L'ombudsman francaise de la Societe Radio-Canada : un modele d'imputabilite de l'information Marc-Francois Bernier (Department of Communication, University of Ottawa)

http://www.cjc-online.ca/index.php/journal/article/view/1375/1450

Abstract: In 1992, the Société Radio-Canada (SRC), French network of the Canadian Broadcasting Corporation, created an Office of the Ombudsman, mandated to address public complaints concerning journalistic practices. This article proposes first to better define the concept of journalistic accountability. After presenting a history of this function and giving an account of its relative scarcity, it describes the model of accountability set up at the SRC as revealed through an analysis of the annual reports from 1992-93 to 2000-01. Then it draws up a preliminary summary of the evolution of this form of journalistic self-regulation at the SRC.
Résumé : Depuis 1992, la Société Radio-Canada (SRC) s'est dotée d'un Bureau de l'ombudsman qui a le mandat d'enquêter sur les plaintes du public concernant les pratiques journalistiques. Le présent article propose d'abord de mieux définir la notion d'imputabilité journalistique. Après avoir dressé un historique de cette fonction et rendu compte de sa rareté relative, il décrit le modèle d'imputabilité mis en place à la Société Radio-Canada tel que le révèle une analyse des rapports annuels de 1992-93 à 2000-01. Enfin, il dresse un premier état des lieux de l'évolution de cette forme d'autorégulation journalistique à la SRC.

AVANT-PROPOS

Les notions de légitimité et de crédibilité sont étroitement liées à l'imputabilité des médias, cette dernière étant une forme de reddition de comptes, un effort de justification des médias et des journalistes au profit du public et des sources d'information (Nemeth et Sanders, 1999; Plaisance, 2001). Pritchard estime que l'imputabilité des médias est un processus qui s'inscrit dans le temps et non un ensemble de doctrines légales, de règles déontologiques ou de procédures reliées au dépôt de plaintes (Pritchard, 2000). L'imputabilité des médias est en quelque sorte leur reddition de comptes eu égard aux responsabilités sociales qu'ils assument et aux normes professionnelles que les journalistes se sont données afin de mettre sur pied un mécanisme d'autorégulation.
Le concept d'imputabilité de la presse a une longue histoire. Même un ardent défenseur de la liberté comme Thomas Jefferson (1801-1809) a été déchiré par la tentation d'obliger les médias à être imputables de leurs comportements (Plaisance, 2001). S'intéressant particulièrement à cette notion, Plaisance considère que l'imputabilité met en relation émetteurs et récepteurs de messages médiatiques. Il remarque que, bien souvent, les chercheurs se sont intéressés à la dimension médiatique de cette relation (2001). La présente contribution ne fait pas exception, mais elle explore un terrain vierge en décrivant empiriquement le modèle d'imputabilité mis en place à Radio-Canada, qui est considéré depuis plusieurs décennies comme un modèle en matière de journalisme. Cet exercice descriptif vise à documenter, pour la première fois, la procédure de reddition de compte mise en place par le principal diffuseur public en information au Canada, soit la Société Radio-Canada.
Il importe par ailleurs de bien distinguer les notions de responsabilité et d'imputabilité. Les responsabilités ont trait aux devoirs de la presse alors que l'imputabilité est une reddition de comptes, une évaluation du respect de ces devoirs. L'imputabilité implique qu'on puisse mesurer l'ampleur de ce respect (Plaisance, 2001) en fonction de différents indices étroitement liés aux responsabilités reconnues. Hodges (1986) estime que la responsabilité de la presse concerne la détermination des besoins sociaux que les journalistes doivent combler, tandis que l'imputabilité vise les moyens à utiliser pour amener les journalistes à rendre des comptes et à justifier leur travail au regard des responsabilités qu'on leur a attribuées. La responsabilité se rapporte à la conduite, l'imputabilité concerne les résultats. Cet auteur poursuit sa distinction entre responsabilité et imputabilité en précisant que parler de la première revient à parler du contenu de « nos devoirs et obligations morales, de la substance de ce que nous devons faire » (1986, p. 14). Parler de la seconde nous amène à nous demander qui détiendra le pouvoir de demander aux journalistes, par la persuasion ou la contrainte, de rendre des comptes. Pour Hodges, la question de la responsabilité précède logiquement celle de l'imputabilité. Il conclut que la notion de responsabilité est associée à l'énoncé suivant: plus nous avons le pouvoir ou l'occasion d'influencer les autres, plus nous avons de devoirs moraux (1986).
La distinction entre responsabilité et imputabilité n'est pas toujours aussi claire, cependant, car selon certains la première notion contient la seconde. Ainsi, plaide Johannesen (1983), outre le respect de ses devoirs et de ses obligations, la presse, pour être jugée responsible, devrait aussi rendre des comptes et accepter d'être évaluée en fonction de critères préétablis. L'auteur ne précise cependant pas à qui la presse doit rendre des comptes et qui déterminera les critères de son évaluation. Pour Pritchard (1991), derrière la question de l'imputabilité de la presse se dresse une présomption, à savoir que les journalistes et les entreprises adopteront des comportements que la société sera disposée à qualifier de responsables s'ils savent qu'ils auront à rendre des comptes à certaines instances (conseil de presse, ombudsman, etc.).
À titre d'exercice d'imputabilité, il a déjà été suggéré que la presse pourrait, une fois l'an, rendre des comptes publics en diffusant un bilan des thèmes dont elle a traité, l'importance relative de ces thèmes et ceux qui feront l'objet d'une attention particulière à l'avenir. En même temps, les médias pourraient en profiter pour faire une synthèse des critiques positives et négatives qui lui ont été adressées pendant l'année écoulée. Ce bilan pourrait aussi faire état des plaintes formulées aux diverses instances (justice, conseil de presse, etc.) par le public (Bernier, 1995, 2001; Commission de la culture, 2001). Pour sa part, Brummer parle des quatre facettes de l'imputabilité: à quià propos de quoien fonction de certains critères et avec une modulation dans la sévérité (rapporté par Plaisance, 2001, p. 8).
Dans un système de presse libre,1 le concept d'imputabilité des médias est multidimensionnel, selon Plaisance (2001), qui ajoute qu'il s'applique différemment aux journalistes à titre individuel, aux médias, au gouvernement et au public, car les exigences d'imputabilité d'un groupe social peuvent être en conflit avec les droits et libertés de la presse. À cet effet, bien des journalistes estiment que l'existence de conseils de presse ou d'ombudsmen menace leurs libertés. Par ailleurs, la présence d'un mécanisme d'imputabilité a des effets sur l'attitude des acteurs qui auront à justifier leur interprétation, nous révèle la psychosociologie (Tetlock, 1985), la liberté de la presse étant en quelque sorte soumise au principe de responsabilité.

