mediateur - frederic beal et daniel cornu part 1






médiaTeur : les  origines
Avant de se pencher sur la spécificité des médiateurs de presse, revenons aux origines de la fonction. C’est en 1809 que le parlement suédois met en place le tout premier ombudsman, pour « protéger le citoyen et lui garantir l’équité des déci- sions administratives prises par le gouvernement ».
Il faudra quand même attendre les années 1950 pour que ce « principe de régulation » séduise d’autres pays : la Scandinavie, le Canada, l’Australie, la Nouvelle Zélande, la Tanzanie … En 1967, la Grande-Bretagne nomme un «commissaire parlementaire pour l’administration ». En France, la loi du 3 janvier 1973 crée la fonction de « médiateur de la République » dont le premier en poste sera Antoine Pinay. Il devient le premier « interlocuteur du citoyen quand celui-ci, en litige avec une administration toute puissante, ne sait plus comment trouver une solution3. »
Chaque nation inscrit ainsi, dans la définition de la fonction médiatrice, les parti- cularités liées à son contexte national : défenseur du citoyen, protecteur du public, enquêteur général, aide du citoyen, procureur pour la défense des droits de la personne, avocat du peuple …
Depuis 1978, un certain nombre de médiateurs se sont regroupés en association :
l’institut international des médiateurs, dont le siège se situe au Canada.
médiaTeur… de Presse
Zorro est arrivé sans se presser
Le médiateur, ce trait d’union entre deux parties, va finir par inspirer une presse qui tente de résoudre ses difficultés (perte de crédibilité, de lectorat ou d’audience) en renouvelant les liens avec son public. Elle pense avoir trouvé son Zorro : justicier de l’information, défenseur des lecteurs…
Ainsi, en 1913, Joseph Pulitzer5 nomme le premier ombudsman6 nord-américain. A un moment où le New York World hésite sur sa ligne éditoriale, son directeur voit, par ce biais, le moyen d’assurer aux lecteurs qu’ils peuvent croire ce qui y est publié !
L’ombudsman cautionnera la qualité de l’information.
Quelques années plus tard, la presse japonaise s’inspire à son tour du principe de médiation. En 1922, l’Asahi Shimbun, un quotidien de Tokyo, met en place un comité de journalistes pour recevoir les plaintes et prendre en compte les remarques des lecteurs.
En 1938, son confrère, le quotidien Yomiuri Shimbun nomme une équipe de journa- listes responsables de la qualité de l’information. Ils rencontrent tous les jours les rédac- teurs en chef des différentes éditions pour faire le point sur les plaintes des lecteurs.
Les entreprises de presse japonaises attribuent des appellations variées aux programmes de médiation. La plus répandue est celle de « comité de vérification des journaux », mais on parle aussi de « cabinet d’inspection des informations », de
« département d’évaluation du contenu des informations », de « section de vérifi- cation des articles »… Les membres de ces comités ne sont pas officiellement appelés médiateurs ; ils s’auto-désignent plutôt comme« représentants des lecteurs ».
Il faut attendre soixante ans aux Etats-Unis pour que le Washington Post se dote à son tour d’un ombudsman. Il est cette fois-ci, chargé des relations entre le journal et ses lecteurs. Il entend leurs griefs, rédige des notes internes, écrit et publie, en toute liberté, une chronique régulière7. En parallèle, il est chargé de veiller à l’indé- pendance du journal.
Petit rappel historique des années 1970 aux Etats-Unis : le Washington Post publie les « dossiers du Pentagone » sur les mensonges du gouvernement américain concer- nant la guerre du Vietnam et dénonce le scandale du Watergate. Des révélations pro- pres à engendrer le doute dans l’esprit des lecteurs.
Info ou intox ? Le médiateur peut répondre.
Toujours dans les années 1970, la Suède crée un bureau des médiateurs de presse :
« Allmänhetens Pressombudsman »8. L’initiative en revient au Conseil de presse (créé en 1916, le plus vieux d’Europe). L’ombudsman est nommé par un comité spé- cial composé du chef du « parlement des ombudsmen », du président du barreau des avocats suédois et du président du club national de la presse. Les médiateurs ne dépendent d’aucun titre de presse spécifique et peuvent répondre pour tous les journaux.
