C’est le Washington Post qui, en 1970, a inauguré la
formule d’un journaliste chargé des relations entre le journal et ses lecteurs, d’entendre
les griefs de ceux-ci, de rédiger des notes internes et de publier une
chronique en toute liberté d’expression.
La fonction de médiateur de presse (ou d’ombudsman selon la dénomination suédoise reprise dans le monde anglo-saxon) est récente en France : elle débute au Monde en
La fonction de médiateur de presse (ou d’ombudsman selon la dénomination suédoise reprise dans le monde anglo-saxon) est récente en France : elle débute au Monde en
1994, voulue par son
nouveau directeur Jean-Marie Colombani, qui la confie à André Laurens, ancien directeur (1982-1984) et encore salarié du journal à l’époque.
Le quotidien du soir s’était posé la question
dès la fin des années
1980, alors qu’existait déjà un « défenseur » au quotidien madrilène El Pais. Aucun autre quotidien
national français n’a de médiateur. Le poste de médiateur créé en 1999 à l’hebdomadaire La Vie a été supprimé quatre ans plus tard.
L’audiovisuel public a emboîté le pas au Monde à
partir de 1998. Le premier à s’y intéresser a été
l’ancien directeur de l’information de France2, Albert du Roy, auteur du Serment
de Théophraste, aiguillonné par un souhait
du ministre de la Culture
et de la Communication de
l’époque, Catherine Trautmann. Aujourd’hui, seules parmi les chaînes publiques
importantes, France5 et Arte n’ont pas de médiateur.
La troisième catégorie de médias concernés par la médiation est
la presse quotidienne régionale. Au début des années 1990,
la NRCO crée une page quotidienne « d’interactivité » avec les lecteurs,
où un journaliste
se fait le défenseur des lecteurs qui lui soumettent leurs déboires en tant
que consommateurs, usagers
des administrations, etc. Quelques années plus tard, les papiers publiés dans
cette page ont trait aussi, de façon irrégulière, aux critiques des lecteurs
sur le traitement dans le journal de l’actualité nationale
et internationale. À la fin des
années 1990, Le Progrès (Lyon) a eu un
médiateur, voie de garage semble-t-il pour un proche de l’ancienne direction ; le poste a été supprimé
après le départ de celle-ci. Le fait nouveau est la
création récente (2001, 2004, 2006) de trois
nouveaux postes de médiation en PQR, certains
autres titres s’étant posé la question d’une telle innovation pendant cette période (notamment
L’Alsace et Ouest-France).
On peut avancer
une motivation générale, commune aux différents médias : ceux-ci ont besoin de renforcer
le lien avec le public, de plus
en plus critique, et dont nos interlocuteurs soulignent presque toujours la pertinence. La Charte de déontologie de RFI, qui définit
la fonction de médiateur pour cette entreprise, estime ainsi avec justesse que «
sa raison d’être est de conforter la crédibilité
» du média. Des journalistes trop souvent négligents, « parfois trop éloignés de leur public
», une hiérarchie rédactionnelle trop souvent faible,
des lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs insatisfaits et qui le font savoir aussi en
désertant… La médiation doit être analysée comme une réponse stratégique à une perte d’influence, et pas seulement comme partie prenante
d’une conception
« citoyenne » de l’information. Il faut aussi faire une part, au niveau des directions, à la judiciarisation de la société :
le médiateur constitue
un filtre avant le droit de réponse
et les procédures devant les tribunaux
(voir dans le même esprit le travail de Magali Prodhomme sur les chartes
déontologiques2).
Un statut hors normes
La fonction de
médiateur présente de nombreuses caractéristiques communes. Quelques aspects
sont particulièrement importants.