HISTORIQUE

Le concept d'ombudsman vient du parlement de la Suède qui a décidé, en 1809, de créer un poste de protecteur du citoyen qui serait en quelque sorte un gardien ayant pour tâche de s'assurer de l'équité des décisions administratives du gouvernement (Nemeth et Sanders, 1999; Sanders, 1997). Ce concept de protecteur s'est progressivement transformé pour désigner également le représentant des lecteurs de la presse écrite ou représentant de l'auditoire de la presse électronique. Du reste, plusieurs membres de l'Organisation of News Ombudsmen (ONO) sont décrits comme des représentants des lecteurs ou des assistants du rédacteur (Sanders, 1997; Starck et Eisele, 1998; Thomas, 1995). Il est reconnu que la présence d'un ombudsman permet au public d'en savoir davantage quant au fonctionnement des médias, et cela lui donne parfois accès à l'histoire derrière l'histoire, aux coulisses de l'information en démystifiant les médias (Starck et Eisele, 1998).
Le premier ombudsman américain a été nommé en 1967 au Louisville Courier-Journal and Times(Starck et Eisele, 1998) à la suite de commentaires favorables du critique des médias Ben H. Bagdikian et d'un cadre du New York Times, A. H. Raskin, qui suggéraient respectivement, et de façon indépendante, que les journaux devraient se doter d'un critique interne (Nemeth et Sanders, 1999) qui se pencherait sur l'équité et la pertinence de la couverture journalistique, d'un ombudsman qui aurait l'autorité d'agir dans le cas de plaintes qu'il jugerait valides (Sanders, 1997). On verra que le rôle de l'ombudsman de la SRC est loin de cette seconde fonction puisqu'il ne peut exiger quoi que ce soit des journalistes et des cadres de la SRC car son rôle se limite à porter un jugement sur des plaintes, comme c'est du reste le cas pour la plupart des ombudsmen (Mogavero, 1982). Le premier ombudsman du Courier-Journal avait surtout pour fonction d'expliquer au public les décisions éditoriales du journal et il ne lui arrivait que rarement de prendre en charge l'étude de plaintes de lecteurs qui auraient subi des conséquences fâcheuses en raison de la publication d'articles (Nemeth, 2000).
Déjà, en 1947, le rapport de la Commission on the Freedom of the Press concluait que les médias devaient être imputables pour demeurer libres. L'arrivée du premier ombudsman de presse américain s'inscrit donc dans ce mouvement de reddition de comptes publique, bien que le premier ombudsman du Courier-Journal ne signait pas de chronique par crainte d'ennuyer les lecteurs. Il n'était en fait qu'un gestionnaire interne. Il faudra attendre la création d'un poste d'ombudsman au Washington Post, dans les années 1970, pour que la fonction de critique des médias soit ajoutée. Le Louisville Courrier-Journal possède même un ombudsman pour la publicité afin de juger de leur bon goût, de leur caractère obscène ou diffamatoire. (Nemeth, 2000).
Au Canada, le premier ombudsman a été celui du Toronto Star au début des années 70, lui qui avait implanté le Star Bureau of Accuracy à la fin des années 1950. Le quotidien anglophone montréalaisThe Gazette a créé un poste similaire en 1981 (Langlois et Sauvageau, 1989) mais il a été aboli à la fin des années 1990 dans le contexte de l'achat de ce quotidien par Conrad Black.