Le quotidien brésilien Folha de São Paulo, au Brésil, a pris du temps pour adopter son ombudsmanato9. Prévu en 1986, le poste ne sera pourvu que trois ans plus tard, en 1989 : la présence d’un médiateur au sein d’une rédaction ne s’impose pas. Il faut préciser, qu’à cette époque, le journal repense entièrement sa ligne éditoriale et restructure sa rédaction. Pour que la fonction soit mieux acceptée, la direction propose la délicate mission à un journaliste respecté par l’ensemble de la rédaction : le correspondant du journal en France. La notion de médiation est alors une grande première au Brésil ; la définition de l’ombudsman n’existe ni dans les textes fonda- teurs du quotidien, ni dans les médias d’informations.
la presse européenne découvre la médiation
Enfin dans les années 1980 et 1990 – soit soixante-dix ans après l’expérience du New York World – le reste de la presse européenne découvre le concept de la médiation. El Pais en Espagne, La Tribune de Genève en Suisse, en France La Nouvelle République du Centre Ouest, Le Monde (en avril 1994) vont alors doter leur rédaction respective d’un poste de médiateur.
Encore une fois, ces médias affrontent, dans ces années-là, une situation de
« crise ». Le Monde, par exemple, met en place une nouvelle ligne éditoriale afin de reconquérir sa position dominante dans la presse française. Le quotidien national
« de référence » tente de restaurer la frontière qui séparait la presse dite « sérieuse », dont il fait partie, de la presse « à sensation ».

Peut-on faire le rapprochement entre l’intérêt de la presse française pour la média- tion et certaines « affaires » qui secouent la presse : l’assassinat de Grégory Villemin, le charnier de Timisoara, la couverture de la guerre du Golfe, la« fausse interview » de Fidel Castro, etc. ? La perte de crédibilité illustrée par ces traitements douteux de l’information exige en tous cas des réponses neuves et efficaces.
Par ailleurs, le développement d’Internet et la possibilité pour chacun de produire de l’information, le succès de la presse gratuite, la multiplication des sources d’informa- tion et leur meilleure accessibilité, la curiosité grandissante du public et un esprit criti- que aiguisé, accélèrent le phénomène de mise en cause de la légitimité de la presse.
Les médias, dans leur ensemble, se sentent obligés d’affirmer et de réaffirmer leur volonté d’une information de qualité, de « re-crédibiliser » leurs journalistes, de redorer leur promesse éditoriale pour reconquérir leur public.
La presse audiovisuelle suivra elle aussi le mouvement. D’abord en Amérique du Nord : en réaction à « l’affaire Lester »11, le média de service public SRC Radio Canada s’attache le service d’un ombudsman. Puis ce sera le tour, en France, de l’audiovisuel public : Radio France Internationale et FranceTélévisions en 1998 ; Radio France Outremer et Radio France en 2002.
médiaTeur – réConCiliaTeur ou ombudsman régulaTeur ?
Médiateur et ombudsman, deux noms si proches et pourtant différents. Le rôle attri- bué à l’un et à l’autre varie nettement en fonction de la société dans laquelle il évolue.
Peut-on parler d’un médiateur pour les pays latins et d’un ombudsman pour les pays anglo-saxons ? Peut-on parler d’un médiateur lorsque le poste est créé par un média à l’initiative d’une direction qui cherche à se réconcilier avec son public pour le reconquérir ?
Peut-on parler d’un ombudsman lorsque la décision de nommer quelqu’un est issue de la volonté d’un Conseil de presse afin de faire respecter un code de déonto- logie commun à toute la presse ?
Deux modèles théoriques, l’un sur les rails de la voie médiatique, l’autre sur ceux
de la voie juridique.
le « médiateur réconciliateur »
Serait-il l’interlocuteur privilégié du média et de ses lecteurs, auditeurs ou télés- pectateurs, qu’il traiterait à égalité ? C’est le cas au Washington Post. Au tout début, l’ombudsman devait y procéder à une analyse critique du traitement de l’information et publier une chronique hebdomadaire dans l’édition dominicale. Son texte se lisait dans les pages d’opinion et d’éditoriaux du quotidien13. Aujourd’hui son rôle a évo- lué. Il se veut l’interprète des incompréhensions des lecteurs à propos du journal et du journalisme qu’il pratique14.