La volonté patronale
Sans la volonté au sommet de l’entreprise (Jean-Marie Colombani
au Monde, Jean-Michel Baylet à La Dépêche, Patrick de Carolis à
France Télévisions, Antoine Rousteau à Paris-Normandie, etc.), rien n’est possible. La hiérarchie rédactionnelle se
cabre et met des bâtons dans les roues. Après
le passage de Jean-Claude Allanic à France 2 – il avait été assez
loin dans ses critiques – un débat tendu
a eu lieu sur le maintien ou non
de l’émission hebdomadaire et même du médiateur. C’est le nouveau
PDG, Patrick de Carolis, qui a maintenu l’une et l’autre
; il
a demandé en même temps à RFO de relancer la fonction, avec une présence
sur les antennes. Les rapports avec la haute hiérarchie rédactionnelle sont sans doute les plus difficiles. À France 2 encore, les plus grosses difficultés ont été enregistrées avec un directeur de la rédaction (Olivier Mazerolle)
et des présentateurs vedettes (Claude Sérillon, David Pujadas, Béatrice Schönberg, etc.). Au Monde, Edwy Plenel a violemment critiqué le travail
du médiateur, provoquant une prise de position publique de celui-ci à
l’assemblée générale de la Société des rédacteurs. À La Vie, problèmes aussi avec un rédacteur en chef,
puis avec le nouveau directeur de la rédaction, peu favorable à la fonction
et intervenant sur les chroniques
du médiateur, obtenant finalement la suppression de la fonction.
À La Dépêche, difficultés
au départ avec les directeurs départementaux,
jaloux de leurs prérogatives…
L’importance du statut
Une charte, ou à tout le moins une définition officielle du rôle du médiateur, ne sont pas toujours adoptées.
C’est pourtant la garantie
de la clarté par rapport au public et surtout par rapport à la rédaction. C’est aussi la garantie d’une pérennité
de la fonction : un statut officiel
sera parfois établi en concertation
avec la rédaction, avec l’appui
formel ou informel des syndicats
et/ou de la société
des journalistes, et avec l’assentiment de l’actionnaire.
Le point le plus important est que l’indépendance du médiateur soit totale
: il doit être hors hiérarchie,
il n’a de comptes à rendre à personne sur ses interventions publiques
(chroniques, émissions, etc.)
ou internes (discussions, réunions, contacts
individuels, etc.), pas même au patron, qu’il informe parfois en cas de
problème qu’il doit connaître. C’est presque
toujours le cas et ce qui
fonde la crédibilité de la fonction. C’est d’autant plus nécessaire que les
médiateurs sont rémunérés par les entreprises et que presque
tous font partie des
effectifs de la rédaction.
La personnalité du médiateur
Le médiateur façonne
son poste
(c’est
une fonction jeune, voire nouvelle).
Il dépend
beaucoup de la personnalité du titulaire. Les médiateurs
sont toujours des
journalistes chevronnés, venant de la hiérarchie et même de la haute
hiérarchie rédactionnelle, ayant
assumé plusieurs fonctions dans l’entreprise (une exception : RFI, dont l’ancien
et le nouveau
médiateurs sont des retraités
très impliqués dans la profession et
extérieurs à l’entreprise). Ils mettent en avant leur parcours, souvent exemplaire, synonyme d’autorité,
de respect et de crédibilité dans les rédactions. Selon la personnalité de
chacun, toutefois, la médiation est plus ou moins incisive, la rédaction plus
ou moins ménagée, l’activité du médiateur plus ou moins intense. Chaque
médiateur use plus ou moins largement de son indépendance. Entre la chronique
du premier médiateur du Monde, André Laurens, et celle de l’actuel, il y a… un monde
! Le premier médiateur
de Radio France, Philippe Labarde (extérieur, venant du CSA après une carrière
en presse écrite), n’a pas réussi dans la fonction. Il y faut en effet une
grande implication personnelle pour qu’elle soit efficace, même si elle est exercée à temps partiel.
Un poste difficile et à risque
C’est ce que
ressentent les médiateurs. Pour plusieurs raisons. D’abord, on reçoit en permanence
(surtout à France 2 et au Monde)
le flot des critiques. Le nouveau médiateur
de France 2 a eu une période de doute, de découragement pendant
les premières semaines. Ensuite, parce qu’on prend des coups, on subit des
tensions, on se fait mal voir des confrères, dont certains peuvent être
agressifs, on se heurte à la hiérarchie de la rédaction. « J’ai failli démissionner plusieurs fois, constatant que personne
ne m’écoutait, que je ne servais à rien », avoue l’un d’eux.
