1. Les dérives et la nécessité d’une éthique
Les sondages Sofrès pour La Croix Télérama, déjà évoqués,
ont révélés
une certaine défiance du public à l’égard des médias.
Longtemps, ce qui était lu dans le journal était tenu pour
vrai. En revanche,
la crédibilité de l’image était longtemps restée inattaquée.
Ce qu’on avait vu était
nécessairement vrai. Un certain recul et un certain esprit
critique se sont
manifestés depuis plusieurs années. Une étape fondamentale a
été franchie dans
cadavres étaient présentés, n’étaient pas celles des
massacres du
17 décembre 1989 mais des morts qui avaient été déterrés
dans le cimetière
voisin. Le téléspectateur, et certains journalistes eux-mêmes,
ont pris pour vrai
ce qui était une supercherie. Pour la première fois, l’image
était mise en cause.
Cet incident a provoqué un mouvement de défiance puis une
réflexion. Au-delà
même du mensonge délibéré, le public a également compris que
l’angle de prise
de vue, le montage, le choix des plans et les images
elles-mêmes pouvaient avoir
une influence considérable sur le récit.
La guerre du Golfe a constitué une seconde étape importante,
confirmant le
relatif recul qui s’était amorcé à l’égard de la croyance en
l’image.
Le mensonge allait se développer. « Le bidonnage » n’est pas
nouveau.
Chacun se rappelle ce journaliste du New York Times qui
racontait de la manière
la plus impressionnante les atrocités de la guerre du
Cambodge alors qu’il n’était
jamais allé sur le terrain et qu’il avait écrit ses
articles, tranquillement installé à
Marbella en Espagne. On a également gardé le souvenir de la
fausse interview de
Fidel Castro par Patrick Poivre d’Arvor, sur TF1.
Il est difficile de savoir si la multiplication récente de
ces « bidonnages »
résulte d’une volonté plus ferme de les rechercher et de les
dénoncer ou si elle
correspond à un phénomène qui s’est accentué. Force est de
constater que les
mois qui viennent de s’écouler ont été révélateurs à cet
égard.
En Allemagne, le journaliste Michaël Born, a été reconnu
coupable d’avoir
falsifié totalement ou partiellement une vingtaine de
reportages. En 1994, une
chaîne allemande avait présenté une émission où on pouvait
voir un combattant
kurde, masqué et armé jusqu’aux dents, accompagnés de deux
autres maquisards
et d’un reporter qui escaladaient de dangereux sentiers de
montagnes les
conduisant dans une grotte où on voyait d’autres combattants
fabricant une
bombe en vue de l’attentat de Fethie (centre touristique en
Turquie). Rien n’était
vrai. Les Kurdes étaient des Albanais, la grotte se trouvait
dans la résidence d’un
ami suisse et le tournage avait eu lieu en Grèce...
Ce faussaire avait réalisé d’autres reportages sur des
sujets passionnants
notamment sur une prétendue section allemande du Ku Klux
Klan, sur des
trafiquants de cocaïne, sur un Australien chasseur de chats,
sur le travail
d’enfants exploités dans le tiers monde, sur des passeurs
immigrés clandestins...
Chacun de ces reportages avait été fabriqué de toutes pièces
avec l’aide de
comparses. Arte a consacré récemment une émission à ce
singulier journaliste
qui a été condamné à quatre ans de prison par les tribunaux
allemands. Ce qui
frappait d’ailleurs c’était le sentiment de légitimité qu’il
donnait à ses actes et
l’indifférence à l’égard du mensonge. Avec une étonnante
désinvolture, il
paraissait penser que peu importe qu’il s’agisse ou non du
réel puisque les
images étaient peut-être plus vraies que lui ! Sa conception
est simple. Selon les
propos que lui prête Ignacio Ramonet : « les images ont
toujours menti, et
mentiront toujours ».
Un reporter anglais n’a pas été en reste. Il démontrait dans
une émission,
comment le cartel de Cali en Colombie, avait ouvert une
nouvelle route pour
passer de la cocaïne en Europe. Tout était également faux.
Le « passeur » était là
aussi un comparse ; le chef du « cartel de Cali » un employé
de banque à la
retraite.
Malheureusement, la France n’a pas échappé à la tentation.
Le reportage
diffusé le 5 décembre 1998 « sur la piste de l’ecstasy »,
réalisé par
Philippe Buffon en apporte la preuve. On y voyait, dit le
Canard Enchaîné, « une
vaillante équipe de gendarmes filer des trafiquants, les
arrêter, mener un
interrogatoire et retrouver le bon paquet d’ecstasy et un
peu d’héroïne ». Ici
encore, il s’agissait d’une pure mise en scène. C’était
cette fois les gendarmes
qui avaient servi d’acteurs et les locaux filmés étaient
ceux de leur gendarmerie !
L’intéressé, interviewé dans le cadre de l’émission « le
vrai journal » de
Karl Zéro paraissait estimer, ici à nouveau, qu’il n’y avait
rien d’anormal
puisque la reconstitution reproduisait exactement la
réalité. On pourrait
également citer les fausses arrestations (les brigades de
l’autoroute en juin 1998),
la simulation d’un sauvetage en montagne (Des Racines et des
Ailes FR3,
février 1999) on pourrait hélas sans doute allonger la liste
sans difficulté.