ÉVOLUTION DU NOMBRE D'OMBUDSMEN

Le nombre d'ombudsmen des médias n'est pas très élevé même si certains constatent une croissance ces dernières années. Selon une enquête de Thomas, 28 % des postes d'ombudsmen ont été créés dans les années 1970, 41 % dans les années 1980 et 16 % de 1990 à 1994 (Thomas, 1995).
En septembre 1999, des auteurs estimaient à environ 31 le nombre d'ombudsmen de la presse aux États-Unis et à environ 54 dans le monde. Mais 1999 a été une année fertile et ce chiffre a grimpé à plus de 40 aux États-Unis, cette fonction s'étant répandue dans d'importants médias, de la presse écrite surtout (Los Angeles TimesThe Atlanta Journal-ConstitutionThe Miami Herald). Des postes d'ombudsman ont aussi été créés dans les médias d'une dizaine de villes américaines et pour la National Public Radio (Campbell, 2000).
Une recension des membres de l'ONO réalisée en mai 2003 révèle la présence de 40 ombudsmen dans autant de médias américains répartis dans 28 États, bien que certains ombudsmen aient un mandat national, comme c'est le cas de réseaux comme NPR, NBC et MSNBC. Dans ce dernier cas, on a affaire au premier ombudsman en poste dans ce qui peut être considéré comme un nouveau média.
C'est en Floride et en Californie que l'on retrouve la plus importante concentration d'ombudsmen (n = 5), tandis qu'il y en a deux dans l'État de New York. D'importants médias comme NBC, NPR, le Los Angeles Times, le Washington Post, le Boston Globe, le Philadelphia Inquirer ou le San Francisco Beepossèdent un ombudsman, alors que le New York Times, ABC et CBS résistent toujours, tout comme résistent des magazines comme Newsweek et Time.
La même recension des membres indique que 35 autres ombudsmen membres sont répartis dans 15 pays et sur quatre continents, la seule exception étant l'Océanie qui ne revendique aucun ombudsman de presse membre de l'ONO. Une recherche réalisée sur Internet, à l'aide de différents moteurs de recherche, n'a pas révélé la présence d'ombudsmen de presse sur ce vaste continent.
Au Canada, on retrouve cinq ombudsmen de presse membres de l'ONO, un total auquel nous devons ajouter l'existence de l'ombudsman de l'Association acadienne des journalistes qui a le double mandat de protéger la liberté de la presse et d'assurer au public son droit à l'information. Il n'a aucun pouvoir autre que le poids moral de ses décisions que les médias membres de l'AAJ se sont engagés à diffuser. Au Québec, on ne retrouve aucun ombudsman dans les médias privés; le seul quotidien anglophone d'envergure, The Gazette, n'ayant pas remplacé son ombudsman qui a quitté vers 1998. L'unique ombudsman encore actif au Québec est celui de la Société Radio-Canada, nommé par le président de la SRC. Les ombudsmen sont donc relativement rares dans un pays comptant 105 quotidiens (Vivian et Maurin, 2000), et des milliers d'hebdomadaires, de magazines et de journaux communautaires ou ethniques. L'Espagne (5), la France et la Grande-Bretagne (4 chacune), les Pays-Bas et le Portugal (3 chacun) ainsi que le Brésil (2) regroupent la majorité des ombudsmen à l'extérieur des États-Unis. On en retrouve aussi au Japon, en Belgique, au Japon, en Irlande, en Israël, en Colombie, en Turquie et au Venezuela. Mentionnons la particularité de la situation à France 2, où on retrouve un médiateur responsable de l'information et une médiatrice pour les émissions de divertissement (France 2, 2002).
Glasser (1999) suggère trois raisons pouvant expliquer le faible nombre d'ombudsmen de presse aux États-Unis : contraintes budgétaires, menace à l'autorité du rédacteur en chef et effet démoralisant chez les journalistes soumis à son regard critique.
En tenant compte du nombre restreint d'ombudsmen ainsi que des limites de leur pouvoir, on serait tenté de partager l'avis de Boeyink selon qui le recours aux ombudsmen a eu un impact marginal au niveau de l'imputabilité des médias d'information, surtout du fait que ce poste implique des coûts importants qui ne peuvent être assumés par tous les journaux. Il ajoute que plusieurs des ombudsmen en fonction aux États-Unis en 1994 étaient davantage des chroniqueurs des plaintes du public que de véritables défenseurs des lecteurs ou de vrais critiques des médias (Boeyink, 1994). Cependant, il a été suggéré que l'ombudsman, qui assume une fonction de contrôle de la qualité de l'information, peut exercer une influence positive sur les journalistes, surtout auprès des jeunes. À cet effet, Langlois et Sauvageau ont observé que 75,4 % des journalistes ayant été l'objet d'intervention des ombudsmen de deux quotidiens étaient ceux qui avaient le moins d'années d'expérience (Langlois et Sauvageau, 1989). On peut aussi le considérer comme une personne ressource supervisant le travail journalistique, en espérant que son intervention préviendra le journalisme erratique ou frivole qui constitue une menace à long terme pour la presse et la démocratie (Desbarats, 1990). En ce sens, il pourrait instaurer dans la salle de rédaction une tradition de dialogue portant sur l'éthique et la déontologie du journalisme. En permettant au public de faire connaître ses doléances, et s'il enquête sérieusement à leur sujet, il ne fait pas de doute que l'ombudsman contribue positivement à l'imputabilité recherchée par tout mécanisme d'autorégulation crédible.

LE CAS DE L'OMBUDSMAN DE LA SRC

En avril 1990, le conseil d'administration de la SRC a approuvé le mandat et les procédures du Bureau de la politique et des pratiques journalistiques qui allait devenir le Bureau de l'Ombudsman en avril 1991.2 Le Bureau de la politique et des pratiques journalistiques relevait alors directement du président-directeur général de la SRC et chaque réseau avait son directeur pour établir et réviser la politique journalistique tout en répondant aux plaintes du public, assumant ainsi une fonction d'ombudsman. Les directeurs pouvaient faire des enquêtes en matière de déontologie et conseiller la haute direction.
Selon le rapport du Groupe d'étude sur le Bureau de l'ombudsman (GEBO), une résolution a été adoptée dès août 1992 pour réviser les procédures du Bureau « afin de faire de l'Ombudsman un instrument vraiment efficace de responsabilité journalistique, et que l'on étudie les moyens de le rendre plus indépendant par rapport à la Société » (GEBO, 1993, p. 1). Dans le préambule du rapport, on note l'importance de l'expérience journalistique et du courage dont l'ombudsman doit faire preuve pour jouer un rôle utile face au public.
Le Bureau de l'Ombudsman créé, ses titulaires successifs ont le mandat d'enquêter sur les plaintes et de faire connaître leurs décisions aux responsables des services visés. Ils communiquent aussi leurs constatations au président-directeur général ainsi qu'aux cadres de l'information. Ils ont également un mandat de collecte de données sur des questions déontologiques dans le but de faire face aux situations nouvelles et offrir des « avis plus étoffés sur l'interprétation et l'application de la politique journalistique » (GEBO, 1993, p. 2). Les titulaires du Bureau doivent aussi être indépendants et neutres face à la SRC, ce qui comporte des difficultés.