A travers son microscope de chercheur-observateur, Claude-Jean Bertrand, spécia- liste des questions d’éthique journalistique, définit ainsi le médiateur : « Son rôle est d’écouter les usagers mécontents, de faire une enquête et, dans les cas importants, de publier ses conclusions dans une chronique hebdomadaire. Il ouvre une porte au public, lui prouve qu’on est prêt à écouter ses critiques. »
Partant du principe que trop peu d’entreprises de presse françaises jouent le jeu de la médiation, Jean-Marie Charon, sociologue des médias au CNRS, insiste en 1998 sur la nécessité de mettre en place des médiateurs, dans un rapport rendu à Catherine Trautmann (alors ministre de la Culture et de la Communication) : « Le principe est d’insti- tuer au sein ou aux côtés des rédactions, un lieu d’accueil et d’analyse des réactions, des questionnements ou des mises en cause émanant du public ». Suite à ces recomman- dations, plusieurs médiateurs seront nommés dans les chaînes de service public.
Réconcilier lecteur et presse écrite est aussi l’objectif du bureau de l’ombuds- man irlandais, même si sa récente nomination provient d’une recommandation du  ministre de la justice pour qui l’autorégulation de la presse écrite et son indépen- dance passent par une réforme de la loi sur la diffamation – loi plus sévère avec condamnations – et la modification des statuts du Conseil de presse.
le médiateur veille à ce que les journaux ne s’arrogent pas le droit d’être au-dessus des lois.
Son rôle est aussi de faire en sorte que le droit des individus, tel qu’il est garanti dans la constitution de la République, soit respecté. Le bureau des ombudsmen peut faire appel à la Cour suprême de justice s’il le juge nécessaire. Comment interpeller l’ombudsman en Afrique du Sud ? Il est demandé au plaignant de d’abord contacter le média. S’il n’est pas satisfait de la réponse, le plaignant pourra s’adresser à l’ombudsman, dans un délai de dix jours à partir de la publication ou diffusion. L’ombudsman a toutefois la possibilité de rallonger ce délai s’il estime que la plainte est valable. Une fois la plainte et la copie de l’article en sa posses- sion, l’ombudsman contactera le média pour trouver une conciliation. Si ce n’est pas le cas, les différentes parties doivent rassembler les éléments pour étayer leur position, dans un délai de sept jours ouvrables. Une fois rendue, la décision de l’ombudsman peut faire l’objet d’un appel.
Même cas de figure en Suède. Le bureau des ombudsmen (Allmänhetens Pressombudsman) doit fournir conseil et assistance aux personnes qui s’estiment lésées par des informations publiées dans un journal, un magazine ou sur un site d’informa- tions en ligne. Les ombudsmen mènent alors une enquête sur les éventuelles dérives journalistiques pour aboutir, si nécessaire, à une sanction du Conseil de presse.
Autre facette de la pratique de la médiation : celle qui consiste à éviter les condam- nations émanant soit du Conseil de presse, soit de la justice. En réglant les plaintes des lecteurs à l’amiable, le médiateur du Volkskrant, quotidien néerlandais, « critique de la maison, conscience du journal et allié du lecteur, est surtout fier d’avoir évité, par la médiation, de nombreux passages de son organe de presse devant le Conseil de Presse néerlandais ».16  Idem en Angleterre où la direction mais aussi les avocats du Guardian ont créé le poste de médiateur en novembre 1997. Une nouvelle option pour traiter les litiges ailleurs qu’en cours de justice.
le médiateur : un « mars-ien » ?
Claude-Jean Bertrand17  considérait le médiateur comme l’un des 80 Moyens d’Assurer la Responsabilité Sociale d’un média, un M.A.R.S.
Ne serait-il pas plutôt un « MARS-ien » sur la planète de la presse?
Sans vouloir transformer les médiateurs en petits bonshommes verts, leur pré- sence continue de paraître surprenante. Henri Amar, médiateur du groupe de presse La Dépêche du Midi, ne peut s’empêcher de le noter : « La fonction de médiateur constitue, à elle seule, un étonnant paradoxe lorsqu’elle s’exerce dans un journal, une radio, une chaîne de télévision, bref, un espace privilégié de communication. Communiquer c’est en effet, par définition même, aller vers l’autre, écouter sa voix, s’en faire le fidèle écho ou y répondre, et on ne comprend, par conséquent pas les raisons pour lesquelles il serait nécessaire de surajouter une dimension médiatrice là où, par principe et par essence, on ne devrait pas y avoir recours. »
Même remarque de Jean-Louis Antoine, tout nouveau et premier médiateur de l’Est Républicain. Il se demande si le médiateur n’est pas une réponse à l’évolution de la profession. Pour lui les jeunes journalistes vont de moins en moins au contact des gens.