A ces mensonges, il faut ajouter la création artificielle
d’événements et les
risques de manipulation que peuvent induire les images de
synthèse et les images
virtuelles ; il est en effet désormais possible d’intégrer
n’importe quel
personnage dans n’importe quelle situation sans que le
téléspectateur puisse s’en
apercevoir. Le film « Forest Gump » où l’on voyait Tom Hanks
s’entretenir
successivement avec le Président Kennedy et avec le
Président Nixon a fait
prendre brutalement conscience de ce phénomène.
A l’heure actuelle, sauf lorsqu’il s’agit de situations où
le donneur d’ordre
n’était absolument pas au courant et où les peines de
l’escroquerie peuvent être
envisagées, le « bidonnage » ou les images virtuelles ne
peuvent donner lieu à
sanction pénale. Le délit prévu par l’article 27 de la loi
du 29 juillet 1881, n’est
constitué que lorsqu’il est porté atteinte à la « paix
publique ». Ce texte a été très
rarement appliqué et ne pourrait certainement pas l’être en
l’espèce.
2. Code de bonne conduite et chartes
Les journalistes n’ont pas attendu ces événements pour
prendre conscience
de la nécessité, compte tenu de l’importance de leur rôle et
de l’immense
influence dont ils disposent, pour chercher à se constituer
un code de référence,
une déontologie.
2.1. Le code de bonne conduite et les déclarations
a) Le code de bonne conduite de 1918
Le syndicat national des journalistes, créé en 1918, se
préoccupait
immédiatement de cette question, souhaitant rassembler les
journalistes dans le
cadre d’une profession libérale à l’instar de celle
réunissant les avocats. Il
rédigeait un « code de bonne conduite » qui comportait déjà
l’essentiel des
principes qui peuvent diriger la conscience « d’un
journaliste digne de ce nom ».
Il définit certaines valeurs éthiques auxquelles le
journaliste doit se soumettre à
savoir :
− le sens de l’honneur ;
− la responsabilité de ses écrits ;
− le respect de la vérité ;
− la résistance à la corruption ;
− la délicatesse envers ses confrères ;
− le respect du secret professionnel ;
− le respect du rôle de la justice.
b) La révision de 1938
Cette tentative de professionnalisation avait pour but de
décourager les
amateurs, les occasionnels, mais aussi les politiciens peu
soucieux de
déontologie. Il faut souligner que la charte de 1918 se
situait dans une logique
ordinale1.
Le code de 1918 est révisé et complété en 1938 introduisant
des principes
nouveaux : la calomnie, les accusations sans preuve,
l’altération des documents,
la déformation des faits et le mensonge sont des fautes
professionnelles graves.
Le journaliste « ne reconnaît que la juridiction de ses
pairs souveraine en
matière d’honneur professionnel, il n’accepte que des
missions compatibles avec
sa dignité professionnelle ; il s’interdit d’invoquer un
titre ou une qualité
imaginaire, d’user de moyens déloyaux pour obtenir une
information ou
surprendre la bonne foi de quiconque, il ne touche pas
d’argent dans un service
public ou une entreprise privée où sa qualité de
journaliste, ses influences, ses
relations, seraient susceptibles d’être exploitées ; il ne
signe pas de son nom des
articles de réclames commerciale ou financière, ne commet
aucun plagiat, cite
les confrères dont il reproduit un texte quelconque ; ne
sollicite pas la
place
d’un confrère ni ne provoque son renvoi en offrant de
travailler à des conditions
inférieures ; garde le secret professionnel ; n’use pas de
la liberté de la presse
dans une intention intéressée ; revendique la liberté de
publier honnêtement ses
informations, tient le scrupule et le souci de la justice
pour des règles premières,
ne confond pas son rôle avec celui du policier. ».
c) La convention collective
Il faut aussi souligner le rôle de la convention collective
de travail des
journalistes et ses avenants pour les entreprises de
l’audiovisuel du secteur
public, dont la dernière version a été étendue en février
1988.
Elle comporte quelques dispositions d’ordre déontologique.
C’est ainsi que son article 5 prévoit qu’un journaliste ne
peut accepter, pour
la rédaction de ses articles, d’autres salaires et avantages
que ceux que lui assure
l’entreprise de presse à laquelle il collabore.
En aucun cas, un journaliste professionnel ne peut
présenter, sous la forme
rédactionnelle, l’éloge d’un produit, d’une entreprise, à la
vente ou à la réussite
desquelles il est matériellement intéressé.
La convention reprend la fameuse « clause de conscience des
journalistes ». Cette disposition est évidemment
essentielle. C’est elle qui assure
une relative garantie d’indépendance aux journalistes et qui
constitue une
caractéristique essentielle de leur contrat de travail.
Il faut aussi ici rappeler l’existence de « La Charte du
droit à
l’information ».
Le SNJ, le Syndicat des journalistes français CFDT, le
Syndicat général
des journalistes CGT-FO et la Fédération française des
sociétés de journalistes
réunis à Paris le 19 janvier 1973 ont proclamé
solennellement que le temps était
venu d’inscrire dans les textes officiels la notion capitale
de droit pour le public à
l’information et la définition d’un nouveau statut d’une
entreprise de presse.
d) La déclaration de Munich
Le 25 novembre 1971, les Syndicats de journalistes de la
communauté
européenne auxquels s’étaient joints leurs confrères de
Suisse et d’Autriche
adoptaient la « Déclaration de Munich ».