Thomas Ferenczi, le deuxième médiateur du Monde, estime
qu’il ne faut pas
exercer plus de deux ans à cause de ces tensions. Enfin,
on est isolé, solitaire car la fonction le veut (les médiateurs de
France 2 et France 3, ainsi que celui des programmes
de France Télévisions et le chargé de
la charte des antennes, premier médiateur dans le service public, sont
regroupés dans des bureaux proches et se serrent les coudes). Comme on dépend
du bon vouloir du patron,
lequel peut décider
de supprimer la fonction (on
l’a vu à La Vie), la position
est inconfortable. Il faut un caractère bien trempé et une capacité de
distanciation.
L’ancrage public est fondamental
Ce qui fonde la crédibilité et l’efficacité
du poste est sa visibilité pour les lecteurs comme pour la
rédaction. La chronique ou l’émission régulière sont capitales. Non seulement cette visibilité rend accessible au
public la médiation (en un an, Patrick
Pépin, médiateur à Radio-France,
est passé de six lettres et courriels
le concernant par semaine à plus de
120), mais elle donne aussi au titulaire un vrai statut «
professionnel » dans la rédaction,
évitant que le médiateur ne
soit perçu comme l’occupant d’un placard, voire d’une planque,
ou comme un empêcheur
de
travailler en rond. Dans un seul cas, cet ancrage a existé puis disparu
: Henri Amar, à La Dépêche du Midi,
est resté médiateur après son passage à la retraite mais ne publie plus de chroniques dans la page hebdomadaire
de courrier des lecteurs comme il le faisait au départ toutes les trois ou
quatre semaines. La fréquence de l’intervention publique
du médiateur est essentielle : plus elle est rapprochée, plus l’interactivité avec le public
se renforce ; le rendez-vous hebdomadaire paraît excellent.
Le référentiel déontologique
Au Monde,
à France Télévisions, à la NRCO,
à RFI désormais, le
médiateur dispose d’un texte interne
de référence
sur les
bons comportements professionnels. Il peut s’y référer. Ces chartes
déontologiques ont
toutefois moins de poids qu’une Charte nationale ou un Conseil de presse (ou
Commission nationale d’éthique), comme cela existe ailleurs. Ainsi, au Québec,
les téléspectateurs peuvent saisir l’ombudsman de
Radio-Canada ou le Conseil de
presse, par nature extérieur à
l’entreprise et donc moins enclin à la défendre. On pourra se reporter
là-dessus à l’ouvrage de Marc-François Bernier
L’ombudsman de Radio-Canada, protecteur du public ou des journalistes ? (2005). Selon cet auteur, les principales « normes
journalistiques » concernent l’intérêt public, le droit du public à l’information,
la vie privée, vérité-rigueur-
exactitude, équité3, intégrité.
Comment ils se voient
Comment ces journalistes définissent-ils leur fonction ? Petit florilège
de citations :
Ni flic, ni juge
– « Je suis le bureau des pleurs fondés »
– « Une interface »
– « Une alerte »
– « Un pare-feu »
– « On me voyait comme une espèce de flic, d’inspecteur »
– « Je ne suis pas un juge »
– « Éviter d’être un procureur »
– « Apporter au public de la compréhension et une connaissance de nos
contraintes de journalistes »
– « Un passeur des préoccupations de la rédaction »
– « Un double avocat : de la rédaction vers les lecteurs, des lecteurs
vers
la rédaction »
– « Quelqu’un qui remonte l’info venant des lecteurs »
– « Une espèce d’intercesseur »
– « Un Monsieur Bons Offices »
– « J’ai un peu le statut de sage »
– « Un point d’ancrage »
– « Un rôle de contacts »
– « Aider tout le monde à mieux se comprendre »
– « Un rôle de vigilance et de prise de conscience chez les
journalistes »
– « Appeler sans cesse au respect du public »
Pouvoir et indépendance
– « J’ai une paix royale »
– « On dérange mais c’est jouable »
– « Quand on me conteste, je réponds sur le mode humoristique »
– « On m’a remis la bombe atomique, je ne dois pas abuser de mon
pouvoir »
– « Il faut de la retenue pour ne pas mettre en cause brutalement les
journalistes »
– « Je n’ai pas envie de dévaloriser le travail des confrères »
– « Tout ce que j’écris, je le pense, mais je n’écris pas tout ce que
je
pense »
– « Des comptes à rendre seulement en mon âme et conscience »
– « Le public ne comprend pas que je n’ai pas une fonction d’autorité »
Les interpellations du public
Le courrier
Le courrier des
lecteurs, auditeurs et téléspectateurs augmente, on l’a vu, grâce à la présence
publique du médiateur. Mais Internet a fait exploser les flux de courrier (auprès
des médiateurs comme auprès des services traditionnels de
liaison avec le public). Désormais, le courrier est constitué essentiellement
de courriels,
parfois à plus de 90%. Le
courrier n’est pas traité dans sa majorité par le médiateur
: les services spécialisés s’en chargent.