mélange des genres
Il est parfois difficile de faire la différence entre le service du courrier des lecteurs- auditeurs-téléspectateurs, le service des abonnements et le médiateur. Les frontières sont minces, le mélange des genres facile. Et les pistes se brouillent. Tel journal enta- mera une tentative de médiation dans son courrier des lecteurs, telle radio en invitant les auditeurs à prendre la parole, tel gratuit en créant un groupe-test de lecteurs qui ressemble davantage à de l’action marketing qu’à de la médiation journalistique…
Robert Solé, médiateur du Monde, disait allier les fonctions de « réceptionniste en chef du courrier, d’avocat et de juge de paix ».
Il est facile de comprendre comment le public peut s’y perdre : il fait ce qu’il peut pour s’y retrouver, saisit qui il peut en se disant que sa requête aboutira bien sur le bureau ou l’ordinateur de quelqu’un… Les chemins de recours ou d’interpellation sont en général mal fléchés.

Au Midi Libre, lorsque le service des lecteurs est interpellé sur une question d’actualité, le courrier est confié au médiateur.
Loïc Hervouet, médiateur de RFI, constate le même type de confusion ou d’instrumentalisation chez les auditeurs : « malins, ils multiplient parfois les desti- nataires, voire les envois, on ne sait pas toujours précisément qui ils ont saisi princi- palement. Ainsi arrive-t-il qu’un interpellateur reçoive, une, deux, voire trois répon- ses à son message. Encore heureux que les réponses soient convergentes… Mais il arrive aussi (une chance, c’est rare !) que le courrier reste sans réponse, chacun des destinataires croyant (ou espérant) qu’un autre interpellé aura répondu. »
À TF1, douze personnes travaillent au service « accueil des téléspectateurs », qui transmet à la rédaction la moindre critique enregistrée. « Si personne n’a le titre de médiateur, les reproches que nous répercutons sont bien pris en compte par les journalistes », explique le chef du service, Fabrice Dones.
le ParTenaire du médiaTeur :
le PubliC aCTiF

Véronique Maurus du Monde : « Il existe, parmi nos lecteurs, une variété parti- culièrement méritante : ce sont les « rectifieurs », ces pêcheurs de perles au long cours qui, l’année durant, scrutent nos pages sans relâche et collectionnent les abus, erreurs et lapsus comme autant de joyaux. Tantôt sévères, tantôt aimables ou franchement goguenards, ils nous adressent régulièrement leurs butins, qui, transmis aux coupa- bles, produisent autant de rectificatifs et contribuent ainsi à la qualité du journal. »18
Du côté des lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs, la démarche réactive reste assez imprécise. Françoise Royer, retraitée, a pris le temps de découvrir Internet et avoue se servir de sa messagerie très régulièrement. « J’écris dès que quelque chose ne me convient pas ! Je regarde beaucoup la télévision. Envoyer des courriels c’est un moyen de lutter contre la télé qui dit tout et n’importe quoi ! Je regarde sur Internet si une émission a un site et j’écris… En général c’est le médiateur qui répond ». Françoise, qui a interpellé France 3, a été invitée à participer à l’émission de la médiatrice.
Hervé Pruvost, salarié et père de deux enfants, confie être un« habitué de l’interpellation ». Il se considère comme un militant et ne compte plus les courriers postaux ou électroniques envoyés aux politiques et aux médias. Peu lui importe la réponse, ce qui compte, c’est d’être entendu ! « Nous les téléspectateurs, on est des petites gens qu’on n’interroge pas beaucoup. Mais on a des idées qui pourraient faire avancer les choses ». Sa démarche le conduira, lui aussi, sur le plateau de l’émission
« Votre télé et vous » sur France 3.
Deux démarches différentes… mêmes attentes : être entendu et ne pas être considéré comme quantité négligeable Quand le public se rassemble pour critiquer
Le public français commence à s’organiser pour mieux soutenir certains médias.