Les grandes organisations internationales de journalisme, la
Fédération
internationale des journalistes (FIJ) et l’Organisation
internationale des
journalistes (OIJ) l’ont reprise à leur compte. Elle
comporte un préambule, une
déclaration des devoirs, et une déclaration des droits.
Le préambule rappelle le droit à l’information, à la libre
expression et à la
critique comme constituant l’une des libertés fondamentales
de tout être humain.
Il affirme clairement que la « responsabilité des
journalistes vis-à-vis du public
prime toute autre responsabilité, en particulier à l’égard
de leur employeur et
des pouvoirs publics ».
Les devoirs du journaliste s’inscrivent dans le cadre des
valeurs qui
viennent d’être rappelées. On y trouvera en outre certaines
dispositions qui
obligent le journaliste à « publier seulement les
informations dont l’origine est
connue ou, dans le cas contraire, les accompagner des
valeurs nécessaires ; ne
pas supprimer les informations essentielles et ne pas
altérer les textes et les
documents ». Le journaliste « s’oblige à respecter la vie
privée des personnes. Il
s’engage également à rectifier toute information publiée et
se révélant inexacte »
(article 6).
Après avoir rappelé les devoirs, la Déclaration énonce les
droits du
journaliste. Elle consacre pour lui le libre accès à toutes
les sources
d’information et le droit d’enquêter librement sur tous les
faits qui conditionnent
la vie publique (article 1). Le journaliste est en droit de
refuser toute forme de
subordination qui mettrait en péril son indépendance ; il ne
peut être contraint à
accomplir un acte professionnel où à exprimer une opinion
qui serait contraire à
sa conviction ou à sa conscience. L’équipe rédactionnelle
doit être informée de
toute décision importante de nature à affecter la vie de
l’entreprise. Le journaliste
a droit à un contrat personnel qui assure la sécurité
matérielle et morale ainsi
qu’à une rémunération suffisante pour garantir son
indépendance économique.
Enfin, il faut rappeler également la décision de l’Assemblée
parlementaire
du Conseil de l’Europe qui a adopté, le 1er juillet 1993,
une résolution qui
affirme les principes éthiques du journaliste et estime
qu’ils devraient être
appliqués dans la profession à travers l’Europe.
e) Le Livre Blanc de la déontologie des journalistes ou de
la pratique
du métier au quotidien
En 1993, le Syndicat national des journalistes publie le n°
1 du Livre Blanc
qui contient certains témoignages apportés par des
journalistes engagés avec le
SNJ dans le respect de la pratique de leur métier.
Cette publication rend compte des différentes entorses à la
déontologie qui
ont pu être constatées à l’occasion de la couverture
d’événements de toutes
sortes.
f) La Commission nationale consultative des droits de
l’homme
Un avis portant sur la liberté de la presse et la
responsabilité des
journalistes a été adopté lors de sa réunion plénière du 21
mars 1995.
La Commission nationale consultative des droits de l’homme
propose :
• en ce qui concerne les journalistes professionnels :
- que soit établi un nouveau code déontologique de la
profession
s’inspirant de la Charte française des devoirs
professionnels, adoptée
en 1918, révisée en 1971 à Munich ;
- que toute demande d’attribution de la carte d’identité
professionnelle
soit subordonnée à une adhésion expresse aux principes de ce
code ;
- que toute violation grave desdits principes valant rupture
de
l’engagement contracté, entraîne le retrait ou le non
renouvellement
de la carte.
• en ce qui concerne les entreprises de presse :
- que chaque entreprise de presse soit incitée, par le canal
des
organisations représentatives, à créer un organe de défense
des
lecteurs et de toute personne mise en cause, doté d’un
statut
garantissant son indépendance ;
- que chaque journal précise les règles déontologiques qu’il
entend
appliquer pour respecter le code de la profession et traiter
les
problèmes spécifiques auquel il peut être confronté ; que ce
règlement
déontologique du journal soit affiché dans chaque rédaction
et que
son application soit l’objet d’une évaluation annuelle et
publique ;
- que le montant des aides publiques consenties aux
entreprises qui
peuvent y prétendre prenne en compte une telle création afin
d’encourager semblable initiative et de compenser les
charges qu’elle
peut entraîner.
2.2. Les chartes d’entreprises
Dans le droit fil de ces codes de bonne conduite, de l’avis
de la
Commission nationale consultative des droits de l’homme, et
de leur
responsabilité chaque jour accrue, différents journaux ont
adopté une charte :
ainsi, Ouest France, Sud-Ouest, La Nouvelle République du
Centre Ouest, La
voix du Nord, La Croix, Le Dauphiné libéré, Libération,
Médias, J. Presse, Le
Monde.
Ces chartes méritent quelques observations :
• Ouest France : La Charte d’Ouest France attache une
importance
particulière au traitement des faits divers.
Elle rappelle quatre principes essentiels : dire sans nuire
- montrer sans
choquer - témoigner sans agresser - dénoncer sans condamner.
En ce qui concerne les faits de justice, elle invite à une «
haute conscience
du droit absolu de tout homme à un procès équitable et
souligne la nécessité de
la présomption d’innocence.
« Il est rappelé qu’il convient d’éviter des termes
blessants ainsi que les
formules qui peuvent conditionner les jurés ou l’opinion
publique et ainsi porter
atteinte à la présomption d’innocence ».
