la TenTaTion sChiZoPhrène du médiaTeur
Dans son livre « Les journalistes et leur public : le grand malentendu », Jean-Marie
Charon, sociologue des médias français,
s’interroge
sur la capacité des médiateurs à trancher
entre
la défense du public et
les explications pour excuser les journalistes.
A trop vouloir
expliquer
les choses aux lecteurs,
les pressions et l’urgence dans lesquelles les journalistes travaillent,
le médiateur ne devient-il pas un fournisseur d’alibi
pour les journalistes ? Le défenseur des journalistes auprès
du public ?
« La tentation naturelle serait de défendre la rédaction, mais je suis du signe de la balance, j’espère avoir suffisamment de justesse pour ne pas céder à cette tentation. Mon rôle est surtout d’être
diplomate, d’avoir un esprit ouvert et apaisant » dira le
médiateur de L’Est
Républicain.
« Il est difficile d’être juge et partie » constate Marie-Laure Augry, la médiatrice
de France 3.
« défenseur » des lecteurs…
C’est le nom qu’ont
choisi de porter certains médiateurs. En Espagne, le
« defen-
sor del lector » s’engage bien à « protéger » le lecteur du quotidien
de référence El
Pais, en vérifiant que les informations du journal respectent les règles
de déontologie du journalisme.
Au Brésil,
C.T. Costa, le premier ombudsman de la Folha de São Paulo défend cette
position dans sa première chronique.
Il écrit et signe : « Dorénavant, n’ayez pas de
doute.
Si vous vous sentez
blessé
dans
votre droit
de lecteur, prenez contact avec l’ombudsman.
Il est payé pour vous défendre
».
le médiateur panse les blessures et guérit le lecteur lorsqu’il est en mal avec son journal.
Marie-Laure Augry, reconnaît volontiers dépenser beaucoup d’énergie pour
« démontrer aux journalistes que le téléspectateur n’est pas un éternel râleur qui
ne connaît rien. Qu’en fait il est informé, très au courant des choses.
Qu’il est plus intelligent que ce que les journalistes croient ». Le dire, le faire admettre, c’est aussi
défendre le téléspectateur.
Une défense
qui peut
prendre une
tournure
juridique,
en Suède
par exemple.
Ces
dernières années, les ombudsmen ont reçu en moyenne 400 plaintes par an.
La plupart de ces plaintes concernent la couverture des faits divers ou la violation
de vie privée. 10 à 15% des plaintes formulées dénoncent le non respect des règles
déontologiques établies par le Conseil de presse suédois.
Plus de la moitié
des plaintes ne feront pas l’objet de poursuites judiciaires : après négociations, le journal
accepte de publier
un démenti, rectificatif ou droit de réponse. Une condamnation à
moindre mal pour le média. La justice règle les autres cas et peut imposer des sanc- tions
financières.
…ou des journalistes ?
« Le lecteur doit savoir
que quelqu’un, à plein temps,
est là pour l’écouter » mais aussi « pour expliquer le fonctionnement du journal ». Olivier Clerc, au Midi Libre,
se retrouve souvent entre deux chaises, comme nombre de médiateurs.
Un lecteur, déçu d’une réponse,
lui a un jour clairement reproché d’être du côté de la rédaction :
« Vous expliquez les choses et puis au bout du compte
vous excusez le journal ».
Ecouter le lecteur, c’est primordial. Mais la course à l’information, la concurrence
entre les médias, la pression,
le manque de temps… peuvent finir par, non seulement expliquer
mais justifier, puis absoudre
la négligence ou la faute.
Et faute avouée…
« Je suis là pour établir une relation de confiance
entre le lecteur et le quotidien régional. Pour expliciter les difficultés, les problèmes,
les objectifs, la démarche, les fondements de la ligne éditoriale. » L’Est Républicain en pleine mutation développe sa
présence sur Internet. La presse quotidien ne bouscule ses habitudes. Fini le temps du bouclage à une heure précise pour permettre l’impression. Il est toujours temps de publier en ligne une information ou les premiers éléments
d’un
article que le lec- teur pourra
lire le lendemain en kiosque. L’instantanéité devient la règle,
parfois au mépris de toute réflexion. Même rythme pour les radios et les télévisions.
