de ménages équipés de poste de
télévision, récepteur satellitaire et de lecteurs de vidéo-cassettes et de CD
audio-vidéo.
11 Voir à ce sujet Ahmed Reda Benchemsi, «
Interviewer le roi », Demain Magasine, n° 65, 25-31 mai 20 (...)
6En ondes
longues et, depuis une dizaine d’années, en FM dans les grandes villes, la
radio couvre l’ensemble du territoire national et émet en ondes courtes à
destination de l’étranger. Pour ce qui est de la télévision, la première
chaîne, la Radio Télévision du Maroc (RTM)couvre tout le pays, tandis que la
deuxième chaîne en couvre les trois-quarts. Elle est par excellence le média
officiel. Lorsque le roi du Maroc s’adresse à la Nation, c’est toujours à
travers les caméras des deux chaînes et jamais devant les journalistes de la
presse écrite11. Le texte de son discours est tout au plus distribué aux
quotidiens proches du Makhzen qui le publient intégralement. Par ailleurs, il
est rediffusé en boucle pendant un ou plusieurs jours par les deux chaînes de
radio et de télévision.
7L’audiovisuel
est toujours média de souveraineté au Maroc. Décrété monopole d’État à l’époque
du protectorat français par un dahir daté du 25 novembre 1924, celui-ci a été
reconduit par le Maroc indépendant. Le régime de monopole a traversé toutes les
crises (tentatives de coup d’État, émeutes, grèves, alternance au gouvernement,
succession monarchique, etc.), les révolutions technologiques et mutations
sociales sans en prendre acte.
12 Pour plus de détails voir Ahmed Hidass et
Mohamed Abderrahime, « La régulation de l’audiovisuel au (...)
8La RTM,
principale chaîne de radio et de télévision, depuis toujours « service
administratif » sous tutelle du ministère de la Communication, a fait l’objet
d’une tentative de transformation de statut. Afin de rationaliser sa gestion,
un projet de décret royal a été proposé le 22 novembre 1966 par le ministre de
tutelle pour faire de la RTM un établissement public doté de la personnalité
juridique et de l’autonomie financière. Ce projet a été remisé dans les tiroirs
et, depuis la loi de finances de 1968, la RTM est un simple service
administratif du ministère de la Communication doté d’un budget annexe12. Sans
remettre en cause le monopole d’État, le Roi Hassan II a initié deux projets
audiovisuels associant des capitaux privés marocains et étrangers.
13 Les 49 % restants sont détenus par des
Français.
9Le 28 mars
1978, lors d’une visite en France, Hassan II a décidé de créer une radio
franco-marocaine commerciale et confié la maîtrise d’ouvrage à la société
française SOFIRAD. Contrôlée à 51 % par des capitaux marocains13, cette radio
dénommée Médi 1 diffuse ses programmes depuis 1980, par alternance en arabe et
en français à destination du Maroc, du Maghreb et de l’étranger. Par son
bilinguisme réussi, elle est pionnière dans les mondes arabe et francophone.
Installée à Tanger au nord du pays, branchée, dynamique, caractérisée par un
ton vif et attractif et une grille au timing rigoureux, elle tranche par sa
vigueur avec l’archaïsme de la première chaîne, la RTM. La convention
franco-marocaine créant cette radio, tout comme le cahier des charges, sont
demeurés confidentiels. Par ailleurs, force est de constater que son statut
juridique demeure inconnu (les textes la réglementant n’ont jamais été publiés
au Bulletin Officiel du royaume).
10Elle
bénéficie de facto, sans justification légale, du monopole de la publicité
radiophonique dans tout le pays. Cette radio généraliste employant 34
journalistes à son siège, et ne disposant ni de bureaux ni de correspondants
locaux ou internationaux, reprend, dans ses journaux, les dépêches des agences
de presse internationales, principalement de l’AFP. Fermée à l’actualité
marocaine qui est traitée en à peine une à deux minutes dans ses principales
éditions, Médi 1 adopte, en revanche, un ton libre pour commenter l’actualité
internationale et exprime volontiers sa solidarité envers les grandes causes.