De nombreux autres conseils sont formulés, notamment éviter
de parler des
suicides, sauf s’ils paraissent liés à l’exercice d’une
responsabilité politique ou
professionnelle, ou s’ils ont un caractère spectaculaire.
Pour les délits, l’identité
de l’auteur ne sera indiquée que s’il y a mise en examen ou
détention. En cas de
viol, aucun élément permettant une identification ne sera
donné.
Il faudra éviter les humiliations inutiles. Cela demande du
coeur et du
jugement.
• La nouvelle République : la ligne directrice qualifiée «
d’humaniste »
tient lieu de charte. Elle répond à une triple vocation :
- être en toute indépendance le média des institutions ;
- être aussi le média des citoyens en se faisant leur
porte-parole ;
- être le photographe des réalités politique, sociale,
économique et
culturelle du moment.
La charte prône des valeurs : démocratie, droit de l’homme,
justice,
tolérance qui donnent au journaliste une mission d’intérêt
général ou au moins
une responsabilité dans la société
• Sud-Ouest : Ce journal dont la devise est : « acta sacra,
libera verba »,
(Les faits sont sacrés, les commentaires sont libres) s’est
doté d’une
charte en 1984. Elle arrête les grands principes
rédactionnels du journal
et en définit le contenu. Elle comporte quelques rudiments
de droit.
La charte rappelle que l’éthique à laquelle elle se réfère
n’est pas figée et
qu’elle est le fruit d’une concertation et d’un dialogue
permanents.
Elle insiste particulièrement sur la bonne foi qui doit être
celle du
journaliste et reprend les critères généralement admis sur
ce point par la
jurisprudence.
La charte précise que la photo montage doit comporter la
mention
« montage ».
• La Voix du Nord : sa charte rédactionnelle est en cours de
discussion ;
• La Croix : il s’agit d’un texte d’orientation en date de
novembre 1980,
régulièrement révisé, dont la dernière version date de 1995,
et qui
rappelle son attachement aux valeurs fondamentales de
l’Evangile
s’ordonnant autour de « liberté, dignité, justice, paix,
amour » ;
• Libération : le journal a en 1993 adopté un règlement
intérieur.
Le journaliste ne doit accepter aucune invitation impliquant
la prise en
charge totale ou partielle de son voyage ou de ses frais de
séjour.
• Médias : nécessité d’une séparation totale entre le
service rédaction et le
service publicité ;
• Jeune presse 1991 : les journalistes, jeunes lycéens,
acceptent de
respecter une éthique mais refusent tout contrôle sur leurs
journaux
notamment dans les établissements scolaires ;
• Le Monde : la rédaction s’en tient aux usages internes
sans estimer
nécessaire de les enfermer dans un cadre institutionnel ;
• La charte Presse quotidienne régionale : règles et usages.
Elle proclame que la liberté d’expression doit s’exercer à
travers une
pratique guidée par une déontologie. Elle rappelle quelques
principes essentiels :
exigence du sérieux et de la rigueur, respect de la
personne.
Le journaliste doit veiller à la véracité de l’information,
à la prudence et à
l’équité dans l’expression. Il ne faut pas se substituer à
la justice : informer sans
condamner.
En dépit de toutes ces chartes, force est de reconnaître que
les
manquements aux règles de conduite énoncées sont nombreuses,
voire en
augmentation. Ce constat amène à s’interroger sur les causes
de leur inefficacité.
Est-ce imputable à une absence de cadre juridique
contraignant, assorti de
sanctions opposables aux entreprises de presse et à leurs
salariés ou s’agit-il des
effets de l’exacerbation de logiques commerciales
concurrentielles ? D’autres
causes pourraient être évoquées.
3. Les médiateurs
De nombreux journaux s’inspirant de la nécessité d’une
déontologie et de
tenir compte des aspirations des lecteurs ont désigné un «
Médiateur ».
L’idée d’un médiateur est née en 1913, aux Etats-Unis, quand
Pulitzer créa
un bureau d’exactitude et d’équité pour recevoir les
plaintes adressées au World,
son quotidien de l’Etat de New York mais il a fallu attendre
1967 pour que soit
nommé le premier médiateur. Ombudsman ou Leader
Representative, le
médiateur a été désigné par certains grands médias
d’Amérique du Nord. On en
dénombrait 37 en 1995 dont le Washington post, Chicago
tribune, le Boston
globe, le
Voice of america, Le GBC (Radio Canada).
En revanche, on en recense très peu en Europe. Il en existe
en Espagne où
« El Pais » a désigné un « défenseur du lecteur » et en
France auprès du journal
Le Monde depuis 1992. Dans ce quotidien national, André
Laurens, Thomas
Ferenczy et maintenant Robert Solé se sont succédé dans
leurs rendez-vous du
samedi pour donner à leurs lecteurs la possibilité
d’exprimer leurs critiques et
leurs observations sur la façon dont le journal avait traité
l’information. La
chronique hebdomadaire du médiateur est la seule qui ne soit
pas relue et
échappe ainsi à tout contrôle de la rédaction.
Le médiateur du Progrès répond par lettre et au téléphone
mais n’offre pas
ses colonnes aux mécontents et ne dispose lui-même d’aucune
expression
rédactionnelle dans le journal.
