Médiateurs de presse ou press oMbudsMen La presse en quête de crédibiLité a-t-eLLe trouvé son Zorro ? Frédérique béal et Daniel cornu part 2


la TenTaTion sChiZoPhrène du diaTeur


Dans son livre « Les journalistes et leur public : le grand malentendu », Jean-Marie Charon, sociologue des médias français, sinterroge sur la capacité des médiateurs à trancher entre la défense du public et les explications pour excuser les journalistes.
A trop vouloir expliquer les choses aux lecteurs, les pressions et lurgence dans lesquelles les journalistes travaillent, le médiateur ne devient-il pas un fournisseur dalibi pour les journalistes ? Le défenseur des journalistes auprès du public ?

« La tentation naturelle serait de défendre la rédaction, mais je suis du signe de la balance, jespère avoir suffisamment de justesse pour ne pas céder à cette tentation. Mon rôle est surtout dêtre diplomate, davoir un esprit ouvert et apaisant » dira le médiateur de L’Est Républicain.

« Il est difficile dêtre juge et partie » constate Marie-Laure Augry, la médiatrice
de France 3.

« fenseur » des lecteurs…

Cest le nom quont choisi de porter certains médiateurs. En Espagne, le « defen- sor del lector » sengage bien à « protéger » le lecteur du quotidien de référence El Pais, en vérifiant que les informations du journal respectent les règles de déontologie du journalisme.

Au Brésil, C.T. Costa, le premier ombudsman de la Folha de São Paulo défend cette position dans sa première chronique. Il écrit et signe : « Dorénavant, nayez pas de doute. Si vous vous sentez blesdans votre droit de lecteur, prenez contact avec lombudsman. Il est payé pour vous défendre ».

le médiateur panse les blessures et guérit le lecteur lorsqu’il est en mal avec son journal.


Marie-Laure Augry, reconnaît volontiers dépenser beaucoup dénergie pour
« démontrer aux journalistes que le téléspectateur nest pas un éternel râleur qui ne connaît rien. Quen fait il est informé, très au courant des choses. Quil est plus intelligent que ce que les journalistes croient ». Le dire, le faire admettre, cest aussi défendre le téléspectateur.

Une défense qui peut prendre une tournure juridique, en Suède par exemple. Ces dernières années, les ombudsmen ont ru en moyenne 400 plaintes par an. La plupart de ces plaintes concernent la couverture des faits divers ou la violation de vie privée. 10 à 15% des plaintes formulées dénoncent le non respect des règles
déontologiques établies par le Conseil de presse suédois. Plus de la moitié des plaintes ne feront pas lobjet de poursuites judiciaires : après gociations, le journal accepte de publier un démenti, rectificatif ou droit de réponse. Une condamnation à moindre mal pour le média. La justice règle les autres cas et peut imposer des sanc- tions financières.

…ou des journalistes ?

« Le lecteur doit savoir que quelquun, à plein temps, est là pour lécouter » mais aussi « pour expliquer le fonctionnement du journal ». Olivier Clerc, au Midi Libre, se retrouve souvent entre deux chaises, comme nombre de médiateurs. Un lecteur, déçu dune réponse, lui a un jour clairement reproché dêtre du côté de la rédaction :
« Vous expliquez les choses et puis au bout du compte vous excusez le journal ».

Ecouter le lecteur, cest primordial. Mais la course à linformation, la concurrence entre les médias, la pression, le manque de temps… peuvent finir par, non seulement expliquer mais justifier, puis absoudre la négligence ou la faute. Et faute avouée…

« Je suis pour établir une relation de confiance entre le lecteur et le quotidien régional. Pour expliciter les difficultés, les problèmes, les objectifs, la démarche, les fondements de la ligne éditoriale. » LEst Républicain en pleine mutation développe sa présence sur Internet. La presse quotidien ne bouscule ses habitudes. Fini le temps du bouclage à une heure précise pour permettre limpression. Il est toujours temps de publier en ligne une information ou les premiers éléments dun article que le lec- teur pourra lire le lendemain en kiosque. Linstantanéité devient la règle, parfois au mépris de toute réflexion. Même rythme pour les radios et les télévisions. L’heure du générique du Journal Télévisé nest plus la dead line. Les rushes23 diffusés sur un site internet peuvent devenir plus importants que le reportage lui-même. Avec toutes les dérives possibles que de tels procédés peuvent engendrer.

saisi par le public, le médiateur peut facilement devenir un fournisseur d’alibi.


Le médiateur connaît les causes des dysfonctionnements, il peut les exposer. A lui
de trouver le ton juste et le juste engagement pour ne pas les excuser ni les banaliser

« parce que le système, critiquable certes, fonctionne ainsi ». Jean-Claude Allanic, en quittant la fonction de médiateur de France 2, a déploré cette fonction dalibi quil ne supportait plus dendosser.



Une défense qui peut prendre une tournure juridique, en Suède par exemple. Ces dernières années, les ombudsmen ont ru en moyenne 400 plaintes par an. La plupart de ces plaintes concernent la couverture des faits divers ou la violation de vie privée. 10 à 15% des plaintes formulées dénoncent le non respect des règles
En Afrique du Sud, lombudsman déplore, lui, son incapacité à « réparer » les fautes, quil a classées en huit catégories :
•   manque de précisions dans les étapes de vérification des faits et pas de point
de vue contradictoire
•   manque de précisions sur la possible complaisance face à certaines « affaires »
et les allégations exprimées contre des entités ou des institutions
•   orientation des reportages fondées sur des préjugés et des convictions
(concernant la nationalité, la race, lethnie, lorientation sexuelle…)
•   mélange entre les faits et les opinions
•   influence de transactions commerciales
•   refus de publier les lettres des plaignants
•   violation de la vie privée
•   blasphème, injure, sensationnalisme, violence et nudité

Les manquements dénoncés ici concernent les bases fondamentales du journa- lisme. Et lombudsman sud-africain de constater avec désolation : « ces erreurs sont à lorigine de préjudices impossibles à réparer par de simples excuses ».