La naissance des associations de soutien de lecteurs se produit souvent dans un contexte économique délicat pour le titre, comme ce fut le cas pour le quotidien Le Monde en 1985 ou pour Libération en octobre 2006. L’association peut alors pren- dre une participation financière dans le capital. L’objectif est de réunir des personnes attachées à la ligne éditoriale du journal et prêtes à la défendre. Voire à défendre la survie même de l’entreprise. L’initiative peut également être prise par les salariés du journal eux-mêmes.
Il existe aujourd’hui un certain nombre d’association « amis de… » : au Monde diplomatique, La Vie, etc… mais dont le soutien relève davantage d’une aide écono- mique ou d’un soutien politique que d’une véritable participation critique.
Association de téléspectateurs, « Les Pieds dans le PAF » se veut acteur du Paysage Audiovisuel Français « pour que les citoyens se ré-approprient leur pre- mier média d’information et de divertissement afin qu’il devienne un véritable outil de la cohésion sociale ».
Mais aussi pour se faire entendre.
En Belgique, l’Association des Téléspectateurs Actifs (ATA) a, pendant huit ans, réuni jusqu’à deux cents adhérents. Elle a obtenu de la télévision publique belge la mise en place de la signalétique anti-violence, la mise à l’antenne d’un JT pour enfants ou encore la création d’une émission de médiation avec les téléspectateurs.
L’Association pour la Qualité de l’InformaTion (AQIT) rassemble depuis 2003 des non-journalistes insatisfaits du fonctionnement des médias de presse. Préoccupés par les répercussions de ces dysfonctionnements sur le débat public et la démocra- tie, ces hommes et ces femmes au profil très différent cherchent « l’amélioration de l’acuité intellectuelle et politique du citoyen ». Ils organisent des forums et des cafés-médias où se rencontrent, sur des thématiques précises, des journalistes et le public20.
Action-CRItique-MEDias (Acrimed) est une association née en1995. Elle regroupe des « journalistes et salariés des médias, des chercheurs et universitaires, des acteurs du mouvement social et des « usagers » des médias ». Elle décrypte le traitement de l’information selon une « critique indépendante, radicale et intransigeante ».
A Lyon, les ateliers de la citoyenneté, l’Institut d’Etudes Politique et le club de la presse organisent chaque mois depuis 2004 un « café média » qui réunit du public et des professionnels de l’information.
la TenTaTion sChiZoPhrène du médiaTeur
Dans son livre « Les journalistes et leur public : le grand malentendu », Jean-Marie Charon, sociologue des médias français, s’interroge sur la capacité des médiateurs à trancher entre la défense du public et les explications pour excuser les journalistes.
A trop vouloir expliquer les choses aux lecteurs, les pressions et l’urgence dans lesquelles les journalistes travaillent, le médiateur ne devient-il pas un fournisseur d’alibi pour les journalistes ? Le défenseur des journalistes auprès du public ?

« La tentation naturelle serait de défendre la rédaction, mais je suis du signe de la balance, j’espère avoir suffisamment de justesse pour ne pas céder à cette tentation. Mon rôle est surtout d’être diplomate, d’avoir un esprit ouvert et apaisant » dira le médiateur de L’Est Républicain.
« Il est difficile d’être juge et partie » constate Marie-Laure Augry, la médiatrice
de France 3.
« défenseur » des lecteurs…
C’est le nom qu’ont choisi de porter certains médiateurs. En Espagne, le « defen- sor del lector » s’engage bien à « protéger » le lecteur du quotidien de référence El Pais, en vérifiant que les informations du journal respectent les règles de déontologie du journalisme.
Au Brésil, C.T. Costa, le premier ombudsman de la Folha de São Paulo défend cette position dans sa première chronique. Il écrit et signe : « Dorénavant, n’ayez pas de doute. Si vous vous sentez blessé dans votre droit de lecteur, prenez contact avec l’ombudsman. Il est payé pour vous défendre ».
le médiateur panse les blessures et guérit le lecteur lorsqu’il est en mal avec son journal.
Marie-Laure Augry, reconnaît volontiers dépenser beaucoup d’énergie pour
« démontrer aux journalistes que le téléspectateur n’est pas un éternel râleur qui ne connaît rien. Qu’en fait il est informé, très au courant des choses. Qu’il est plus intelligent que ce que les journalistes croient ». Le dire, le faire admettre, c’est aussi défendre le téléspectateur.