LE MODÈLE D'IMPUTABILITÉ DE LA SRC

Pour mieux comprendre le fonctionnement du Bureau de l'ombudsman français de Radio-Canada3nous avons procédé à une analyse de contenu quantitative et qualitative des décisions qui se retrouvent dans les rapports annuels de 1992-93 à 2000-01.4 Nous avons aussi analysé les sections de ces rapports où l'ombudsman dresse un bilan annuel de ses activités et de ses préoccupations. Une entrevue a également été réalisée avec l'ombudsman en poste à l'automne 2001 afin de mieux comprendre sa vision du rôle qu'il assume. L'entrevue a été suivie d'une correspondance pour préciser certains points.5 Le corpus analysé regroupait de façon exhaustive les 144 décisions rendues par les ombudsmen qui se sont succédé depuis 1992.
Le mandat de l'ombudsman radio-canadien consiste à enquêter les plaintes des citoyens lorsque ces derniers jugent qu'ils n'ont pas obtenu des explications et des justifications satisfaisantes de la part des responsables des émissions d'information et d'affaires publiques mises en causes, lesquels répondent en première instance. Cette première étape est cruciale car le modèle d'imputabilité mis en place à la SRC « repose sur le principe de la responsabilité journalistique, de sorte que les personnages qui produisent les émissions doivent en répondre directement à leur direction mais aussi devant le public » (SRC, 1994-95, p. 82). En somme, l'ombudsman n'intervient que si le plaignant fait une demande de révision. Il est en seconde et dernière ligne. L'analyse du corpus révèle une quasi-exception à cette règle. Dans le rapport annuel 1999-2000, on recense une plainte provenant d'un téléspectateur très agressif envers une journaliste et son responsable de l'information, lequel a aussitôt transmis le dossier à l'ombudsman, si bien qu'il n'y a pas trace d'une réponse de première instance au plaignant. Il semble que la situation se soit envenimée au point que l'ombudsman a dû intervenir plus rapidement pour étudier le litige et rejeter la plainte (SRC, 1999-2000). Dans cette décision, l'ombudsman rapporte que le directeur des nouvelles télévisées a fait part de son refus à s'engager « dans une discussion raisonnée » avec quelqu'un capable d'écrire « une lettre aussi méprisante » (SRC, 1999-2000, p. 75), ce qui explique l'intervention précoce de l'ombudsman dans ce dossier. La réponse du responsable de l'information est cependant absente du rapport annuel, contrairement à la pratique usuelle. La décision de l'ombudsman fait référence à une attaque ad hominem du plaignant à l'endroit du directeur qui a réagi « sur le même registre . . . renvoyant le plaignant à 'sa pensée sectaire, animée par un chauvinisme crasse et construite sur les plus vieux préjugés du monde' » (1999-2000, p. 75). On apprend aussi que c'est ce responsable de l'information qui a demandé à l'ombudsman de faire enquête car il refusait de répondre à une plainte qui avait, selon lui, un caractère « 'haineux, diffamatoire, affabulateur et démagogique, sans oublier ses appels à la violence et ses allusions racistes' » (SRC, 1999-2000, p. 75). Outre ce cas exceptionnel, donc, l'ombudsman intervient en révision, après une première réponse du responsable du programme visé par la plainte, comme le prescrit son mandat.
Par ailleurs, l'ombudsman produit un rapport annuel regroupant l'ensemble de ses décisions ainsi que des commentaires adressés à la direction de la SRC. Les révisions de l'ombudsman portent sur des griefs exprimés en première instance, griefs qui ont suscité des réponses que le plaignant ne trouve pas satisfaisantes. Ce dernier doit alors écrire à l'ombudsman et lui demander de réviser le dossier. Pour procéder à sa révision, l'ombudsman s'en remet aux griefs formulés dans la première lettre et non à des griefs et commentaires faisant suite à la réponse obtenue en première instance. L'ombudsman explique s'en tenir à la première lettre « en toute équité envers les responsables de l'émission et aussi pour respecter rigoureusement la procédure de traitement des plaintes » (SRC, 1995-96, p. 43). Il a donc refusé plusieurs fois de tenir compte d'éléments supplémentaires contenus dans des demandes de révision, mais il lui arrive parfois d'hésiter. Par exemple, dans un cas, la demande de révision contient des informations qui répondent aux arguments du responsable de l'émission mise en cause. L'ombudsman affirme qu'il s'en tiendra à la première lettre qui constitue la plainte à proprement parler, tout en reconnaissant que la seconde lettre « et toute correspondance ou tout échange ultérieurs . . . peuvent contribuer à étoffer le dossier mais ne peuvent être considérés comme faisant partie de la lettre formelle ». Mais il n'exclut pas catégoriquement de prendre en considération certaines observations contenues dans la seconde lettre « au même titre que les rencontres ou les conversations que peut avoir l'ombudsman dans sa démarche d'enquête » (SRC, 1999-2000, p. 106). Toutefois cette règle de la première lettre souffre des exceptions, comme ce fut le cas pour une décision où l'ombudsman analysera les griefs de trois plaintes de l'Ordre des dentistes du Québec, acheminées par leurs procureurs. Il justifie cette dérogation à la procédure en invoquant la complexité du sujet (les amalgames dentaires) et afin d'être « équitable envers chacune des parties » (SRC, 1996-97, p. 2).
Il se peut que la règle de la première lettre soit à la limite de l'équité pour les personnes peu familières avec le mandat de l'ombudsman et avec ses procédures, car elles sont en quelque sorte prisonnières des imperfections ou imprécisions de leur première correspondance, alors que la demande de révision porte en réalité sur le reportage et non sur la réplique du responsable de l'émission. L'existence de cette règle procédurale révèle l'importance capitale de rédiger explicitement et de manière fort documentée la plainte dès la première étape du processus d'imputabilité, ce qui peut avantager les plaignants mieux organisés et familiers avec les médias comme le suggère du reste notre analyse quantitative (Bernier, 2002).
Pour prendre une décision, l'ombudsman nous a déclaré s'appuyer principalement sur un volumineux document normatif intitulé Normes et pratiques journalistiques de la SRC. Ce document fait état des pratiques et valeurs professionnelles reconnues : équité, rigueur, exactitude, intégrité, impartialité, respect de la vie privée, procédés clandestins, etc. Le schéma suivant illustre le modèle d'imputabilité de l'information mis en place à la SRC. Il tient compte de la procédure officielle et explicite de la SRC, mais aussi des cas d'exception que nous avons observés. En ce sens, ce schéma est davantage conforme avec le modèle d'imputabilité réel qu'avec la description qui en est généralement faite.
Invité à commenter ce modèle, l'ombudsman en poste se demande si le terme d'imputabilité est bien approprié à son mandat car son bureau « fonctionne à la manière d'un tribunal d'honneur » qui interprète la politique journalistique et détermine au cas par cas si elle a été respectée. Il ajoute que c'est la « direction qui est imputable de l'information » avant d'ajouter que cette même direction «est responsable du respect et de l'application de la politique journalistique ». Il suggérait alors de parler de modèle d'imputabilité de la politique journalistique et non de modèle d'imputabilité de l'information. Cependant, comme l'ombudsman se penche également sur des griefs qui concernent des informations diffusées dans le cadre d'émissions de variété, il nous a semblé plus approprié de parler de l'information, même si celle-ci est évaluée à l'aide des Normes et pratiques journalistiques(NPJ).
Schéma 1: Le modèle d'imputabilité de l'information de la SRC
Schéma 1: Le modèle d'imputabilité de l'information de la SRC
Quant à la possibilité d'en appeler de ses décisions, il précise que la décision de l'ombudsman est en soi un appel, bien qu'environ 10 % des personnes impliquées, plaignants ou journalistes, voudraient aller plus loin. Il admet cependant que l'ombudsman peut répondre à un « appel sur une révision » selon son « bon vouloir ». Il précise finalement que ce « deuxième appel n'est pas codifié dans le mandat de l'ombudsman : l'ombudsman est donc entièrement libre de considérer comme finale sa révision. C'est d'ailleurs ce à quoi on s'attend ». L'analyse des 144 décisions indique que deux décisions de l'ombudsman ont fait l'objet d'un appel, réalisé par lui-même (SRC, 2000-01) ou par un consultant externe (SRC, 1996-97), soit un ancien directeur de l'information à Radio-Canada. Dans les deux cas, la décision a été maintenue. Ces cas valident le schéma élaboré plus haut.