De leur côté France 2 depuis septembre 1998 et France 3 deux
mois plus
tard, dans leurs émissions respectives « Hebdo du médiateur
» et « On se dit
tout » donnent l’antenne aux téléspectateurs qui souhaitent
exprimer leurs griefs
sur les émissions de la semaine. Noël Copin se prête au même
jeu avec les
auditeurs de RFI.
La désignation d’un médiateur témoigne de la volonté de
servir le public en
lui permettant d’accéder à une information de qualité. Le
but à atteindre est
essentiellement d’accroître l’auditoire. Il s’agit d’une
démarche pragmatique.
La charge est en général assumée par un journaliste qui est
un salarié du
journal. Il faut évidemment qu’il s’agisse d’une
personnalités respectée par ses
pairs. Il reçoit les plaintes du public sur l’exactitude,
l’impartialité, l’équilibre de
l’information. Il est l’avocat du public auprès de la
rédaction et l’avocat des
journalistes auprès du public.
Son rôle est surtout un rôle d’observateur indépendant,
objectif et crédible
« le médiateur a pour tâche de faire comprendre au lecteur
comment travaillent
les journalistes, pourquoi il leur arrive de se tromper,
quelles difficultés ils
rencontrent dans l’exercice de leur métier non pour les
excuser mais pour éviter
malentendu et procès d’intention » (Thomas Ferenczy).
Une « Organization of news ombudsman » a été créée en 1981
et a
rassemblé environ dix pays.
Sur Radio-Canada, une émission mensuelle de vingt minutes
sur la chaîne
d’information continue de langue française est très
populaire.
Le recul est suffisant pour jeter un premier regard sur
l’expérience du
médiateur. C’est presque toujours un journaliste qui
appartient ou a appartenu au
média qui le choisit. Le niveau d’indépendance est
évidemment fonction des
clauses du contrat, de sa durée et de la possibilité de le
renouveler. Au journal Le
Monde, la durée est de deux ans, non renouvelable, ce qui
garantit une réelle
indépendance ; au Washington Post deux ans renouvelable deux
fois ; à Radio
Canada quatre ans non renouvelable.
Les journalistes ont manifesté tout d’abord quelque
inquiétude, craignant
qu’il puisse s’agir là d’une atteinte à la liberté
d’expression et d’un début de
censure. Certains, comme Thomas Ferenczi, ont pensé que
cette institution
pouvait avoir un effet inhibant sur la rédaction.
Parallèlement, il peut être considéré par le lecteur ou le
téléspectateur
comme un élément de relation publique au service de
l’entreprise de médias.
Pour remplir efficacement sa mission, le médiateur doit
faire preuve de
pédagogie, vérifier le travail du journaliste, savoir
rassurer le public quant à son
indépendance et savoir écarter les soupçons de manipulation.
Il correspond certainement à un progrès dans les rapports
entre le média et
le public. Pour autant, il ne peut évidemment, en l’état
actuel des choses,
correspondre à une autorité disposant d’un pouvoir
décisionnaire. Il est
seulement, comme son nom l’indique, une personne dont les
qualités sont
reconnues et qui cherche à expliquer et à concilier.
4. Conclusion
Pour conclure sur ces développements, il faut noter la prise
de conscience
des médias qui manifestent une très louable intention de
garantir une fidélité à
l’égard des normes morales qui doivent inspirer l’activité
du journaliste.
En même temps, plus la profession pourra faire la
démonstration de ses
exigences déontologiques, plus elle pourra être elle-même
protégée dans
l’exercice de son activité et tout particulièrement, pour
citer un exemple parmi
d’autres - mais il est essentiel - dans la garantie du
secret des sources.
Pour autant, il paraît difficile de parler d’une véritable
déontologie dans la
mesure où les manquements ne sont soumis à aucune sanction.
Certes, ils
peuvent être invoqués dans le cadre de la rupture d’un
contrat de travail, mais
cette seule menace n’est peut-être pas suffisante et elle ne
peut peser sur le
responsable financier de l’entreprise.
On peut s’interroger sur le point de savoir s’il est une
véritable déontologie
sans sanction.
Une question peut aussi se poser à ce sujet. Afin d’être
reconnus dans
l’intégralité de leurs droits et prérogatives, de voir
organiser l’accès aux
documents et aux sources, mais aussi organiser le respect
d’une déontologie
émanant des journalistes eux-mêmes, ne pourrait-on envisager
la création d’un
ordre ou tout au moins d’un organisme institutionnel qui
assumerait ses fonctions
sans en prendre le nom ? 1
L’accès aux sources se révèle de plus en plus difficile
auprès des
administrations qui, prétextant différents secrets et
procédant à des amalgames,
semblent souvent refuser des communications à la presse.
Quant au secret des
sources, il a certes été théoriquement consacré par la loi
du 4 janvier 1993 dont
l’article 55 précise que : « les perquisitions dans les
locaux d’une entreprise de
presse ou de communication audiovisuelle, ne peuvent être
effectuées que par un
magistrat qui veille à ce que les investigations conduites
ne portent pas atteinte
au libre exercice de la profession des journalistes et ne
constituent pas un
obstacle ou n’entraînent pas un retard injustifié à la
diffusion de l’information ».
Parallèlement, le nouvel article 109 du code de procédure
pénale déclare que
« tout journaliste entendu comme témoin sur des informations
recueillies dans
l’exercice de son activité est libre de ne pas en révéler
l’origine ».