Pionnière dans ce domaine, cette politique éditoriale a été reprise depuis
quelque temps par les nouvelles chaînes de télévision satellitaires arabes
comme ANN, Al-Jazira, Al-Arabia qui traitent librement de l’actualité de tous
les pays arabes à l’exception de celle de leur pays d’origine.
14 L’audiovisuel marocain, principalement la
RTM, radio et télévision, compte des anchormen hors pair (...)
15 La supercherie des champs de pétrole à
Talsint à l’est du Maroc, l’affaire des schistes bitumineux (...)
11Dans la
foulée des débuts prometteurs de la radio Médi 1, Hassan II a confié une
nouvelle fois à la société française SOFIRAD, le soin de créer une chaîne de télévision
commerciale selon le même montage financier. Dénommée 2M International et
confiée, pour sa direction, à son gendre Fouad Filali, fils de son Premier
ministre d’alors, Abdellatif Filali, la deuxième chaîne de télévision
marocaine, cryptée et à péage, animée actuellement par 161 journalistes, a
sombré dans les déficits. Elle a vu ces derniers épongés par le Trésor public
sans en référer au parlement. Les actionnaires étrangers l’ayant quittée,
l’État n’a eu d’autre solution que de la racheter à hauteur de 80 %. D’un look
moderne, dynamique à l’image de Médi, elle est également sans bureaux ni
correspondants locaux ou internationaux. Volontiers libre pour traiter de
l’actualité internationale, elle demeure d’une grande discrétion sur le Maroc.
Son atout est d’avoir introduit des magazines et des débats publics. Ciblées,
orientées par le Makhzen et animées par des journalistes de confiance14, ses
émissions sont des « orgies » d’auto-flagellation et d’autosatisfaction qui
consistent dans le meilleur des cas à dénoncer des lampistes. Le Makhzen, sa
nomenklatura, ses abus et ses frasques ne sont jamais évoqués, même pour les
cas les plus flagrants qui ont fait la Une de la presse internationale15.
L’audiovisuel,
organe du Makhzen
16 Au Maroc, la redevance est annexée aux
factures d’électricité et calculée, avec un plafond, propor (...)
12Dans un
pays où la tradition était au libre parcours, le droit de propriété fait une
large part au domaine public. Patrimonialisé par le Makhzen, ce dernier peut
être exploité par l’entremise de sociétés publiques ou par des dignitaires
choisis par le Roi, moyennant des droits souvent symboliques. Dirigé depuis
toujours par des fidèles du régime (son directeur actuel est en poste depuis 19
ans), le Centre cinématographique marocain donne son autorisation pour
l’exploitation des films importés au Maroc et gère de façon souveraine le fonds
d’aide publique au cinéma marocain16.
13La radio
et la télévision sont gérées de la même façon. Quitte à ce que leur audience
baisse, que leur message ne passe plus et qu’elles demeurent financièrement
sous perfusion, leur mission reste invariablement la même : être la voix du
Makhzen. Tout comme le parlement, la justice ou le gouvernement, l’audiovisuel
est un « organe » de l’État.
14Dans un
pays majoritairement analphabète, sous développé, en déficit de démocratie et
en pénible voie de modernisation, l’audiovisuel constitue l’auxiliaire
principal du Makhzen. Servi par un personnel trié sur le volet et soumis à un
rituel de révérence, il est l’unique média traitant de l’actualité publique
marocaine. En raison de l’offre des chaînes satellitaires arabophones et
francophones qui proposent des programmes de variétés plus compétitifs, les
Marocains ne regardent les chaînes nationales que pour les deux principaux
journaux d’informations et quelques évènements sportifs. Seules quelques séries
brésiliennes, mexicaines et égyptiennes bénéficient encore d’une audience
soutenue.
15Soumises
au même rituel immuable depuis leur création, les deux chaînes de radio (RTM et
Médi 1) et de télévision (RTM et 2M) proposent en ouverture de leurs journaux
d’informations les activités officielles, quelle qu’en soit leur nature. Qu’il
y ait une catastrophe naturelle ou un sinistre majeur au Maroc ou dans un autre
pays, la hiérarchie éditoriale est de rigueur. Trois exemples illustrent le
traitement de l’information par les chaînes publiques :
17 L’édition du 26/11/2002 du journal
pro-makhzenien Le Matin du Sahara et du Maghreb,ainsi que sa ve (...)