L’heure du générique
du Journal Télévisé n’est plus la dead line. Les rushes23 diffusés sur un site
internet peuvent devenir plus importants que le reportage lui-même. Avec toutes les dérives
possibles que de tels procédés peuvent engendrer.
saisi par le public, le médiateur peut facilement devenir un fournisseur d’alibi.
Le médiateur connaît
les causes des dysfonctionnements, il peut les exposer. A lui
de trouver le ton juste et le juste engagement pour ne pas les excuser ni les banaliser
« parce que le système, critiquable certes, fonctionne ainsi ». Jean-Claude Allanic, en quittant la fonction de médiateur de France 2, a déploré cette fonction d’alibi qu’il ne supportait plus d’endosser.
Une défense
qui peut
prendre une
tournure
juridique,
en Suède
par exemple.
Ces
dernières années, les ombudsmen ont reçu en moyenne 400 plaintes par an.
La plupart de ces plaintes concernent la couverture des faits divers ou la violation
de vie privée. 10 à 15% des plaintes formulées dénoncent le non respect des règles
En Afrique du Sud, l’ombudsman déplore, lui, son incapacité à « réparer » les fautes,
qu’il a classées en huit catégories :
• manque de précisions dans les étapes de vérification des faits et pas de point
de vue contradictoire
• manque de précisions sur la possible complaisance face à certaines « affaires »
et les allégations exprimées contre des entités ou des institutions
• orientation des reportages fondées sur des préjugés et des convictions
(concernant la nationalité, la race, l’ethnie, l’orientation sexuelle…)
• mélange entre les faits et les opinions
• influence de transactions commerciales
• refus de publier les lettres des plaignants
• violation de la vie privée
• blasphème, injure, sensationnalisme, violence et
nudité
Les manquements
dénoncés ici concernent les bases fondamentales
du journa- lisme. Et l’ombudsman sud-africain de constater avec désolation : « ces erreurs sont
à l’origine de préjudices impossibles à réparer
par de simples excuses ».
Le médiateur défend donc le public mais s’avoue finalement
impuissant quand il s’agit d’aborder l’ultime étape : celle de la réparation.
la recherche de la qualité
Le médiateur se révèle donc légitime dans son rôle de justicier. Sans devenir juge,
sans devenir flic. Ni avocat des journalistes, ni avocat des auditeurs mais avocat de l’information.
Et Loïc Hervouet, médiateur
de RFI de rappeler qu’il est
avant
tout le « défenseur de la bonne pratique journalistique ». Le médiateur, tel que l’a conçu Noël Copin à RFI, « n’est pas un professeur de morale. Il n’est pas un donneur de leçons ». Je suis
« tout sauf un gardien de la déontologie
ou un procureur. Je me vois plutôt comme
une balise de sécurité », explique Marie-Laure Augry, médiatrice
de France 3.
Dans son enquête sur les médiateurs de presse français, Yves Agnès note qu’à chaque médiateur correspond une façon d’exercer ses fonctions. Question de per- sonnalité : la médiation devient alors « plus ou moins incisive, la rédaction plus ou moins ménagée, l’activité du médiateur plus ou moins intense ».
Plus proche des lecteurs que les journalistes
Le médiateur, par fonction, reçoit davantage de plaintes que de compliments. C’est lui qui réceptionne grognements et coups de gueule : « Votre information est lamentable » (à propos de la crise des banlieues
françaises en novembre 2005)
« Arrêtez de faire campagne pour le oui » (à propos du référendum français sur le
traité
constitutionnel européen)
…24
Les réactions arrivent
isolées ou en cascade, épidermiques, instantanées.
Celles qui s’accumulent finissent même par ressembler à un baromètre d’opinion.
