La fonction symbolique de l’interface entre journalistes et
public est celle du « médiateur de presse ».
Dès 1809, le parlement de Suède crée un poste de «
protecteur du citoyen » (ombudsman) pour
garantir l’équité des décisions administratives. Le concept a ensuite été transposé pour conduire à la
création de représentant ou de défenseur des lecteurs. En 1970 aux Etats-Unis,
le « Washington Post » met en place un journaliste qui fera office
d’intermédiaire entre la rédaction et le public. Il reçoit les commentaires et
les plaintes qu’il traite en menant une enquête à l’intérieur de la rédaction
puis donne une réponse au plaignant.
Mais le principe de « médiation » n’appartient pas à la
tradition socioculturelle française. Elle n’a été introduite qu’en 1973 par
Jacques Chaban-Delmas qui, dans son projet de « nouvelle société » désigne un «
médiateur » pour rapprocher le pouvoir public des administrés. La fonction est en développement constant
depuis les 20 dernières années, dans l’administration comme dans l’entreprise.
Moins normatif et moins procédural que « l’ombudsman »
américain ou canadien, le « médiateur » français se conçoit comme un «
facilitateur de dialogue », il ne fait pas d’enquête formelle qui rechercherait
« la faute » et ne donne pas d’avis tranché. Aucune sanction n’est imaginable
et donc aucune procédure d’appel n’est accessible à un plaignant qui ne serait
pas satisfait de la réponse. Le médiateur propose éventuellement au journaliste
concerné de venir donner quelques explications, c’est plus généralement le
système global qui est décrypté dans sa globalité.
Le dispositif français repose donc sur la bonne volonté du
médiateur qui choisit un thème et du journaliste qui répond ou pas.
La France a du attendre 1994 pour que Jean-Marie Colombani
impose au quotidien « Le Monde » un médiateur. Le poste est certes prestigieux
mais pas de tout repos, il le confie à son prédécesseur André Laurens, à
l’époque toujours salarié du journal du soir.
En France on y trouve des « médiateurs » :
- Le Monde
- France 2 (1998)
- France 3 (1998)
- Radio France Internationale (1998)
- La Nouvelle République du Centre Ouest
- La Dépêche du Midi (2001)
- RFO (2002)
- Radio France (2002)
- Le Midi libre (2004)
- Paris-Normandie et les journaux associés du « pôle normand
» de France-Antilles (2006)
« La médiation doit être analysée comme une réponse
stratégique à une perte d’influence et pas seulement comme partie prenante
d’une conception « citoyenne » de l’information. Il faut aussi faire une part à
la « judiciarisation » croissante de la société : le médiateur constitue un
filtre avant le droit de réponse et les procédures devant les tribunaux. » Yves
Agnès (ancien rédacteur en chef du Monde) a rédigé la première longue enquête
sur les médiateurs de France.[1]
« Soyons clairs, la mise en place d’un médiateur relève du
fait du prince. Le patron d’un média décide, la rédaction fait avec et le
médiateur commence par rechercher auprès d’elle sa légitimité. » Loïc Hervoet
(médiateur à RFI). Il n’existe aucun média où des journalistes aient manifesté
de l’enthousiasme ou même un quelconque intérêt pour la création de ce poste.
En miroir, le public ne le réclame jamais non plus. L’apparition d’un médiateur
relève d’un acte individuel et politique très volontaire.
Le statut du médiateur en France reste très faible, il est
notamment payé par le média. Pas facile d’être juge et partie.
Les médiateurs sont jusqu’à présent de plus ou moins jeunes
retraités. Ils ont souvent longtemps travaillé à l’intérieur du média qui les
propulse à cette fonction valorisante. Loïc Hervoet à RFI ou Patrick Pépin à
Radio-France, tous les deux anciens directeurs de l’Ecole Supérieure de
Journalisme de Lille restent très impliqués dans les débats qui agitent la
profession ; ils font figure d’exception.
Chaque médiateur modèle son poste à sa convenance, en
décidant vite s’il accepte ou pas les inconvénients qui vont avec l’audace de «
titiller » la rédaction. Il faut accepter le risque de se faire « mal voir » de
ses confrères qui peuvent vite se sentir agressés. Le médiateur peut facilement
passer pour un « donneur de leçon », un « démagogue qui donne toujours raison
au public » et même « un traître ». Le journaliste n’a aucune culture critique,
ce n’est pas là son moindre défaut.
Tous les médiateurs semblent se battre pour maintenir voire
augmenter la visibilité de leur travail à l’intérieur même du média en tentant
de grignoter quelques lignes de plus, une périodicité accrue ou un temps d’antenne
plus long. Cette visibilité semble primordiale par rapport au public mais aussi
par rapport aux journalistes eux-mêmes.
Comment ces médiateurs définissent-ils leur fonction ? Petit
florilège de citations extraite du rapport d’Yves Agnès : « Je suis le bureau
des pleurs fondés », « une interface », « une alerte », « un pare-feu », « une
espèce d’intercesseur », « un Monsieur Bons Offices » « je ne suis pas un juge
», « un passeur des préoccupations de la rédaction », « j’ai un peu le statut
de sage », « un rôle de vigilance et de
prise de conscience chez les journalistes »…
La présence d’un médiateur crée un appel d’air qui fait
toujours augmenter significativement les courriers (courriels à 90% maintenant)
des lecteurs/ auditeurs/ téléspectateurs.[2]
Les médiateurs insistent dans leur majorité sur les
conséquences de leur intervention qui oblige les journalistes à mieux
travailler en étant saisis de questions réelles souvent non traitées
spontanément. En parallèle, l’interface comporte un aspect pédagogique et
contribue à faire connaître au public les contraintes des pratiques
journalistiques. Il ne faut pas sous-estimer le rôle de « médiation du
médiateur » à l’intérieur même de la rédaction. Il passe d’un journaliste à
l’autre, il discute aussi avec l’encadrement, il est régulièrement sollicité
comme « monsieur déontologie » pour des questions individuelles précises. Bref
il anime, il provoque une dynamique. Les Sociétés De Journalistes le
considèrent souvent comme un allié, il est plus souvent en désaccord avec la
haute hiérarchie qu’avec les journalistes de base.
Les médiateurs restent en revanche très prudents sur
l’évaluation de leur travail en termes d’amélioration de la qualité de
l’information. Yves Agnès tire pourtant deux conclusions positives de la
présence de médiateurs : « A partir d’une préoccupation patronale de rapprocher
le média de son public et de lui donner plus de crédibilité, on a abouti à un
résultat tangible incontestable : l’expression critique du public non seulement
devient possible mais peut aussi être prise en compte par certains médias.
D’autre part, la présence du médiateur, son rôle de « garant de la déontologie
» sont de mieux en mieux perçus. Il est – ou peut être – un garde-fou efficace
pour une rédaction qui veut jouer le jeu. Avec de la diplomatie et de la
fermeté, il ancre peu à peu dans les esprits l’idée que certaines erreurs ne
doivent plus être commises, que le public est de plus en plus exigeant et que
les journalistes doivent être à la hauteur de cette exigence. Son existence et
son action sont un rappel permanent à la responsabilité individuelle et
collective. »
Les médiateurs français viennent de se monter en « club » et
se réunissent maintenant tous les deux mois. Une dynamique vertueuse semble
lancée.
[1]
http://www.alliance-journalistes.net/spip.php?rubrique59
[2] Le Midi libre :
environ 200 messages par mois ; France 2 : 5200 par mois au premier semestre
2005 ; France 3 : environ 1200 par mois, Radio France : environ 500 par mois