Une défense qui peut prendre une tournure juridique, en Suède par exemple. Ces dernières années, les ombudsmen ont reçu en moyenne 400 plaintes par an. La plupart de ces plaintes concernent la couverture des faits divers ou la violation de vie privée. 10 à 15% des plaintes formulées dénoncent le non respect des règles déontologiques établies par le Conseil de presse suédois. Plus de la moitié des plaintes ne feront pas l’objet de poursuites judiciaires : après négociations, le journal accepte de publier un démenti, rectificatif ou droit de réponse. Une condamnation à moindre mal pour le média. La justice règle les autres cas et peut imposer des sanc- tions financières.
…ou des journalistes ?
« Le lecteur doit savoir que quelqu’un, à plein temps, est là pour l’écouter » mais aussi « pour expliquer le fonctionnement du journal ». Olivier Clerc, au Midi Libre, se retrouve souvent entre deux chaises, comme nombre de médiateurs. Un lecteur, déçu d’une réponse, lui a un jour clairement reproché d’être du côté de la rédaction :
« Vous expliquez les choses et puis au bout du compte vous excusez le journal ».
Ecouter le lecteur, c’est primordial. Mais la course à l’information, la concurrence entre les médias, la pression, le manque de temps… peuvent finir par, non seulement expliquer mais justifier, puis absoudre la négligence ou la faute. Et faute avouée…

« Je suis là pour établir une relation de confiance entre le lecteur et le quotidien régional. Pour expliciter les difficultés, les problèmes, les objectifs, la démarche, les fondements de la ligne éditoriale. » L’Est Républicain en pleine mutation développe sa présence sur Internet. La presse quotidien ne bouscule ses habitudes. Fini le temps du bouclage à une heure précise pour permettre l’impression. Il est toujours temps de publier en ligne une information ou les premiers éléments d’un article que le lec- teur pourra lire le lendemain en kiosque. L’instantanéité devient la règle, parfois au mépris de toute réflexion. Même rythme pour les radios et les télévisions. L’heure du générique du Journal Télévisé n’est plus la dead line. Les rushes23 diffusés sur un site internet peuvent devenir plus importants que le reportage lui-même. Avec toutes les dérives possibles que de tels procédés peuvent engendrer.
saisi par le public, le médiateur peut facilement devenir un fournisseur d’alibi.
Le médiateur connaît les causes des dysfonctionnements, il peut les exposer. A lui
de trouver le ton juste et le juste engagement pour ne pas les excuser ni les banaliser
« parce que le système, critiquable certes, fonctionne ainsi ». Jean-Claude Allanic, en quittant la fonction de médiateur de France 2, a déploré cette fonction d’alibi qu’il ne supportait plus d’endosser.
23   Matière première qui sert au montage final du reportage
 En Afrique du Sud, l’ombudsman déplore, lui, son incapacité à « réparer » les fautes, qu’il a classées en huit catégories :
   manque de précisions dans les étapes de vérification des faits et pas de point
de vue contradictoire
   manque de précisions sur la possible complaisance face à certaines « affaires »
et les allégations exprimées contre des entités ou des institutions
   orientation des reportages fondées sur des préjugés et des convictions
(concernant la nationalité, la race, l’ethnie, l’orientation sexuelle…)
   mélange entre les faits et les opinions
   influence de transactions commerciales
   refus de publier les lettres des plaignants
   violation de la vie privée
   blasphème, injure, sensationnalisme, violence et nudité

Les manquements dénoncés ici concernent les bases fondamentales du journa- lisme. Et l’ombudsman sud-africain de constater avec désolation : « ces erreurs sont à l’origine de préjudices impossibles à réparer par de simples excuses ».

Le médiateur défend donc le public mais s’avoue finalement impuissant quand il s’agit d’aborder l’ultime étape : celle de la réparation.
la recherche de la qualité
Le médiateur se révèle donc légitime dans son rôle de justicier. Sans devenir juge, sans devenir flic. Ni avocat des journalistes, ni avocat des auditeurs mais avocat de l’information.
Et Loïc Hervouet, médiateur de RFI de rappeler qu’il est avant tout le « défenseur de la bonne pratique journalistique ». Le médiateur, tel que l’a conçu Noël Copin à RFI, « n’est pas un professeur de morale. Il n’est pas un donneur de leçons ». Je suis
« tout sauf un gardien de la déontologie ou un procureur. Je me vois plutôt comme une balise de sécurité », explique Marie-Laure Augry, médiatrice de France 3.