16- Pendant
la quatrième semaine du mois de novembre 2002, des pluies diluviennes se sont
abattues sur le Maroc entraînant des inondations, des coulées de boues et
dévastant des zones agricoles et industrielles. À la suite de ces intempéries,
la plus grande raffinerie de pétrole du pays et d’Afrique a pris feu à
Mohammedia le 25 novembre 2002. Et pourtant les deux chaînes de télévision ont
ouvert leurs journaux de 20 heures par une causerie religieuse officielle17.
17- Les 10,
11, 12 et 13 juin 2003, le Maghreb et l’Europe du sud-ouest sont frappés
respectivement par des tempêtes de sable et des vagues de chaleur sans
précédent. Des canicules record pour la saison sont enregistrées à Rabat, Rome,
Paris et Lisbonne. Alors que l’événement faisait l’ouverture et l’essentiel des
journaux télévisés des pays européens, au Maroc, il a été relégué à la page météo
en fin de journal. Sur la RTM, Médi 1 et 2M, les journaux ont ouvert sur les
activités officielles.
18- Le soir
du 16 mai 2003, des attentats frappaient, pour la première fois et de façon
spectaculaire, la ville de Casablanca. Alors que la nouvelle circulait de
bouche à oreille et sur les téléphones portables et que les chaînes
satellitaires internationales en faisaient déjà état, le speaker de la RTM, à
la dernière édition du journal télévisé, l’air hébété, balbutiant, remâchant
ses mots annonça qu’un malheureux événement s’était produit au Maroc sans autre
précision. Il continua le journal comme si de rien n’était. Prise de court,
habituée aux directives éditoriales, la rédaction de la RTM n’avait,
apparemment pas, encore reçu d’instructions pour évoquer les attentats et ne
savait pas quel commentaire en faire.
Abrogation
du monopole : liberté des ondes ?
18 Voir le dossier « Divine Monarchie », Le
journal hebdomadaire, 30/11-6/12/2002, p. 6-13 ; voir aus (...)
19 Bulletin Officiel (version arabe) du
12/9/2003.
20 Bulletin Officiel (version française) du
5/9/2003.
19Dans la
foulée des espoirs suscités par la nomination du gouvernement d’alternance
dirigée par le socialiste Abderrahmane Youssoufi, les Marocains s’attendaient,
comme il l’avait lui-même déclaré lors de son discours d’investiture en 1997, à
ce que la libéralisation de communication audiovisuelle fasse partie de ses
chantiers prioritaires. Il n’en fut rien. En effet, l’audiovisuel, comme les
six ministères de souveraineté (Intérieur, Défense, Affaires étrangères, Habous
et Affaires religieuses et Justice et Secrétariat général du gouvernement) fait
partie du domaine réservé de la monarchie. Si, en vertu de l’article 45 de la
Constitution, les libertés publiques sont du ressort du parlement, le Roi,
commandeur des croyants18, dispose d’une latitude certaine pour intervenir dans
tous les domaines en vertu de l’article 19 du même texte. Profitant de la
vacance législative – le parlement étant en fin de mandat et les nouvelles
élections prévues pour septembre 2002 – le gouvernement édicte le 10 septembre
2002 un décret-loi abrogeant le monopole d’État sur la radiodiffusion19, tandis
que le Roi édicte le 31 août 2003 un dahir portant création de la Haute
Autorité de la communication audiovisuelle20.
20Sans
considérants constitutionnels ou de doctrine, ni motivation politique affichée,
le décret-loi met fin au monopole d’État datant de 1924, sans pour autant
ouvrir de jure l’audiovisuel à l’initiative privée, ni rappeler que la liberté
de communication audiovisuelle est partie intégrante de la liberté d’expression
telle que définie par les pactes internationaux et la Déclaration universelle
des droits de l’Homme. Or en septembre 1992, un amendement royal a été adopté
par référendum stipulant que le Maroc se devait de respecter « les droits de
l’Homme tels qu’ils sont consacrés par le droit international ».