LES RECHERCHES DE L'OMBUDSMAN

Le processus d'imputabilité de l'information de la SRC repose largement sur l'enquête réalisée par l'ombudsman pour les plaintes qui se rendent, en seconde instance, au stade de la révision. Pour répondre aux plaignants, il lui arrive d'entreprendre des recherches approfondies dans des ouvrages consacrés aux sujets qui ont fait l'objet des reportages controversés. Il en a été ainsi, par exemple, en ce qui concerne l'histoire des chevaliers de l'Ordre de Malte, qui était un élément important d'une plainte, ou encore de la définition de l'ésotérisme quand il a dû se pencher sur une plainte concernant le rapprochement fait entre une firme de consultants en relations de travail associée au Mouvement du Graal et à l'Ordre du temple solaire (SRC, 1994-95).
Ces recherches peuvent parfois être exhaustives et, lorsque cela est le cas, l'ombudsman cite alors les ouvrages consultés pour appuyer sa position. Dans une longue décision concernant les origines du drapeau québécois, l'ombudsman s'est livré à un véritable travail de fond, interrogeant de nombreux documents historiques pour répondre aux 29 commentaires et griefs d'un plaignant qui considérait qu'un reportage télévisé manquait grossièrement de respect envers le drapeau et, partant, le peuple québécois. On y retrouve pas moins de 87 renvois à 51 articles, livres et documents divers qui retracent les grands débats ayant entouré l'importance des croyances religieuses dans l'historique du fleurdelisé. Il en profite aussi pour noter que certains propos de René-Daniel Dubois, auteur dramatique et metteur en scène, étaient inexacts et même « injurieux » envers le drapeau québécois, sans toutefois injurier toute la collectivité québécoise. Il reconnaît que ces propos étaient injustifiés et contraires aux NPJ (SRC, 1999-2000, p. 47).
Mais les recherches de l'ombudsman ne sont pas toujours exhaustives. Pour analyser une plainte de discrimination à l'endroit des musulmans, à la suite de reportages concernant un Égyptien qui a enlevé ses cinq enfants nés au Québec pour les amener dans son pays d'origine, l'ombudsman dit avoir consulté un imam et un juriste spécialiste du droit égyptien, mais n'a pas tenté de communiquer avec le père « convaincu que je suis qu'une telle démarche ne donnerait rien » (SRC, 1995-96, p. 78). Cela ne l'empêche pas d'attribuer au père des motivations et intentions de nature religieuse et juridique qui expliqueraient son comportement. Toutefois, dans une autre décision impliquant une certaine connaissance de l'islamisme et du Pakistan, l'ombudsman a fait appel à environ 30 personnes, la plupart étant des universitaires (SRC, 1996-97).
Il arrive parfois à l'ombudsman de faire référence à l'opinion d'experts qu'il n'identifie pas, par exemple lorsqu'il répond à un ancien policier de la Gendarmerie royale du Canada que « les juristes que j'ai consultés se prononcent avec beaucoup moins de certitude » (SRC, 1993-94, p. 29) sur un sujet précis soulevé dans la plainte. Ailleurs, il signale avoir « consulté plusieurs personnes du monde du journalisme et du monde universitaire » en plus d'avoir « pris connaissance d'un certain nombre d'ouvrages traitant du droit du public à l'information et de la vie privée des individus » (SRC, 1993-94, p. 68-69) pour répondre à la plainte d'un ex-ministre libéral à Ottawa. Dans une autre décision, l'ombudsman est allé un peu plus loin dans sa démarche en soumettant le reportage controversé « à un panel d'anciens journalistes de l'extérieur de Radio-Canada mais familiers avec les règles de déontologie du journalisme » (SRC, 1994-95, p. 65) sans expliquer pourquoi il a cru bon de procéder de cette façon.
Il arrive aussi que l'ombudsman prenne la peine de rétablir le contexte dans lequel l'émission visée a été produite. Ainsi, pour une plainte concernant la Bande des Six (une émission culturelle réunissant à la fois critique, satire et cynisme), il écrit que si un animateur a lancé « c'est une folle! », à l'endroit d'une avocate ayant produit un livre sur les abus de la liberté d'expression des critiques, cela ne serait pas étranger à des propos similaires tenus la même semaine par l'ex-président du Collège des médecins du Québec à l'endroit d'une avocate se plaignant d'avoir été agressée sexuellement par son médecin. De plus, l'ombudsman mentionne que les animateurs de cette émission en étaient à la dernière émission régulière car la Bande des Six était définitivement retirée des ondes. Il profite de cette plainte pour faire savoir qu'il « existe un certain danger à analyser le contenu d'une émission dans une atmosphère complètement aseptisée, trois mois après sa diffusion. La communication, quelle qu'elle soit, n'est jamais indifférente au climat de l'époque . . . » (SRC, 1993-94, p. 71). En tenant compte du « climat de l'époque » de production d'une émission d'information, l'ombudsman a recours à un cadre interprétatif qu'on ne retrouve pas dans les Normes et pratiques journalistiquesen vigueur. Cela témoigne de la discrétion qu'il s'accorde dans l'interprétation des NPJ comme nous avons pu le constater à plusieurs reprises lors de l'analyse du corpus.