Sur le plan pratique, les commentaires des auteurs et la
jurisprudence
montrent que ces dispositions sont d’une efficacité
relative. Cependant, il est
difficile de penser que les journalistes puissent arriver à
une systématisation de
ce secret sans que des garanties soient apportées par
l’organisme auxquels ils
appartiennent. Le Professeur Derieux écrit à ce sujet : «
parmi d’autres, la
question du secret professionnel des journalistes... fournit
une illustration du
caractère fort limité de l’éthique ou déontologie
journalistique, en l’absence de
toute véritable formulation de tels principes et de
l’inexistence de toute instance
ou institution professionnelle compétente pour dégager ces
principes et en
assurer le contrôle et le respect... pas plus que cette
juridiction de ses pairs,
aucune autre instance de ce type n’a non plus été créée, en
France, pour
garantir le respect des droits et des devoirs du journaliste
dans l’exercice de sa
profession... Là encore, l’accord entre les diverses
catégories professionnelles -
d’employeurs et de journalistes - et la création
d’institutions de contrôle
constitueraient un préalable nécessaire ». 1
Les journalistes jusqu’ici paraissaient hostiles, craignant
de voir leurs
libertés altérées par une caste de mandarins dont ils
redoutent ainsi la
constitution.
Il semble toutefois qu’un mouvement d’opinion se dessine en
faveur d’une
telle idée. Lors de l’émission le « vrai journal » de Karl
Zéro du dimanche
31 janvier 1999 à laquelle il a été fait allusion ci-dessus,
le journaliste
Pierre Hurel présentant « le bidonnage » ne déclarait-il pas
spontanément, après
le rappel de quelques dérives, qu’on ne pouvait pas rester
passif et que peut-être
la constitution d’un ordre pouvait être envisagée ? Le
Syndicat national des
journalistes n’a pas toujours été hostile à la création
d’une juridiction spécifique.
C’est ainsi que le code de bonne conduite dans sa rédaction
de 1938 prévoyait :
« le journaliste ne reconnaît que la juridiction de ses
pairs, souveraine en
matière d’honneur professionnel ». C’est au demeurant le
propre d’un ordre.
Régulièrement, il est tiré argument de ce que la majorité
des ordres sont nés sous
Vichy. Il faut seulement rappeler que l’Ordre des avocats a
quelque six siècles
d’existence et que c’est probablement grâce à lui qu’une
profession où
l’indépendance est sans doute aussi difficile à sauvegarder,
a pu traverser les
âges en protégeant son autonomie à l’égard des pouvoirs
politiques et financiers.
Il n’est pas inutile de rappeler ce qu’Albert Camus
répondait au journal Le
Monde en 1957 : « J’ai toujours regretté qu’il n’existe pas
un Ordre des
journalistes qui veillerait à défendre la liberté de la
profession et les devoirs que
cette liberté comporte nécessairement ».
Aucune solution n’est évidemment parfaite, et quelles que
soient les
institutions, les dérives ne peuvent jamais être complètement
évitées. Mais il
s’agit peut-être là d’un axe de réflexion qui mériterait
d’être à nouveau exploré.
D - LA FORMATION
Si l’importance croissante des médias et leur influence
imposent une
référence à la déontologie, elles doivent également conduire
à porter une
attention prioritaire à la formation. Certes, formation des
journalistes d’abord ;
mais aussi formation du public à qui doit être appris le
langage de l’image, à qui
on doit montrer sa relativité et la nécessité de savoir s’en
protéger.
1. La formation des journalistes
1.1. La fonction sociale des journalistes
Le rôle des journalistes et leur responsabilité sociale
seront de plus en plus
essentiels dans l’information du citoyen et le maintien de
la démocratie.
Dominique Wolton, répondant à Didier Adès, déclarait1 « avec
Internet...
n’importe quelle information peut faire le tour du monde en
20 secondes... »
Cette rapidité, cette transparence de la transmission des
informations paraissent
être conformes à l’idéal démocratique explique-t-il. Mais,
il ajoute : « on
s’aperçoit qu’il y a de vrais problèmes culturels, que la
démocratie ce n’est pas
forcément de tout mettre, tout sur le Web, ce n’est pas
forcément de mettre toutes
les informations accessibles par tout le monde. Pourquoi ?
Pour deux raisons :
la première c’est qu’il y a un problème de compétence. Tout
le monde ne peut
pas comprendre l’ensemble des interventions économiques,
financières,
militaires, stratégiques. On est obligé de passer par le
filtre d’un professeur ou
d’un documentaliste ou d’un journaliste pour comprendre un
certain nombre de
choses... Deuxième contrainte, c’est que si ce système
Internet sur le plan
technique est formidable puisqu’il permet de tout diffuser,
la question qui est
posée c’est qui contrôle la véracité des informations... Il
faut qu’il y ait des
professionnels qui s’appellent des journalistes dont le seul
métier est de vérifier
la qualité et la justesse des informations... La démocratie,
aujourd’hui, ce n’est
pas l’absence d’intermédiaires, c’est au contraire de
restituer et de revaloriser
le rôle des intermédiaires, c’est-à-dire des journalistes,
des hommes politiques,
de tous ceux qui permettent de filtrer l’accès et
l’interprétation et la
connaissance du monde ». Il souligne enfin que, lors de
l’affaire Clinton, les
journalistes ne se sont pas rendu compte qu’ils « abandonnaient
leur fonction de
journaliste en se transformant en simples transmetteurs.
