La creation,
a partir de 1994, d’une dizane de postes mediateurs de presse dans les quotidiens et dans l’audiovisuel public c’est une reponse ala meiance envers les medias
encore timide
Un Français sur deux ne fait pas confiance aux médias pour
lui fournir des informations fiables [1]. La crédibilité des journalistes est
l’une des questions majeures du système médiatique. Elle est pourtant absente
des réflexions et des propositions de la plupart des dirigeants de presse comme
des hommes politiques.
Dominique Baudis, président du CSA, a voulu secouer le
cocotier en
évoquant la nécessité d’un code déontologique et d’une
instance de contrôle chargée de
le faire respecter dans la profession [2]. Protestations ou
silence dans les rédactions...
Sujet tabou. Une position constante depuis... 1898, quand
cette question fut soulevée
pour la première fois.
Quelques médias ont pourtant pris conscience, depuis une
douzaine d’années, de ces manquements qui sapent jour après jour la confiance
du public. Des chartes déontologiques ont été adoptées. L’instauration des «
médiateurs de presse » est aussi une réponse. La nouvelle charte de Radio
France Internationale rappelle que leur
« raison d’être est de conforter la crédibilité » des
médias. Le médiateur, fonction inaugurée au Washington Post en 1970, est un
journaliste chevronné, issu de la rédaction, chargé notamment d’entendre les
griefs du public sur le traitement de l’information, de s’en faire l’écho
auprès des journalistes et de donner son avis sur les problèmes soulevés (grâce
à une chronique ou une émission). En toute indépendance, en théorie, c’est le
principe de la médiation.
Le premier médiateur français a été nommé au Monde en 1994.
L’audiovisuel public a suivi à partir de 1998, après l’incitation du ministre
de la Communication de l’époque, Catherine Trautmann [3]. Ces dernières années,
la presse quotidienne régionale, confrontée à un effritement chronique de sa
diffusion, s’est intéressée à son tour aux médiateurs : Midi Libre a le sien
depuis 2004, Paris-Normandie depuis le printemps
2006. D’autres titres se sont interrogés. Dix médiateurs de
presse sont actuellement en fonction [4]. C’est bien peu.
Chaque fois qu’un poste est créé, on le doit à une volonté patronale
et non à une pression des journalistes. Jean-Marie Colombani au Monde,
Jean-Michel Baylet à La Dépêche du Midi, etc. Le nouveau patron de France
Télévisions, Patrick de Carolis, est intervenu pour confirmer le médiateur à
France 2 et renforcer la fonction à RFO. Les journalistes, eux, dans leur
majorité, ont au départ toutes les peines du monde à supporter le regard
critique des lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs, sur leur travail. Les
syndicats ou les sociétés de journalistes ne se sont pas battus pour créer les
postes
de médiateur, ils les ont toutefois appuyés ensuite.
« Les relations des
médiateurs avec les rédactions ne sont pas toujours au beau fixe. Les plus
réfractaires sont les membres de la hiérarchie. »
Sur quoi portent les critiques du public ? La plupart des
courriers (essentiellement des courriels désormais) reçus par les médiateurs
sont récurrents : violence des images à la télévision ou des photos de presse,
gros sujets d’actualité (Outreau, banlieues...), critique de la politique
éditoriale (parti pris, hiérarchie de l’info, etc.), respect des personnes,
informations erronées, forme (langue, orthographe, titres, bidonnages, mélange
d’images d’actualité et d’archives, etc.)... Mais le ton diffère selon le
média. Souvent acerbe ou ironique au Monde et à France 2, par exemple, il l’est
beaucoup moins à l’égard de la presse dite « de proximité », France 3 et les
journaux de la PQR.
La forte croissance des courriers reçus par les médiateurs,
lorsque leur fonction est installée dans la visibilité, témoigne d’une demande
également forte des publics à être considérés par les journalistes comme des
partenaires qui ont leurs exigences et non comme des gêneurs. Patrick Pépin
(Radio France) résume ce que ressentent les quatorze médiateurs et anciens
médiateurs que nous avons interrogés : « Si vous voulez qu’on vous écoute,
écoutez-nous. » « Ils nous demandent simplement de faire correctement notre
métier », ajoute-t-il. Les critiques, parfois musclées, ne sont pas une
contestation radicale des médias, à la manière de certains sites sur Internet.
Elles témoignent au contraire non seulement d’un intérêt pour l’information
mais d’un attachement au titre ou à la chaîne.
Le plus grand mérite des médiateurs est de prendre (enfin ?)
en considération ces publics. Le premier succès de la fonction de médiateur est
là, et concourt à la restauration de la crédibilité. Répondre au courrier.
Donner ouvertement la parole pour exprimer ses critiques. Ce besoin de
reconnaissance est tellement fort que la réponse personnalisée suffit bien
souvent à contenter un lecteur, auditeur ou téléspectateur irrité.