Dans son enquête sur les médiateurs de presse français, Yves Agnès note qu’à chaque médiateur correspond une façon d’exercer ses fonctions. Question de per- sonnalité : la médiation devient alors « plus ou moins incisive, la rédaction plus ou moins ménagée, l’activité du médiateur plus ou moins intense ».
Entre défendre le public et les journalistes, leur coeur balance. Etre juste est dif- ficile. Se sentir utile mais souvent impuissant devant un système lourd peut devenir décourageant pour certains, déstabilisant pour d’autres.
Plus proche des lecteurs  que les journalistes
Le médiateur, par fonction, reçoit davantage de plaintes que de compliments. C’est lui qui réceptionne grognements et coups de gueule : « Votre information est lamentable » (à propos de la crise des banlieues françaises en novembre 2005)
« Arrêtez de faire campagne pour le oui » (à propos du référendum français sur le traité constitutionnel européen) …24
Les réactions arrivent isolées ou en cascade, épidermiques, instantanées.
Celles qui s’accumulent finissent même par ressembler à un baromètre d’opinion. Le médiateur se méfie de celles qui arrivent par centaines : trop nombreuses, les
critiques peuvent être orchestrées par des groupes de pression. Le médiateur averti préférera donc la qualité à la quantité.
Toutes ces réactions sont le reflet de l’évolution de la société, « le révélateur de ses failles », diront les médiateurs. Certains d’entre eux n’ont pas été surpris du « non » massif lors du référendum français du 29 mai 2005. Ils avaient vu se dessiner, depuis des mois, la rupture entre la classe politique, les journalistes et les citoyens.
Et puis les journalistes sont difficilement joignables, qu’ils se trouvent « sur le ter- rain » ou dans leur rédaction. Ne sachant pas à qui s’adresser pour faire une proposi- tion de sujet, Joëlle Delaere a ainsi contacté la médiatrice de France 3. Son courriel, réorienté vers l’une des rédactions régionales, a été traité par un journaliste qui a fina- lement tourné un reportage. Le médiateur devient l’un des vecteurs de proximité.
L’ombudsman-régulateur défend le lecteur contre des erreurs du journal ? Sa
réponse est juridique avec l’appui d’un Conseil de presse ou d’un tribunal.
Le médiateur-conciliateur défend le lecteur au sein de la rédaction ? Sa réponse est l’écoute et la prise en compte de l’avis du public, parfois contre celui de la rédaction.
les PoinTs Communs
le grand Zorro est in-dé-pen-dant
Condition indispensable pour exercer une médiation de qualité : l’indépendance. C’est un refrain repris en chœur par tous les médiateurs. Ils se sentent libres et sont investis de la confiance de leur hiérarchie.
Un justicier n’a qu’une devise « même pas peur, même pas mal ». Et pourtant …
La plupart d’entre eux est nommée par la direction générale. La création de leur
poste dépend avant tout de la volonté patronale.
Ils sont aussi, pour la grande majorité d’entre eux, directement rémunérés par
leur média.
L’indépendance est quand même plus simple et plus évidente pour certains médiateurs que pour d’autres.
Emmanuel Schmutz, médiateur de la Radio Télévision Suisse Romande, n’y est pas salarié. Son activité professionnelle principale n’a rien à voir avec la presse, un éloignement qu’il considère nécessaire à sa totale liberté. Il n’intervient que lorsqu’il est saisi ; il est alors rémunéré au cas par cas (une douzaine en 2006).
Au Guardian, l’ombudsman dépend directement du groupe propriétaire du jour- nal. Le rédacteur en chef n’a aucun droit ni pouvoir sur lui. Seul un vote majoritaire au sein du groupe propriétaire pourrait décider de sa révocation. Une « garantie d’indé- pendance indispensable » selon le quotidien. Pendant huit ans, Robert Solé, ancien médiateur du Monde, reconnaît que la direction lui a laissé une entière liberté :« J’ai pu faire écho aux critiques des lecteurs, en les reprenant souvent à mon compte ; j’ai pu m’exprimer sur les choix rédactionnels, le contenu ou la présentation des articles, la justesse des titres, la pertinence de l’argumentation, la place faite aux diverses opinions, la diversité des signatures extérieures… »
Une fois pourtant, la direction a amputé sa chronique d’une quinzaine de lignes. Sans son accord. A l’époque de la publication du livre de Pierre Péan et Philippe Cohen, « La Face cachée du Monde » : « J’ai pu alors mesurer combien la fonction de médiateur était délicate en temps de crise… »
L’exemple du médiateur de l’hebdomadaire français La Vie est lui aussi significatif. Le poste de médiateur tenu par Jean-Claude Escaffit a été supprimé dès le départ du rédacteur en chef qui l’avait nommé ; le nouveau directeur de la rédaction n’étant pas favorable au maintien de cette fonction.