Transmettre, ce n’est
pas exercer une fonction d’information parce que, pour
transmettre de
l’information, il faut l’avoir construite... Cela veut dire
que cette fonction de tri,
de hiérarchisation de l’information, de sélection de
l’information,
d’organisation de l’information, est une fonction
essentielle et qui fait la
grandeur du métier de journaliste ».
On ne pouvait mieux expliquer combien, compte tenu du rôle
social
prééminent que doit remplir le journaliste, une déontologie,
d’abord, et cela a été
précédemment évoqué, mais aussi une formation bien adaptée,
sont nécessaires.
La rapidité de la transmission impose à ceux qui devront en
assumer la
responsabilité une compétence, une rigueur particulière, et
aussi une formation
efficace tant sur le plan de la culture générale que sur
celui de techniques
spécialisées.
1.2. Des compétences souvent acquises par la pratique
Il faut noter qu’en dépit de l’absence de formation
spécifique 52 % des
jeunes journalistes (moins de 31 ans) sont titulaires d’un
diplôme de
l’enseignement supérieur. Parmi ceux-ci plus de la moitié
d’entre eux possèdent
une maîtrise. Les cursus sont variés : les sciences humaines
viennent en premier
lieu, puis le droit, les sciences politiques, les lettres,
le journalisme, les sciences
de l’information et de la communication et enfin les
sciences et techniques.
Des actions de formation continue organisées en liaison avec
l’entreprise
devraient permettre une actualisation des connaissances, en
particulier
juridiques, et une mise à niveau des nouvelles techniques de
communication.
On peut donc considérer que majoritairement les journalistes
disposent
d’une formation initiale et générale solide mais qu’ils
acquièrent leur métier sur
le terrain. Ce métier est multiple et diversifié. Il y a peu
de points communs entre
le « rubriquard » de politique générale, le pigiste des
faits divers, le reporter
photographe des grands conflits ou encore le spécialiste du
droit du travail.
Chacun d’entre eux nécessite des compétences et des
connaissances spécifiques.
En outre, la compréhension du milieu et le carnet d’adresses
s’acquièrent et se
constituent sur le terrain au fil du temps. C’est pourquoi
le nombre de
journalistes formé sur le tas est important. Cependant, on
peut regretter que les
techniques journalistiques (analyse, synthèse, mise en
perspective,
déontologie...) et le droit qui semblent être les connaissances
minimales de base
ne soient pas obligatoirement vérifiés au moment de la
délivrance de la carte de
journaliste professionnel. Ce dernier qualificatif
justifierait cette exigence et
améliorerait les relations avec le monde économique et
social qui ressent le plus
grand malaise à la lecture ou à l’écoute d’articles ou
d’émissions pouvant
contenir des inexactitudes.
S’agissant de la formation professionnelle, selon les
chiffres donnés par le
Professeur Michel Mathien1 et confirmés par M. Claude Furet,
directeur du
Centre de perfectionnement des journalistes, 15 % seulement
des journalistes
sont issus d’écoles ou de centres de formation
professionnelle, 75 % d’entre eux
ne suivent aucune action de formation permanente. «
L’information des Français
- écrit Claude Furet - dépend de professionnels très peu
formés. Et, loin de
s’améliorer, la situation s’aggrave encore. Alors qu’il y a
une vingtaine
d’années, 25 % des journalistes sortaient d’une école de
journalisme, il ne sont
plus aujourd’hui que 15 % ». Il faut rapprocher cette
situation de celle des
salariés des autres secteurs, dont 30 % en moyenne suivent
une formation
continue, ce pourcentage s’élevant à environ 50 % pour les
cadres. « Les
journalistes français figurent donc parmi les professionnels
les moins formés et
les moins perfectionnés de notre pays ».
Le Professeur Mathien a pu écrire, constatant cette
insuffisance de
formation : « la couverture des crises internationales
récentes a mis en relief des
carences dans ce domaine : méconnaissance des problèmes de
géostratégie, de
sécurité, de défense, de problèmes militaires, de
l’histoire, des religions, de la
diversité des populations, de la réalité et de l’importance
des « nuances » etc.
L’éthique des journalistes et des médias ne saurait donc
être dissociée de la
connaissance sans cesse renouvelée des êtres et des choses
».
1.3. Les centres de formation
Ces centres se sont peu à peu développés. Les établissements
reconnus
figurent dans les versions successives de la convention
collective : l’Ecole
supérieure du journalisme de Lille, la plus ancienne, créée
en 1924, le Centre de
formation des journalistes de Paris, en 1946, puis le Centre
universitaire
d’enseignement du journalisme au sein de l’université de
Strasbourg, en 1957, et
les départements du journalisme des Instituts universitaires
de technologie de
Bordeaux et de Toulon, en 1968. Viennent ensuite la filière
journalisme de
l’université de Paris IV, le Centre transméditerranéen de
communication de
l’université d’Aix-Marseille et l’Institut professionnel du
journalisme de Paris.
Des formations internes aux entreprises ont également été
organisées. C’est
le cas de l’Académie pour la presse magazine, créée par le
groupe Prisma presse
(Çà m’intéresse - Prima - Femme actuelle - Télé Loisirs -
Voici - Média cuisine -
Capital - Gala).