Le médiateur sera d’autant mieux respecté à l’extérieur, sa
fonction totalement reconnue, qu’il saura donner tort publiquement à son média
ou à un confrère. Le sentiment est en effet largement répandu (et pour
cause...) que, quelle que soit l’erreur ou la faute du journaliste, il est
absous. Et c’est là que le bât blesse. Si le médiateur se voit comme « un
double avocat, des lecteurs vers la rédaction et de la rédaction vers les
lecteurs » (Jean-Claude Escaffit, éphémère médiateur de l’hebdomadaire La Vie),
il penche naturellement vers la seconde partie de la proposition. Sa position
est inconfortable, tiraillé entre deux extrêmes : « chargé de communication »
de son entreprise ou « porte-parole » du public auprès de la rédaction.
« La forte croissance
des courriers reçus par les médiateurs témoigne d’une demande également forte
des publics à être considérés comme des partenaires et non comme des gêneurs. »
Comment s’en sort-il ? Parfois dans la douleur. « On me
voyait en interne comme une espèce de flic, d’inspecteur », regrette Albert-Max
Briand, ancien médiateur à RFO. « J’ai
failli démissionner plusieurs fois, constatant que personne
ne m’écoutait, que je ne servais à rien », témoigne Jean-Claude Allanic, ancien
médiateur de France 2. Son successeur Christian-Marie Monnot n’est pas en reste
: « Pendant les deux premiers mois, j’ai eu un immense doute. Sommes-nous
vraiment si mauvais ? Si approximatifs ? Si négligents ? Si peu à l’écoute ?...
»
La plupart d’entre eux mettent en avant leur rôle d’«
interface », de « point d’ancrage », de « sage », « d’alerte », et tous
insistent sur la retenue dont ils doivent faire preuve vis- à-vis des
journalistes. « On m’a remis la bombe atomique, je ne dois pas abuser de mon
pouvoir », confie Robert Solé (Le Monde), « Ce n’est pas à moi de faire de
procès de la rédaction » (Christian-Marie Monnot, France 2), « Je ne suis pas
un juge, je n’ai pas envie de dévaloriser le travail de mes confrères »
(Olivier Clerc, Midi Libre).
Le médiateur, issu des cadres de la rédaction [5] et payé
par l’entreprise, a toujours tendance a priori à justifier la conduite de ses
confrères et de son média. Diverses études nord-américaines montrent que la
fonction de médiateur favorise ainsi davantage la compréhension mutuelle entre
journalistes et publics que la critique des pratiques professionnelles [6].
Tous les médiateurs français confessent qu’ils ont le souci de faire sans cesse
de la pédagogie à l’égard de ces publics, de leur expliquer à travers leurs
réponses les contraintes de la fabrication de l’information. Ce n’est pas
inutile.
Les relations avec les rédactions ne sont pourtant pas
toujours au beau fixe. Les plus réfractaires sont les membres de la hiérarchie.
Le médiateur dérange. A ses débuts de médiateur pour La Dépêche du Midi, Henri
Amar a eu des difficultés avec les directeurs départementaux, jaloux de leurs
prérogatives. Celles de Robert Solé, au Monde, avec l’ancien directeur de la
rédaction Edwy Plenel sont notoires. A La Vie, un nouveau directeur de la
rédaction a réussi à faire supprimer le poste quatre ans après sa création en
1999. A France 2, la fronde est venue de la haute hiérarchie et des
présentateurs vedettes... La « base », en revanche, au bout d’un moment,
s’habitue et comprend
l’utilité de la fonction.
Même s’il n’est jamais agréable de se faire parfois rappeler
à l’ordre. « Il y a une grande susceptibilité chez les journalistes, note
Olivier Clerc à Midi Libre. Mais ils comprennent et disent souvent que cela les
aide à avancer. » « Lorsque j’exige un droit de réponse, la leçon porte et
ensuite on est plus vigilant », confirme Henri Amar. Les interventions en privé
ou en public (chronique, émission) d’un médiateur ont « un effet dissuasif »,
estime Robert Solé. Elles incitent à une plus grande
prudence « parce qu’il n’y a plus d’impunité », analyse Didier Epelbaum,
premier médiateur de l’audiovisuel à France 2.
On est encore loin du but. Les résultats obtenus par les
médiateurs sur la qualité de l’information sont encore modestes, «
homéopathiques », observe Marie-Laure Augry (France 3). Mais ils sont
palpables. D’autant que, de fil en aiguille, le médiateur devient un « Monsieur
déontologie », que l’on vient consulter amicalement. Sa position « hors
hiérarchie » y aide.
N o t es
[1] Baromètre annuel
de TNS-SOFRES pour La Croix et Le Point, janvier 2006.
[2] Jeudi 6 avril
2006 devant la commission parlementaire sur l’affaire d’Outreau.
[3] Déclaration au cours d’un colloque de Reporters sans
frontières en novembre 1997, puis lettres aux présidents de chaînes.
[4] Le Monde, La Nouvelle République du Centre-Ouest, La
Dépêche du Midi, Midi Libre, Paris-Normandie (et titres associés), France 2,
France 3, RFO, Radio France, RFI.
[5] Sauf à RFI avec Noël Copin, venant de La Croix, et
maintenant Loïc Hervouet, ancien directeur général de l’Ecole supérieure de
journalisme de Lille, tous deux retraités.
[6] Voir notamment « L’ombudsman de Radio-Canada, protecteur
du public ou des journalistes ? », Marc- François Bernier, Les Presses de
l’Université Laval, 2005