Toutefois, à La Vie, Jean-Claude Escaffit avait pris en charge le «
forum » ; au Monde, Robert
Solé sélectionne avec ses
collaborateurs les lettres à publier quotidiennement
; à la NRCO, Yves Mary est d’abord responsable de la page quotidienne « Dialogue »,
accessoirement médiateur…
Quelques repères
quantitatifs (pour le courrier relatif
à la médiation seulement) : Midi libre
: une dizaine de courriers par jour, soit environ
200 par mois ; France 2 : 5
200 par mois (dont 5 000 courriels) au premier
semestre 2005 ; France 3 : environ 1
200
par mois ; Radio France :
environ 500 par mois. Lors d’une grosse
actualité, le courrier
atteint des pics. Exemples :
plusieurs centaines en une journée au Monde après les attentats du 11 septembre
2001, plus de 1
000 courriels à Radio France concernant les déclarations de Finkielkraut à Haaretz et dans les médias
français (dont France Culture) sur la crise des banlieues, à RFO le plus gros
courrier reçu concernait Gaston Flosse4…
Les médiateurs
s’efforcent de répondre à cette avalanche,
ne serait-ce que par un accusé de réception, mais n’y parviennent que très
imparfaitement, faute de moyens humains (Marie-Laure Augry, à France
3, attend une assistante…). À travers la fonction médiation, le public
sollicite une reconnaissance de sa parole,
de son altérité. « Si vous voulez
qu’on vous écoute, écoutez-nous
», explique un médiateur. Les émissions
et chroniques, les réponses individuelles au courrier font mouche et
entraînent en retour une forte satisfaction. La critique par le public de
« ses » médias n’est pas une contestation radicale
à la manière d’une
certaine frange politisée. « Il nous demande simplement de faire correctement
notre métier », précise tel autre médiateur.
Les réponses à ces sollicitations, qu’elles soient individualisées ou au
travers des chroniques et émissions, sont la plupart du temps – en même
temps qu’un jugement
explicite ou implicite
sur la question posée – une
forme d’éducation au fonctionnement du média et de la presse en général.
Ce rôle est souligné par la plupart des médiateurs.
Les thèmes récurrents
Un certain nombre de thèmes sont communs au courrier reçu par
les médiateurs : les gros sujets d’actualité (de
la grippe aviaire
à Outreau, de la mort de Jean-Paul II aux caricatures de Mahomet) ; la forme (la langue,
l’orthographe, les titres, les bidonnages,
les faux-directs, le
mélange d’images d’actualité et d’archives, etc.) ; des rectificatifs
; des compléments d’information, des suggestions, des témoignages ; des critiques sur le traitement au fond de l’actualité et la politique éditoriale (équilibre
politique, parti-pris, partialité, hiérarchie de l’information, place excessive
du fait-divers, etc.)
; la violence des images
(premier point évoqué
par tous les médiateurs de
télévision) ; le respect des personnes, etc.
Points particuliers
À RFO, 80% du travail de l’ancien médiateur a consisté à
recevoir les plaintes des élus d’outre-mer
(présidents de conseils régionaux, maires,
sénateurs, etc.) accusant les journalistes
de telle
ou telle
station de les maltraiter : pas interviewés, mal interviewés, reportages n’ayant pas l’heur de plaire… Après enquête du médiateur et lettres
« diplomatiques », tout rentre en principe rapidement dans l’ordre.