Le médiateur défend donc le public mais savoue finalement impuissant quand il sagit daborder lultime étape : celle de la réparation.

la recherche de la qualité

Le médiateur se révèle donc légitime dans son rôle de justicier. Sans devenir juge, sans devenir flic. Ni avocat des journalistes, ni avocat des auditeurs mais avocat de linformation.
Et Loïc Hervouet, médiateur de RFI de rappeler quil est avant tout le « défenseur de la bonne pratique journalistique ». Le médiateur, tel que la conçu Noël Copin à RFI, « nest pas un professeur de morale. Il nest pas un donneur de leçons ». Je suis
« tout sauf un gardien de la déontologie ou un procureur. Je me vois plutôt comme une balise de sécurité », explique Marie-Laure Augry, médiatrice de France 3.

Dans son enquête sur les médiateurs de presse français, Yves Agnès note quà chaque médiateur correspond une façon dexercer ses fonctions. Question de per- sonnalité : la médiation devient alors « plus ou moins incisive, la rédaction plus ou moins ménagée, lactivité du médiateur plus ou moins intense ».

Plus proche des lecteurs  que les journalistes

Le médiateur, par fonction, reçoit davantage de plaintes que de compliments. Cest lui qui réceptionne grognements et coups de gueule : « Votre information est lamentable » propos de la crise des banlieues françaises en novembre 2005)
« Arrêtez de faire campagne pour le oui » propos du référendum français sur le traité constitutionnel européen) …24
Les réactions arrivent isolées ou en cascade, épidermiques, instantanées.
Celles qui saccumulent finissent même par ressembler à un baromètre dopinion. Le médiateur se méfie de celles qui arrivent par centaines : trop nombreuses, les
critiques peuvent être orchestrées par des groupes de pression. Le médiateur averti préférera donc la qualité à la quantité.
Toutes ces réactions sont le reflet de lévolution de la société, « le révélateur de ses failles », diront les médiateurs. Certains dentre eux nont pas été surpris du « non » massif lors du référendum français du 29 mai 2005. Ils avaient vu se dessiner, depuis des mois, la rupture entre la classe politique, les journalistes et les citoyens.
Et puis les journalistes sont difficilement joignables, quils se trouvent « sur le ter- rain » ou dans leur rédaction. Ne sachant pas à qui sadresser pour faire une proposi- tion de sujet, Joëlle Delaere a ainsi contacté la médiatrice de France 3. Son courriel, réorienté vers lune des rédactions régionales, a été traité par un journaliste qui a fina- lement tourné un reportage. Le médiateur devient lun des vecteurs de proximité.
Lombudsman-régulateur défend le lecteur contre des erreurs du journal ? Sa
réponse est juridique avec lappui dun Conseil de presse ou dun tribunal.
Le médiateur-conciliateur défend le lecteur au sein de la rédaction ? Sa réponse est lécoute et la prise en compte de lavis du public, parfois contre celui de la rédaction.

les PoinTs Communs
le grand Zorro est indépendant

Condition indispensable pour exercer une médiation de qualité : lindépendance. Cest un refrain repris en chœur par tous les médiateurs. Ils se sentent libres et
sont investis de la confiance de leur hiérarchie.
Un justicier na quune devise « même pas peur, même pas mal ».
Et pourtant …La plupart dentre eux est nommée par la direction générale. La 
création de leurposte dépend avant tout de la volonté patronale.
Ils sont aussi, pour la grande majorité dentre eux, directement 
rémunérés parleur média.

« une fonction délicate en temps de crise. »
robert solé

L’indépendance est quand même plus simple et plus évidente pour certains médiateurs que pour dautres.

Emmanuel Schmutz, médiateur de la Radio Télévision Suisse Romande, ny est pas salarié. Son activité professionnelle principale na rien à voir avec la presse, un éloignement quil considère nécessaire à sa totale liberté. Il nintervient que lorsquil est saisi ; il est alors rémunéré au cas par cas (une douzaine en 2006).

Au Guardian, lombudsman dépend directement du groupe propriétaire du jour- nal. Le rédacteur en chef na aucun droit ni pouvoir sur lui. Seul un vote majoritaire au sein du groupe propriétaire pourrait décider de sa révocation. Une « garantie dindé- pendance indispensable » selon le quotidien. Pendant huit ans, Robert Solé, ancien médiateur du Monde, reconnaît que la direction lui a laissé une entière liberté Jai pu faire écho aux critiques des lecteurs, en les reprenant souvent à mon compte ; jai pu mexprimer sur les choix rédactionnels, le contenu ou la présentation des articles, la justesse des titres, la pertinence de largumentation, la place faite aux diverses opinions, la diversité des signatures extérieures… »
Une fois pourtant, la direction a amputé sa chronique dune quinzaine de lignes. Sans son accord. A lépoque de la publication du livre de Pierre Péan et Philippe Cohen, « La Face cachée du Monde » : « Jai pu alors mesurer combien la fonction de médiateur était délicate en temps de crise… »
L’exemple du médiateur de l’hebdomadaire français La Vie est lui aussi significatif. Le poste de médiateur tenu par Jean-Claude Escaffit a été supprimé dès le départ du rédacteur en chef qui lavait nommé ; le nouveau directeur de la rédaction nétant pas favorable au maintien de cette fonction.