21De plus,
la RTM qui incarnait le monopole d’État n’est pas restructurée. Entité de droit
public, elle est tacitement reconduite dans son statut et ses fonctions
makhzeniennes. La loi de finance de 2005 la gratifie du même budget et ne prend
pas acte du changement. Toutefois le 1er avril 2004, la RTM, transformée en
société de participation, devient, en vertu de la loi sur la communication
audiovisuelle, la Société nationale de radio télévision (SNRT). Son capital est
entièrement détenu par l’État, bien que le nouveau statut autorise une
participation privée dans le capital de ladite société. Mais en raison de sa
rentabilité incertaine, aucun opérateur privé ne s’est, pour l’instant,
présenté. Par ailleurs la SNRT diffuse cinq chaînes par satellite à l’audience
encore incertaine : Al Maghribia et TVM International (à destination de la
communauté marocaine à l’étranger), Arrabiaa (à vocation culturelle), TVM
Laayoune (locale, à destination du Sahara), Assadissa (programme religieux
diffusé entre 17 h et 22 h devant bientôt être accessible dans 2 000 mosquées
du royaume selon un vaste programme de « prédication télévisée » du pouvoir)
et, depuis le 18 novembre 2004, Al Rabia (destinée à la communauté marocaine
établie à l’étranger).
22Aucune
disposition n’est prévue pour clarifier le statut de la radio Médi 1 et la
télévision 2M, initialement données pour entités commerciales privées.
21 Or le 31/3/2003, le Parlement a adopté à
l’unanimité le décret-loi sans amendement ni clarificatio (...)
23La seule
nouveauté réside dans le fait que 2M et la SNRTont été regroupées au sein d’un
pôle public avec un PDG commun nommé par dahir. Le libéralisme escompté de ce
dahir ne s’étend pas aux autres secteurs de la communication audiovisuelle
comme la publicité et le cinéma qui, faute de dispositions expresses, demeurent
dans un vide législatif. Si le décret-loi dispose que « le parlement fixera
ultérieurement les conditions requises pour la création et l’exploitation
d’entreprises dans ce secteur », il n’en demeure pas moins que le texte
précise, qu’en attendant et comme mesure transitoire, la Haute Autorité de la
communication audiovisuelle créée par dahir et nommée par le roi, délivrera les
autorisations nécessaires à la création de radios et de télévisions privées21.
L’initiative royale demeure ainsi prépondérante et il y a lieu de croire
qu’elle le restera pour la suite du processus.
La Haute
Autorité de la communication audiovisuelle
22 Abdelmouhsine El Hassouni, « Quelle
indépendance pour les autorités de régulation ? », L’Économist (...)
24Alors
qu’en France, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) fait partie de la
nouvelle génération d’« autorités administratives et indépendantes » comme la
Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) et la Commission
d’accès aux documents administratifs (CADA) et fonctionnent comme telles grâce
aux garanties légales dont elles bénéficient, au Maroc, le dahir calqué sur la
loi française de 1989 créant le CSA, place la Haute Autorité marocaine sous
tutelle royale. Pour le texte, le tutorat royal est protecteur (3e considérant
du dahir). Pour la presse et l’intelligentsia makhzénienne, ce tutorat a pour
fin de garantir l’indépendance de l’Autorité à l’égard des partis politiques.
De son côté, la presse dite de gauche a applaudi l’initiative sans autre
commentaire. Quant à la presse indépendante, elle considère que les responsables
de l’institution créée par le dahir sont les obligés du Makhzen. Elle rappelle
à ce propos les soubresauts de l’Autorité de régulation des
télécommunications22.
25La Haute
Autorité de la communication audiovisuelle (HACA) se compose de deux organismes
: le Conseil supérieur de la communication audiovisuelle et la Direction
générale de la communication audiovisuelle.
23 Il s’agit d’Ahmed Ghazali (président), Naima
El Msharqui, Mohamed Naciri, Salah El Wadih et Elyas (...)
24 Leur mandat est de cinq ans renouvelable une
fois. Actuellement, il s’agit de Naim Kamal et Nour E (...)
25 Il s’agit respectivement d’El Hassan
Boukentar et Ahmed Abadi.