LA REDDITION DE COMPTES DE L'OMBUDSMAN

Selon Nemeth, un système d'imputabilité qui se prétend public doit prévoir un canal de diffusion des décisions à l'ensemble du public desservi par le média, et non juste à l'endroit des plaignants. Il ajoute qu'un tel système qui se veut vraiment représentatif doit évaluer non seulement les gestes individuels, mais aussi l'ensemble des décisions de l'organisation afin de déterminer si elles sont équitables, justes et appropriées. Dans un contexte de presse écrite, il estime que la meilleure façon d'atteindre cet objectif est la publication de chroniques régulières qui rendent compte du fonctionnement du journal, ce que l'ombudsman du Courier-Journal n'a commencé à faire qu'à compter du début des années 1990 (Nemeth, 2000). Il croit par ailleurs que l'ombudsman dont le principal souci est de traiter des plaintes individuelles aura de la difficulté à faire preuve d'une imputabilité publique, alors que l'ombudsman qui se consacre principalement à cette imputabilité publique, par le biais d'une chronique régulière par exemple, aura moins de temps à consacrer aux plaintes individuelles (ibid.).
Vue de cette façon, l'imputabilité de la SRC n'a pas un caractère aussi public que le souhaiterait Nemeth. Elle passe essentiellement par le rapport annuel de l'ombudsman. On peut noter que de 1992-93 à 1999-2000, la tendance a favorisé une certaine transparence, notamment par la publication en nombre limité de rapports exhaustifs en deux ou trois volumes, dans lesquels on trouvait les lettres des plaignants, la réponse du responsable de l'émission mise en cause, la demande de révision souvent accompagnée d'une réplique aux propos du responsable et, finalement, la décision de l'ombudsman. On y retrouvait aussi un registre de toutes les plaintes et commentaires du public concernant aussi bien les émissions d'information que la programmation de variété. La rapport annuel était exhaustif et avait officiellement un caractère public mais il était d'accès difficile, sa diffusion étant restreinte. En somme, son degré de diffusion n'était pas proportionnel à son degré d'exhaustivité. L'arrivée d'un nouvel ombudsman, le cinquième depuis 1992,6 a modifié radicalement cette situation puisque le rapport annuel 2000-01 est accessible sur Internet, mais il a perdu grandement de son exhaustivité puisqu'on n'y trouve qu'un résumé de la plainte et un résumé de la décision. De plus, le rapport présente toujours l'identité du plaignant et l'émission mise en cause, mais l'identité des journalistes visés est gardée confidentielle alors qu'elle était présente dans les rapports annuels précédents. À ce titre, on peut dire qu'il est moins transparent que les précédents.
Une brève description des rapports annuels successifs permet d'avoir une idée plus précise de la reddition de comptes à laquelle se soumet l'ombudsman de Radio-Canada. Le premier rapport annuel du corpus (SRC, 1992-93) est moins complet que ceux qui marquent la fin de la période analysée si on fait exception du rapport 2000-01. Le premier rapport annuel n'était constitué que de résumés des plaintes et des décisions, alors qu'on retrouvera plus tard, comme nous l'avons mentionné, des rapports beaucoup plus exhaustifs. Il est intéressant de noter à ce chapitre que le rapport annuel 2000-01 revient en quelque sorte au point de départ. Le premier rapport annuel étant moins exhaustif que les suivants, il rend très difficile l'analyse des décisions de l'ombudsman car nous ne possédons pas les documents de référence (plaintes, échanges, réponses, etc.) des acteurs impliqués mais simplement des résumés. De plus, les décisions du premier ombudsman sont courtes comparativement à celles de ses successeurs, car il offre des réponses qui contiennent en moyenne 15,21 lignes tandis que ses successeurs ont respectivement des réponses faisant en moyenne 53.3, 124.5, 126, et 66 lignes. L'ombudsman 5 ne compte qu'une réponse dans notre corpus, certes, mais sa décision porte sur un seul grief7 et il a quand même offert une réponse longue de 66 lignes.
Tableau 1: Comparaison de la longueur des décisions des ombudsmen de la SRC
Tableau 1: Comparaison de la longueur des décisions des ombudsmen de la SRC
Dans le premier rapport du corpus, on constate que l'ombudsman a tendance à argumenter avec les plaignants et ne fait pas référence aux enquêtes ou démarches entreprises auprès du personnel de la SRC, si tel est le cas, pour en venir aux conclusions qu'on retrouve dans ses décisions. Du reste, on est encore à l'époque où l'ombudsman est le premier répondant aux plaignants, mais sa décision peut faire l'objet d'un appel, ce qui s'est produit à quelques reprises.
Le second rapport annuel (SRC, 1993-94) est le premier à être publié à la suite de modifications apportées au Bureau de l'ombudsman, modifications résultant des travaux du Groupe d'étude sur le Bureau de l'ombudsman, en août 1992. Il est donc difficile de la comparer avec le précédent, d'autant plus que l'ombudsman n'a plus à se prononcer, en première instance, sur le bien fondé de toutes les plaintes car celles-ci doivent d'abord être traitées par les responsables des émissions concernées. Il intervient donc en seconde instance comme on l'a vu. Ce rapport, nettement plus détaillé que le précédent, est conçu différemment, notamment en présentant chaque décision avant la plainte. Exceptionnellement, l'ombudsman se réfère à la jurisprudence du Conseil de presse du Québec dans une décision, chose qui ne se reproduira plus par la suite. Cependant, il ne se réfère pas à ses propres décisions antérieures pour appuyer ses conclusions, ce qui augmente aussi sa latitude dans l'interprétation des situations et des normes qui s'appliquent. À ce chapitre, notre analyse révèle que l'ombudsman cite relativement peu souvent (25,7 % des cas) les règles déontologiques des NPJ sur lesquelles il se base pourtant pour analyser les 363 griefs contenus dans les 144 plaintes du corpus. Dans près de 53 % des cas, les règles sont passées sous silence tandis qu'elles sont évoquées dans près de 9 % des cas.