À RFI, les récriminations d’ambassadeurs, de chefs d’État ou de
gouvernement (surtout en Afrique), conduisent
le médiateur à intervenir
directement, parfois sur place, avec la bénédiction du président de la
chaîne.
France 3 se distingue dans l’audiovisuel public :
le courrier reçu est
très largement positif, il exprime un fort assentiment des téléspectateurs,
qui parfois
mettent en avant
cette différence : « Vous n’êtes pas comme
les autres »… Chaîne de proximité dans les régions,
France 3 se rapproche
en cela des quotidiens de province,
où le courrier traduit des critiques
moins nombreuses et une agressivité bien moindre.
Les interventions des médiateurs
Le travail quotidien du médiateur, c’est la lecture du
courrier (et les réponses) ; la sélection
des réactions (pour
le courrier des lecteurs, pour une chronique, pour une émission de
radio ou de télévision avec cette difficulté
supplémentaire de l’expression à l’antenne) ; l’enquête sur les problèmes
soumis (auprès du public, auprès de la rédaction, voire sur le terrain) ;
les interventions publiques
(chroniques, émissions) et internes
dans la rédaction.
Chroniques et émissions
Elles sont généralement centrées sur un sujet issu des réactions
du
public et sont pour la plupart hebdomadaires ou mensuelles
: 1.
hebdomadaires : Le Monde
(« Médiateur »), France 2 («
Le médiateur »), Midi libre (« Le Médiateur »), France Inter (dans le « 13-14 » du vendredi) ; mensuelles, donc avec moins de visibilité et d’impact : France 3 (« Votre Télé », complétée par des émissions à peu près une fois par an dans
chacune des régions), RFI, France Culture (à la fin du 13 heures),
pour mémoire La Vie et La
dépêche du Midi au début.
L’existence de ces rendez-vous est déjà, en soi, la reconnaissance de l’importance accordée par le média aux
critiques de son public. Il
n’est plus considéré comme passif. Les chroniques sont lues, les émissions
regardées. Ce qui les distingue le plus les unes des autres est la netteté du
propos du médiateur par rapport à ces critiques, parfois vives, du public et sa faculté,
au-delà des explications techniques ou de politique
éditoriale, à accepter la mise en cause du travail des journalistes.
Ainsi le médiateur
du Monde est-il devenu plus exigeant par rapport
à la rédaction avec le troisième titulaire (en poste depuis
huit ans). Celui de
France 2 est beaucoup plus incisif qu’à France 3, généralement « bon enfant » (on a noté que les critiques des téléspectateurs y sont moins violentes qu’ailleurs). La presse
régionale est, quant à elle, très chiche de critiques sur le travail des rédacteurs
(« Il m’arrive de reconnaître une erreur », « J’ai fait un mea
culpa une fois dans une chronique »).
Notes internes
Les médiateurs de l’audiovisuel
public jouent leur rôle
aussi par diffusion de notes
à la rédaction. Ce sont essentiellement
: 1. les rapports annuels
à France 2 et France 3 (celui de RFO n’était destiné jusqu’à
présent qu’au président de la chaîne) ; 2. une newsletter
trimestrielle à la rédaction de France 2 avec Jean-Claude Allanic ; 3. une newsletter
mensuelle d’annonce de l’émission nationale de France 3 (à l’ensemble du personnel
de la chaîne). Le médiateur du Monde souhaite, à terme, introduire ce
mode d’intervention.
Interventions directes dans la rédaction
Les médiateurs ont un rôle très important de contacts informels au sein des rédactions. Ils téléphonent, ils voient directement les journalistes
intéressés, ils envoient des courriels aux gens concernés, ou diffusés plus
largement en cas de courrier abondant sur un thème (exemple : France 3). Ils
rencontrent souvent la hiérarchie rédactionnelle de façon informelle ou formelle. Le médiateur
peut assister à la conférence de rédaction du matin (RFI) ou à des séminaires de la
rédaction (Radio France). Tous ces contacts permettent
de régler des problèmes, d’alerter,
de faire de la pédagogie, de rendre plus perceptibles la présence du
public et ses critiques.