Le Progrès de Lyon a tout simplement supprimé le poste après le départ du
médiateur mis en place par la direction précédente.
A France 2, le médiateur a rencontré de grosses difficultés après un changement de direction à la rédaction. Les présentateurs vedettes s’étaient relayés pour expri- mer leur mécontentement de devoir régulièrement subir ses remarques. « On nous a longtemps considérés comme « l’œil de Moscou » parce qu’on dépend de l’adminis- trateur général » confie Françoise De Thier, médiatrice de la RTBF (Radio et télévision belges francophones).
Ces exemples illustrent l’éternelle fragilité de l’indépendance. A chaque médiateur de combattre pour elle, sans relâche. A chacun de sculpter le poste, avec sa person- nalité, son énergie et ses ambitions. A chacun d’y mettre sa conscience. Robert Solé :
« J’étais libre et, en même temps, condamné à être raisonnable. On m’avait remis un outil redoutable, escomptant que j’en ferais bon usage. Jusqu’où pouvais-je aller sans abuser de mon pouvoir, sans tomber dans un exercice trop subjectif ou trop person- nel ? Dès le départ, j’ai adopté un principe simple, qui me convenait bien : tout ce que j’écris, je le pense, mais je n’écris pas forcément tout ce que je pense. »26
« le médiateur peut-il blâmer des confrères avec qui il a apprécié de travailler ? » marc-François bernier
Certains ne cessent de négocier leur espace de liberté, vivant leur fonction comme une volonté de relations publiques, pour calmer les plaignants et polir l’image de leur média, et non comme une volonté profonde de batailler ensemble pour une infor- mation de meilleure qualité.
Observateur des médias et des médiateurs, Marc-François Bernier27 remet en cause la crédibilité d’un médiateur qui connaît trop bien son employeur : « de par son histoire dans le média, le médiateur peut-il blâmer des confrères avec qui il a apprécié de travailler ? »
On pourrait reprocher à certains médiateurs de trop bien connaître le média qui les embauche ou qui les fait accéder à cette fonction honorifique. D’y être à ce point attaché, parce que salariés depuis de nombreuses années, qu’ils pourraient perdre leur indépendance.
Trop impliqués.
Mais connaître les rouages du média et ses journalistes, peut aussi faciliter le tra- vail. Connaître les contraintes de fabrication d’un journal, d’une radio ou d’une télé, les avoir vécu ou subi, semble faciliter la mission du médiateur : « Il est préférable de bien connaître l’entreprise. On bénéficie d’une efficacité en interne et on est identifiable à l’extérieur  »,  confessent plusieurs médiateurs. A contrario, Loïc Hervouet n’avait jamais travaillé à RFI avant d’y accepter le poste de médiateur. Il y voit même peut-être un « avantage ».
Chère indépendance… une charte (comme à RFI ou France Télévisions, par exem- ple) vient parfois sauver la mise. Il y est inscrit noir sur blanc : « le médiateur est indépendant, il n’a de comptes à rendre à personne ». Que ceux qui en doutent encore lèvent la main.
le beau Zorro est une « personnalité »
Avant tout, le médiateur a pour bagage son expérience ; gage de crédibilité et de respect dans les rédactions. Il a donc souvent un « certain » âge et termine souvent sa carrière à ce poste : « Il faut avoir la sagesse de la vie. Si vous avez une morpholo- gie de jeune premier, ça ne passe pas ! » remarque Emmanuel Schmutz.
Yves Agnès28 insiste beaucoup sur la nécessité d’un parcours « synonyme d’auto- rité, de respect et de crédibilité dans les rédactions ». La carrière du médiateur doit imposer le respect : la moindre des choses pour se permettre des remarques, pour éviter les « mais pour qui il/elle se prend ? », pour que les remarques soient ressen- ties comme « légitimes » par la rédaction.