Le rapport 1994-95 est plus volumineux et marque un changement dans sa présentation, changement qui durera jusqu'en 1999-2000. On peut y lire, dans l'ordre chronologique, les échanges de courrier entre les plaignants et les responsables des émissions concernées, suivis de la décision de l'ombudsman. Celui-ci introduit maintenant chaque plainte révisée en présentant de façon sommaire le principe mis en cause (cueillette de l'information, équité, violations présumées du principe d'intégrité, etc.), en identifiant le plaignant (individu ou représentant d'une institution ou d'une entreprise, avocat, etc.) et en résumant l'objet de la plainte (la démarche du journaliste pour obtenir une interview, etc.).
Le rapport annuel 1995-96, pour sa part, se démarque essentiellement par le volume des plaintes traitées en raison de l'activité politique, car 1995 a été une année référendaire au Québec et cela a provoqué une hausse importante de plaintes à l'endroit des journalistes de Radio-Canada.
De nouvelles modifications sont observables en 1996-97 car le rapport annuel nous offre une présentation différente des plaintes qui font l'objet de révision. L'ombudsman les présente toujours en fonction du principe mis en cause, mais il offre également une fiche synthèse présentant notamment la nature de la plainte, le suivi donné, le canal utilisé par le plaignant (téléphone, fax, lettre), des indications précises au sujet de ce dernier, le média concerné (radio, télévision) et la date de diffusion de l'émission ou des émissions en cause. Un résumé de la plainte ainsi qu'un résumé de la décision s'y trouvent également. On peut donc constater un raffinement dans le souci du détail des rapports annuels.
Les rapports annuels 1997-98 et 1998-99 sont conformes aux précédents, mais le décès subit de l'ombudsman en poste a forcé la SRC a avoir un ombudsman par intérim pour le rapport 1998-99, l'ombudsman du service anglais en l'occurrence, lequel a délégué certaines analyses à un ancien ombudsman à la retraite. Il faut noter que l'ombudsman a confié la supervision de la couverture des élections fédérales de 1997 à quatre comités de citoyens. Il fait état de leurs commentaires très positifs quant à l'équilibre, l'impartialité et l'équité de la couverture, même si des recommandations y sont énoncées afin d'améliorer la couverture future.
Finalement, le rapport 1999-2000 est présenté dans la même forme que ceux des années précédentes. Le nouvel ombudsman le qualifie de « très volumineux » et annonce déjà au président-directeur général son intention d'en présenter une version allégée dès 2000-01, en collaboration avec son homologue du réseau anglais, afin « d'en faciliter une distribution élargie et la lecture » (SRC, 1999-2000, p. 1). On peut signaler deux nouveautés dans ce rapport, soit l'arrivée de plaintes qui concernent le site Internet de la SRC et le recours important au courriel comme canal de communication, l'ombudsman notant que 75 % des plaintes concernant les trois grands principes de la politique journalistique (exactitude, équité et intégrité) sont arrivées par courrier électronique.
Le rapport annuel 2000-01 se présente sous une forme radicalement différente des rapports précédents. Au lieu de contenir un résumé de l'année suivi de la liste exhaustive des échanges entre le plaignant, les responsables des émissions d'information de Radio-Canada et l'ombudsman, ce rapport ne contient qu'un seul volume de 38 pages là où les rapports précédents contenaient trois volumes totalisant quelques centaines de pages. L'ombudsman explique se limiter dorénavant aux faits saillants des activités de son Bureau dans le but « d'élargir la distribution et de faciliter la lecture du rapport », notamment en l'affichant intégralement sur le site Internet de Radio-Canada (SRC, 2000-01, p. 2). L'ombudsman résume donc les plaintes qui se sont rendues au stade de la révision ainsi que sa réponse, tout comme il présente une synthèse des rapports de différents comités consultatifs mis sur pied dans le cadre des élections fédérales de 2000. Ses résumés sont présentés sans faire référence au principe journalistique mis en cause. Quand deux plaintes similaires se suivent, il lui arrive même de résumer une plainte et une décision en quelques mots : « Plainte semblable, réponse semblable » (SRC, 2000-01, p. 14). Alors que les autres rapports identifiaient à la fois le plaignant ainsi que le ou les journalistes mis en cause, le rapport annuel 2000-01 abandonne cette façon de faire. Si le plaignant est toujours identifié, tout comme l'organisme qu'il représente, l'identité des journalistes demeure confidentielle, et le lecteur doit se contenter du nom de l'émission d'information ayant diffusé le reportage mis en cause.
En entrevue, l'ombudsman nous a expliqué qu'il considère qu'une plainte n'implique pas seulement le journaliste visé, mais une équipe et un processus de production, le journaliste n'étant que l'acteur le plus visible: « Alors moi, je me suis dit que si on se plaignait d'un élément d'information, au fond on se plaignait d'une émission donnée. Et puis, c'est comme ça que je suis arrivé un peu à la conclusion que c'était peut-être mieux de ne pas mettre les noms des journalistes. » Cette décision n'est pas irrévocable, a-t-il laissé entendre. Notons qu'en adoptant cette perspective, l'ombudsman semble vouloir privilégier le concept de la responsabilité collective ou institutionnelle, une conception d'inspiration européenne liée aux structures et à l'organisation du travail, plutôt qu'une responsabilité individuelle plus conforme avec la tradition nord-américaine.