26Doté de
compétences consultative, politique, para-législative, para-réglementaire et
para-judiciaire, le Conseil dispose d’un budget inscrit à celui de la Cour
Royale. Il se compose de neuf membres : le président et quatre membres nommés
par le Roi23, deux sont proposés par le Premier ministre24 et les deux derniers
sont proposés25 respectivement par le président de la Chambre des représentants
et par le président de la Chambre des conseillers pour la durée et dans les
conditions de renouvellement du mandat prévu pour les membres proposés par le
Premier ministre. À la différence des autres membres, le mandat des cinq
personnalités nommées par le monarque est d’une durée illimitée et
indéterminée.
27La
Direction générale de la communication audiovisuelle joue un rôle très
important. Organe administratif du Conseil, elle est dirigée par un directeur
nommé par le Roi. Elle instruit les dossiers de demande de licence, contrôle
les diffuseurs, constate les infractions et applique les décisions du Conseil.
28La
création de la Haute Autorité de la communication audiovisuelle constitue
incontestablement en elle-même un événement au Maroc et dans le Monde arabe.
Toutefois, les personnalités nommées font l’unanimité contre elles. La HACA n'a
pas encore de site web et ses membres n’ont jamais publié leur curriculum
vitae, contrairement aux usages dans les instances analogues comme le CSA en
France, la Federal Communications Commission (FCC) aux États-Unis, le Conseil
de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) au Canada et
El Consejo Audiovisual de Navarra, en Espagne. Par ailleurs, il convient de
signaler qu’aucun membre de la HACA n’a travaillé dans le domaine de
l’audiovisuel.
L’attribution
de licences privées de radio et de télévision
29C’est une
première dans le Monde arabe à mettre à l’actif du Maroc. La HACA a accordé le
10 mai 2006 une licence de télévision satellitaire d’information générale et 10
licences de radios locales. De même, le 6 juin 2006, l’opérateur historique de
téléphonie fixe et mobile, Maroc Telecom, a lancé un bouquet de télévisions par
câble payant et à la carte à la veille de la coupe du monde de football.
30Cependant,
la décision de la HACA appelle quelques remarques :
26 Driss Bennani, « Audiovisuel : révolution sur
les ondes », Tel quel, 13- 19/5/2006, p. 8.
31- Elle a
mis du temps à prendre sa décision. Alors qu’elle devait annoncer l’octroi des
premières licences le 5 avril 2006, sa décision a été reportée, sans
explications, au 10 mai 2006. Contactés à ce sujet, les membres de la HACA
auraient précisé que les dossiers étaient au cabinet royal pour validation26.
32- De jure
comme de facto, avant d’accorder des licences, les autorités de régulation
procèdent à un appel à candidatures. Or au Maroc, la nouvelle a circulé
officieusement de bouche à oreille.
33- Il est
prévu par les textes que les candidats soient auditionnés, retenus ou recalés
sur la base d’un cahier des charges dûment établi et publié. S’agissant des
licences du 10 mai 2006, le cahier des charges de la HACA, ainsi que la
procédure d’attribution des licences, n’a pas été rendu public.
34- De
nombreuses fréquences de radio (FM) et de télévision restent au Maroc
inoccupées. En fait, il y a de la place pour des centaines, voire des milliers
de radios en FM et pour une dizaine de télévisions hertziennes classiques et
bien plus de télévisions terrestres numériques. Pourtant le communiqué de
presse de la HACA du 10 mai 2006 insinue que les fréquences sont rares.
35- L’unique
télévision autorisée, Médi 1 sat, clone audiovisuel de la juridiquement
controversée radio franco-marocaine Médi 1, est une télévision satellitaire.
Or, ayant la possibilité de passer outre les souverainetés nationales, les
télévisions satellitaires sont normalement soumises à des procédures souples
(simple conventionnement).
36- D’après
la presse écrite, la HACA, qui n’a pas rendu public ses critères de sélection,
était saisie de neuf demandes de création de chaînes de télévision et de 52 projets
de stations radio.
27 Voir Anonyme, « Le Maroc inaugure l’ère de
l’ouverture du secteur de l’audiovisuel » (en arabe), A (...)