Le médiateur se méfie de celles qui arrivent par centaines : trop nombreuses, les
critiques peuvent être orchestrées par des groupes de pression.
Le médiateur averti
préférera donc la qualité à la quantité.
Toutes ces réactions sont le reflet de l’évolution de la société, « le révélateur de ses
failles », diront les médiateurs.
Certains d’entre eux n’ont pas été surpris du « non » massif lors du référendum
français du 29 mai 2005.
Ils avaient vu se dessiner, depuis des mois, la rupture
entre
la classe politique, les journalistes
et les citoyens.
Et puis les journalistes sont difficilement joignables, qu’ils se trouvent « sur le ter-
rain » ou dans leur rédaction. Ne sachant pas à qui s’adresser pour faire une proposi- tion
de sujet, Joëlle Delaere a ainsi contacté la médiatrice de France 3. Son courriel,
réorienté vers l’une des rédactions régionales,
a été traité par un journaliste qui a fina-
lement tourné un reportage. Le médiateur devient l’un des vecteurs de proximité.
L’ombudsman-régulateur défend le lecteur contre des erreurs du journal ? Sa
réponse est juridique avec l’appui d’un
Conseil de presse ou d’un tribunal.
Le médiateur-conciliateur défend le lecteur au sein de la rédaction ? Sa réponse est l’écoute et la prise en compte de l’avis du public, parfois contre celui de la rédaction.
les PoinTs Communs
le grand Zorro est indépendant
Condition indispensable pour exercer une médiation de qualité : l’indépendance.
C’est un refrain repris en chœur par tous les médiateurs. Ils se sentent libres et
sont
investis de
la confiance de leur hiérarchie.
Un justicier n’a qu’une
devise « même pas peur, même pas mal ».
Et pourtant …La plupart d’entre eux est nommée par la direction générale. La
création de leurposte
dépend avant tout de la volonté
patronale.
Ils sont aussi, pour la grande majorité d’entre eux, directement
rémunérés parleur média.
« une fonction
délicate en temps de crise. »
robert solé
L’indépendance est quand même
plus simple et plus évidente pour
certains
médiateurs que pour d’autres.
Emmanuel Schmutz, médiateur
de la Radio Télévision Suisse
Romande,
n’y
est
pas salarié. Son activité professionnelle principale n’a rien à voir avec la presse, un
éloignement qu’il considère nécessaire à sa totale liberté. Il n’intervient que lorsqu’il
est saisi ; il est alors
rémunéré au cas par cas (une douzaine en 2006).
Au Guardian, l’ombudsman
dépend directement du groupe propriétaire du jour-
nal. Le rédacteur en chef n’a aucun droit ni pouvoir sur lui. Seul un vote majoritaire au sein
du groupe propriétaire pourrait décider
de sa révocation. Une « garantie d’indé-
pendance indispensable » selon le quotidien. Pendant huit ans, Robert Solé, ancien médiateur du Monde, reconnaît que la direction
lui a laissé une entière liberté :« J’ai
pu faire écho aux critiques des lecteurs, en les reprenant souvent à mon compte ; j’ai pu m’exprimer sur les choix rédactionnels, le contenu ou la présentation
des articles, la justesse des titres, la pertinence de l’argumentation,
la place faite aux diverses opinions, la diversité des signatures extérieures…
»
Une fois pourtant, la direction a
amputé sa chronique
d’une quinzaine de lignes.
Sans
son accord. A l’époque de la publication du livre de Pierre Péan et
Philippe Cohen, « La Face cachée du Monde
» : « J’ai pu alors mesurer combien la fonction
de médiateur était
délicate en temps de crise… »
L’exemple du médiateur de l’hebdomadaire français La
Vie est lui aussi
significatif.
Le poste de médiateur tenu par Jean-Claude Escaffit a été supprimé dès le départ du
rédacteur en chef qui l’avait nommé ; le nouveau directeur de la rédaction
n’étant
pas favorable au maintien de cette fonction.