CONCLUSION

Le modèle d'imputabilité journalistique mis en place à Radio-Canada est somme toute assez simple à décrire et à comprendre, ce qui pourrait faciliter la tâche à ceux qui désirent lui soumettre leurs griefs.
Cependant, le fait que l'ombudsman de la SRC s'en remette à la première lettre pour analyser une plainte peut être inéquitable pour les personnes peu familières avec son mandat et ses procédures, car elles sont en quelque sorte prisonnières de leur première correspondance. Cela risque d'accorder un avantage aux plaignants mieux organisés qui peuvent mieux présenter et défendre leur point de vue. Aller au-delà des griefs soulevés en première instance en tenant compte de manquements que l'ombudsman peut identifier dans le cadre de sa révision pourrait en revanche être perçu comme un signe d'ouverture en faveur des plaignants moins familiers avec la procédure et les médias.
Malgré certaines limites observées, la fonction d'ombudsman favorise l'imputabilité journalistique et le modèle mis en place à la Société Radio-Canada pourrait être repris par diverses entreprises de presse écrite et électronique qui pourraient l'adapter à leur situation. Dans un contexte canadien marqué par la concentration et la convergence des médias d'information, l'imputabilité journalistique risque de devenir un enjeu public important et le modèle radio-canadien pourrait inspirer ceux que la situation inquiète.
Il y aurait lieu de mener d'autres recherches afin de mieux comprendre les intentions et les attentes des plaignants individuels ou institutionnels face aux médias, l'évaluation qu'ils font de l'intervention de l'ombudsman et l'utilisation qu'ils en font, l'impact que cette fonction peut avoir sur leur évaluation de l'information radio-canadienne ou encore sur l'utilité de ce mécanisme d'autorégulation pour éviter d'éventuelles poursuites devant les tribunaux civils.

REMERCIEMENTS

L'auteur tient à remercier les évaluateurs anonymes pour leurs commentaires.

NOTES

  1. Entendu au sens d'une presse libre de toute censure gouvernementale préalable. Nous sommes conscient que la presse n'est jamais totalement libre de toute contrainte légale, morale, politique ou économique.
  2. Cette section résume l'essentiel du Rapport final du Groupe d'étude sur le Bureau de l'ombudsman.
  3. Le réseau anglais, Canadian Broadcasting Corporation ou CBC, a lui aussi son ombudsman.
  4. Dans le cas du rapport annuel 2000-01, l'analyse quantitative a été minimale car sa présentation était radicalement différente des rapports des années précédentes et occultait plusieurs variables prises en compte jusque là. Toutefois, un résumé des plaintes et des décisions permet une certaine analyse qualitative. L'analyse des décisions tenait compte, entre autres, des variables suivantes : délai de réponse, longueur de la décision en nombre de lignes, statut du plaignant (individu ou représentant d'un groupe), nombre de griefs pour chaque plainte, décision de l'ombudsman (plainte fondée, non fondée, partiellement fondée), identification (explicite ou non) de la règle déontologique ou du principe éthique ayant inspiré la décision. La grille d'analyse a été élaborée au terme d'une première lecture du corpus. Elle n'a cependant pas fait l'objet d'un test de validité avec codeur indépendant.
  5. Les informations ainsi obtenues seront peu utilisées dans le présent article puisqu'elles confirment essentiellement la description du processus d'imputabilité mise au jour par l'analyse des documents.
  6. Le troisième ombudsman étant décédé subitement, il a été temporairement remplacé par l'ombudsman du réseau anglais avant la nomination de celui que nous considérons être le cinquième ombudsman, pour les besoins de l'analyse.
  7. Une plainte peut compter plus d'un grief, la moyenne étant de 2,52. Une plainte a même généré jusqu'à 33 griefs. La valeur du mode est de 1, la médiane de 1,00.

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