Parmi les interventions fréquentes citées spontanément par les médiateurs, notons : 1. la langue, l’orthographe, les coquilles ou les
erreurs d’incrustation, l’usage du vocabulaire, le franglais, la géographie
incorrecte, etc. ; 2. les choix
rédactionnels ; 3. la médiation avec les élus ;
4. les droits du public (droit de réponse, droit à l’image, protection de la vie privée, etc.).
Les rapports avec les journalistes
Souvent en conflit
ou en délicatesse avec la haute hiérarchie, les
médiateurs sont en revanche acceptés
et défendus presque
partout par
« la base » de la rédaction
et la hiérarchie intermédiaire. Les syndicats
et sociétés de journalistes les soutiennent.
Cette acceptation du médiateur et de son regard critique,
comme
porte-parole du public,
sur le travail de la rédaction demande
du temps.
Partout, il y a eu ici et là des tensions. Elles sont inévitables à partir du
moment où la fonction est correctement assumée
et où une partie de
ses interventions consiste
à relayer les critiques, à rappeler à l’ordre, à
mettre le doigt sur les erreurs,
voire les fautes
de tel ou tel. Mais pour la plupart des journalistes, aux dires des
médiateurs, ce rôle est reconnu comme important. Didier Epelbaum, qui fut le
premier médiateur de France 2, distingue
toutefois trois catégories parmi les journalistes : les opposants à toute autocritique, les partisans affichés (dont la plupart
des jeunes journalistes) et la « majorité silencieuse » qui est d’accord sur le
fond mais en retrait et versatile :
– « Ils jouent le jeu, y compris quand ils sont mis en cause. Ils ne sont pas toujours contents, mais ils
acceptent. Ils savent que je ne cherche pas à les enfoncer. »
– « Il y a une grande susceptibilité chez les journalistes. Mais ils comprennent et disent souvent que ça
aide à avancer. »
– « Il
y a des journalistes à problèmes, toujours
les mêmes. D’autres sont parfois malheureux de leurs bêtises, il faut presque les
consoler. »
– « Quand je leur transmets
des critiques, ils me disent souvent : "tu as raison, tu fais bien de nous le
rappeler"... »
– « Je n’ai pas de réactions négatives, mais je ne suis pas sûr d’être
entendu… »
La grande question est évidemment que le médiateur a toujours
tendance, a priori, à justifier la conduite de ses confrères journalistes et de son média (dont il serait en quelque sorte un « chargé de
communication »). Diverses études nord-américaines montrent que la fonction de médiateur favorise davantage
la compréhension mutuelle (journalistes-lecteurs) que la critique des pratiques
journalistiques.
En tout état de cause, la médiation, ainsi acceptée et confortée par un
dialogue permanent à l’intérieur de la rédaction, débouche alors souvent
sur un autre rôle : celui d’un conseiller, d’un « monsieur déontologie », de quelqu’un en qui on a confiance
et avec lequel, parce qu’il est hors encadrement, on peut échanger. Les journalistes sollicitent le médiateur pour
des conseils de nature déontologique, sur des papiers ou sujets délicats. De fil en aiguille, la médiation peut dériver vers une perception de « médiateur social » à l’intérieur d’une rédaction (RFI, RFO), ce qui
n’est pas sa fonction et est récusé par les médiateurs.
Quel résultat pour l’information ?
L’intervention permanente du médiateur
améliore-t-elle pour autant les comportements professionnels ? La qualité de l’information
s’en trouve-t-elle accrue ?