37- Très
attendue et à maintes reprises reportées, la HACA a fait connaître sa décision
par un communiqué de presse discret. Sommaire, légaliste et s’en remettant à la
confiance du roi, il a été diffusé par la seule agence de presse officielle, la
Maghreb Arab Press, sans conférence de presse ni autre mode de communication.
Il a été repris avec quelques commentaires par la presse écrite27. Quant à la
la RTM, elle n’en a pas fait état dans ses journaux télévisés du 7 mai 2006.
38-
Contrairement aux usages des autorités de régulation audiovisuelle, le
communiqué de presse de la HACA ne donne pas l’identité des détenteurs de licences
et ne renseigne pas sur la nature de la chaîne de télévision, ni sur celle des
stations de radio autorisées.
28 Voir J. L. Miège, « Journaux et Journalistes
à Tanger », Hespris Tamuda, 1954, p. 190-228
39Une
plongée dans le passé du Maroc montre que l’histoire de la presse est un
éternel recommencement. À l’exception de la période précoloniale où la presse,
introduite par les étrangers, se limitait aux enclaves de Tanger et Tétouan
sous administration respectivement, internationale et espagnole28, les
gouvernants ont toujours su domestiquer les nouveaux médias pour en faire des
appendices de l’État. La presse, en tant que quatrième pouvoir, n’a
certainement pas été inventée par le Makhzen qui s’est contenté d’en faire son
auxiliaire.
Notes
1 Voir M. Flory et R. Mantran, Les régimes
politiques des pays arabes, Paris, PUF, 1968 ; M. Flory, B. Korany et al., les
régimes politiques arabes, Paris, PUF, 1992 ; Philippe Droz-Vincent, Pouvoirs
autoritaires, sociétés bloquées, Paris, PUF, coll. « Moyen-Orient », 2004.
2 Gilbert Achcar, « Avec la complicité de
l’Occident, Le Monde arabe orphelin de démocratie », Le Monde diplomatique,
juin 1997, p. 7 ; Ghassan Salamé (dir.), Démocraties sans démocrates :
politique d’ouverture dans le Monde arabe et islamique, Paris, Fayard, 1994.
3 Voir les sites web : www.maghreb-ddh.org,
www.amnesty.org, www.fidh.org/article ; www.hrw.org/arabic/reports/2005/morocco
; www.amdh.org.ma.
4 Attentats de Casablanca du 16/5/2003.
5 Khadija Mohsen-Finan, « Espoirs déçus au
Maghreb », Atlas du Monde Diplomatique, 2006, p. 118.
6 Le pouvoir monarchique.
7 Le taux de pénétration de la presse écrite au
Maroc est de 13 exemplaires pour mille habitants d’après la société de
distribution SAPRESS elle-même. (En Algérie et en Tunisie, il avoisine
respectivement les 48 et 38 pour mille habitants) ; voir Mohamed Abderrahmane
Berrada, La presse écrite au Maroc (en arabe), Éd. Stouky, 2002, p. 24. Le
tirage quotidien est de 250 000 à 300 000 exemplaires. La moyenne mondiale est
de 98 pour mille. Le taux de pénétration minimum préconisé par l’UNESCO est de
120 exemplaires pour mille habitants. En Norvège, il est de 598, à Singapour de
380, en République tchèque de 202 et en France de 153. Voir à ce propos
l’Association mondiale des journaux sur le site web de l’UNESCO :
http://portal.unesco.org/ci/fr/ev.phpURL_ID=9020&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html.
8 Le taux d’analphabétisme au Maroc est de 50 à
56 %.
9 La vie culturelle (théâtre, concerts, cinéma
et sorties nocturnes) est limitée au Maroc. Le pays compte environ 360
représentations en salle par an (le plus souvent des pièces de théâtre).
10 L’équipement en postes de télévision et
récepteurs satellitaires coûte, selon les modèles, aux environs de trois fois
le SMIG au Maroc.
11 Voir à ce sujet Ahmed Reda Benchemsi, «
Interviewer le roi », Demain Magasine, n° 65, 25-31 mai 2002, p. 10. Article
paru initialement, une semaine auparavant, dans le magasine Tel Quel dont
l’auteur est le directeur.