Le médiateur du Monde existe depuis plus
de 10 ans ; or, on a vu dans cette
période une inflation de pratiques
douteuses…
Les confrères médiateurs sont très modestes
sur ce point : les effets,
disent-ils, sont « homéopathiques ». D’une part, ils estiment souvent
que
la hiérarchie rédactionnelle ne se sert pas suffisamment de la fonction :
en prenant davantage
en compte les attentes du public, en consultant
plus fréquemment le médiateur, en réfléchissant
collectivement sur la
manière de juguler les petites dérives (langue, inexactitudes, etc.). Mais ils
pensent d’autre part que la présence publique
du médiateur (chronique,
émission) a un «
effet dissuasif », au moins sur «
les gens sérieux ». Cette
présence entraîne sans doute une plus grande
prudence « parce qu’il n’y
a plus d’impunité » (l’émission hebdomadaire de Daniel
Schneidermann
sur France 5, «
Arrêt sur images
», jouait un peu le même rôle pour toutes
les chaînes de télé)
: « Si j’exige un droit
de réponse, la leçon porte
et ensuite
on est plus vigilant. »
On note parfois des conséquences heureuses sur le fonctionnement
rédactionnel. Ainsi, à France 2, une meilleure
conscience des réactions
des téléspectateurs a entraîné
la tenue de séminaires de réflexion,
comme
sur l’immigration et les banlieues (mai 2005). À RFI, un groupe de travail
a rédigé un «
livre d’antenne » sur les « bonnes
pratiques » au micro
(juin 2005).
Conclusion
Au-delà des difficultés
de
fonctionnement, des rapports plus ou
moins conflictuels, des résultats faibles
sur la qualité de l’information, on peut tirer au moins deux
leçons :
1. À partir d’une préoccupation patronale de rapprocher le média de
son public et de lui donner plus de crédibilité, on a abouti
à un résultat tangible incontestable : l’expression critique du public est possible et prise
en
compte par certains médias eux-mêmes. Cette considération nouvelle
pour les lecteurs, auditeurs et téléspectateurs rencontre un très bon écho,
notamment dans la fraction du public la plus « citoyenne » pour laquelle l’information n’est
pas un simple produit de consommation. Répondre au courrier, donner la parole est déjà important.
Admettre, au moins de
temps à autre,
que le journaliste ou le média ont pu se tromper et en
discuter correspond à une vraie demande de ce public.
2. La fonction
de médiation, partout
où elle s’installe durablement, est bien accueillie par la collectivité des
journalistes, même si certains hiérarques
y voient une atteinte à leur pouvoir.
La présence
du médiateur, son rôle de «
sage », de « garant de la déontologie
», sont
de mieux en mieux
perçus. Il est – ou peut être – un garde-fou efficace pour une rédaction
qui veut jouer le jeu. Avec de la diplomatie et
de la fermeté, il ancre peu à peu dans les esprits l’idée que certaines erreurs ne doivent plus être commises, que le public
est de plus en plus critique et exigeant et que les
journalistes doivent être à la hauteur de cette exigence. Son existence et son
action sont un rappel permanent à la responsabilité individuelle et collective. La jeunesse de la fonction, le statut et la personnalité de
chaque médiateur, l’absence de normes d’éthique journalistique reconnues dans toute la profession empêchent d’aller suffisamment loin dans cette direction.
Les médiateurs sont isolés, sauf à France Télévisions. Ils auraient sans doute avantage à échanger, à se « serrer
les coudes », en créant
un regroupement informel
ou formel qui donnerait plus de visibilité à la fonction et attirerait
peut-être de nouvelles vocations (quotidiens, hebdomadaires, chaînes audiovisuelles privées, etc.) ■
Notes
1. Robert Solé (Le Monde), Yves Mary (La Nouvelle République du Centre Ouest), Henri Amar
(La Dépêche du Midi), Olivier Clerc (Midi libre), Jean-Marie
Gautier (Paris-Normandie), Didier Epelbaum, Jean-Claude Allanic, Christian-Marie Monnot (France 2), Marie-Laure
Augry (France 3), Albert-Max Briand,
Anastasie Bourquin (Réseau
France Outre-mer), Patrick
Pépin (Radio France), Noël Copin (Radio France Internationale, remplacé par
Loïc Hervouet fin février 2006), Jean-Claude Escaffit (La Vie).
3. Selon les «
Normes et pratiques journalistiques
» (NPJ) de Radio-Canada, est jugée
équitable l’information « qui
rapporte les faits pertinents, reflète impartialement les points
de vue significatifs et traite
avec justice et dignité les personnes, les institutions, les problèmes
et les événements ».