12 Pour plus de détails voir Ahmed Hidass et
Mohamed Abderrahime, « La régulation de l’audiovisuel au Maroc », in C.
Debbasch et C. Gueydan, La régulation de la liberté de la communication
audiovisuelle, Paris, Economica, Aix-en-Provence, Presses universitaires
d’Aix-Marseille, 1991, p. 57-70.
13 Les 49 % restants sont détenus par des
Français.
14 L’audiovisuel marocain, principalement la
RTM, radio et télévision, compte des anchormen hors pair. En poste depuis plus
de 30 ans, ils officient pour les sorties officielles et manient très bien la
langue de bois.
15 La supercherie des champs de pétrole à
Talsint à l’est du Maroc, l’affaire des schistes bitumineux, celle de l’actuel
ministre des Affaires étrangères, la question de l’achat de l’ambassade du
Maroc à Washington, les affaires de la Cour et du harem, l’affaire de l’îlot
Leila, etc. n’ont pas été traitées. Les Affaires étrangères étant du domaine
réservé du Roi, la presse marocaine (surtout la radio et la télévision) s’est
contentée de reprendre les slogans officiels au sujet du débarquement espagnol
musclé dans cette île située à jet de pierre de la côte marocaine.
16 Au Maroc, la redevance est annexée aux
factures d’électricité et calculée, avec un plafond, proportionnellement au
montant desdites factures. Le montant de la taxe sert à financer la télévision
publique et à alimenter le fonds d’aide au cinéma.
17 L’édition du 26/11/2002 du journal
pro-makhzenien Le Matin du Sahara et du Maghreb,ainsi que sa version en arabe
Sahara, ne fait état ni d’intempéries ni de sinistres. Ce journal traite à sa
Une en quadrichromie les activités officielles.
18 Voir le dossier « Divine Monarchie », Le
journal hebdomadaire, 30/11-6/12/2002, p. 6-13 ; voir aussi : Abdallah Hammoudi
et Rémy Leveau, Monarchies arabes. Transitions et dérives dynastiques, Paris,
La Documentation Française, 2002.
19 Bulletin Officiel (version arabe) du
12/9/2003.
20 Bulletin Officiel (version française) du
5/9/2003.
21 Or le 31/3/2003, le Parlement a adopté à
l’unanimité le décret-loi sans amendement ni clarification.
22 Abdelmouhsine El Hassouni, « Quelle
indépendance pour les autorités de régulation ? », L’Économiste (Casablanca),
25/4/2003, p. 1 et 16.
23 Il s’agit d’Ahmed Ghazali (président), Naima
El Msharqui, Mohamed Naciri, Salah El Wadih et Elyas El Omari
24 Leur mandat est de cinq ans renouvelable une
fois. Actuellement, il s’agit de Naim Kamal et Nour Eddine Afaya.
25 Il s’agit respectivement d’El Hassan
Boukentar et Ahmed Abadi.
26 Driss Bennani, « Audiovisuel : révolution sur
les ondes », Tel quel, 13- 19/5/2006, p. 8.
27 Voir Anonyme, « Le Maroc inaugure l’ère de
l’ouverture du secteur de l’audiovisuel » (en arabe), Al Ahdath Al Maghribiya,
11/5/2006, voir la Une et la dernière page.
28 Voir J. L. Miège, « Journaux et Journalistes
à Tanger », Hespris Tamuda, 1954, p. 190-228
Pour citer
cet article
Référence
papier
Ahmed
Hidass, « La régulation des médias audiovisuels au Maroc », L’Année du Maghreb,
II | 2007, 539-547.
Référence
électronique
Ahmed
Hidass, « La régulation des médias audiovisuels au Maroc », L’Année du Maghreb
[En ligne], II | 2005-2006, mis en ligne le 08 juillet 2010, consulté le 26
décembre 2013. URL : http://anneemaghreb.revues.org/163 ; DOI :
10.4000/anneemaghreb.163
Auteur
Ahmed Hidass
Professeur
(droit des médias, propriété intellectuelle, relations internationales),
Institut Supérieur d’information et communication, Rabat, Maroc