Nombre d’associations professionnelles spécialisées et
syndicats
s’investissent dans la formation et permettent aux
journalistes d’acquérir les
compétences nécessaires dans les rubriques dont ils sont
chargés.
Ouest France et France 3 proposent des formations internes.
De son côté,
le Centre de perfectionnement des journalistes organise des
stages
interentreprises de un à cinq jours dans divers domaines
(droit de la presse - droit
de l’image - droit de l’internet et du multimédia, etc.) ,
des interventions et des
stages dans les entreprises, des conférences de spécialistes
du droit de la
communication. Il édite également différents ouvrages.
La question se pose de savoir si les pouvoirs publics
doivent s’engager
dans une politique incitative ou obligatoire de formation.
Il paraît en tout cas
nécessaire d’inciter les entreprises à organiser des actions
de formation continue.
2. La formation du public
Parallèlement, il est évident qu’il y a lieu d’assurer la
formation du lecteur,
de l’auditeur ou du téléspectateur.
2.1. Apprendre à « lire l’image »
A cet égard, on ne saurait trop souligner les potentialités
culturelles offertes
par le magnétoscope. Il permet, en quelque sorte, une forme
de « lecture
rapide ». On peut, comme on apprend à lire en diagonale,
visionner un document
en passant en accéléré. On disait autrefois qu’il manquait à
la télévision la fin de
chapitre, la page blanche du livre. Elle existe désormais
grâce à cet appareil.
Par ailleurs, sont apparues des émissions qui incitent à une
réflexion sur
l’image et à son analyse. Elles sont malheureusement trop
rares et souvent
méconnues. « Arrêt sur image » sur la Cinquième représente
une tentative de ce
type d’émission. Son promoteur, Daniel Schneidermann utilise
une méthode
consistant à comparer deux ou plusieurs présentations d’un
même évènement par
différentes chaînes. Les sujets sur les trois rescapés du
massif de la Vanoise en
ont fourni une illustration. Sur une chaîne, l’interview
avait été coupée au
moment où les rescapés se retiraient et où l’un d’eux
mécontent d’une question
posée en fin d’interview menaçait le journaliste. Sur une
autre chaîne, cette
séquence avait été conservée. L’impression laissée par les
trois hommes était
évidemment tout à fait différente selon que l’on avait
regardé l’une ou l’autre
chaîne. Comme souvent, des enfants d’une classe étaient
invités à réagir : il
s’agit aussi d’apprendre à décrypter l’image.
Aux Etats-Unis, « Brill’s Content » s’emploie à la même
tâche et, ce qui
est révélateur, paraît connaître un grand succès de
diffusion.
Ce mensuel a été créé aux Etats-Unis pendant l’été 1998, par
Steven Brill,
un ancien avocat1. Le magazine cherche à expliciter les
pratiques et les méthodes
de la presse écrite et audiovisuelle ainsi que celle du Net.
Il a presque
immédiatement atteint le chiffre de 225 000 ventes par mois.
Steven Brill déclare
« nous ne sommes pas seulement là pour attaquer la presse,
pour dire ce qui va
mal, mais aussi pour expliquer comment les médias
travaillent, leurs critères et
leurs méthodes ».
2.2. Il faut aussi apprendre à lire l’image dans le cadre
scolaire
C’est ce que le Professeur de Smedt appelle «
l’alphabétisation à
l’audiovisuel »2.
Certes, l’informatique a commencé à pénétrer dans le milieu
scolaire. Mais
il s’est surtout agi de l’utiliser comme moyen
d’appréhension de la connaissance
et du savoir. Différentes expériences ont eu lieu dans ce
sens.
Beaucoup plus rares paraissent avoir été celles qui ont
consisté à apprendre
les médias, à apprendre l’image. Ainsi, l’organisation
chaque année dans les
établissements scolaires de « la semaine de la presse à
l’école » vise davantage à
apprendre, au moyen d’une expérience pratique, comment se
fabrique un journal
et, par ce biais, à promouvoir la presse, que de procéder à
une analyse critique
des moyens de communication écrits et audiovisuels.
Il faut toutefois rappeler que nombre d’enseignants et
d’établissements
n’ont pas attendu des directives ministérielles pour étudier
la presse écrite et
audiovisuelle et leurs langages spécifiques. De même, le
milieu associatif, dans
le cadre des centres de loisirs et colonies de vacances, a
développé des actions
similaires. Il conviendrait sans doute d’évaluer ces
expériences et d’en proposer
l’extension, voire leur intégration dans les programmes
scolaires. Ceci suppose
que soient dégagés les moyens matériels nécessaires et que
les enseignants
puissent bénéficier d’une formation adaptée.
Alain Gérard, dans le rapport qui avait été demandé le 12
novembre 1996
par le Premier ministre, sur le multimédia et les réseaux
dans l’éducation,
écrivait : « tous les savoirs liés à la recherche de
l’information, à l’exercice du
sens critique dans cette démarche, à la maîtrise des
différents niveaux
d’abstraction des documents obtenus, à l’apprentissage de la
lecture de
l’image... doivent être enseignés dans l’enseignement
secondaire ».
Il faut aussi apprendre à opérer un recul par rapport à
l’image. Comme
l’écrit le Professeur de Smedt « nous approchons aussi dans
les images, des
situations particulières plutôt que des éléments
conceptuels. Notre connaissance
est ainsi de l’ordre du particulier. Cela induit des
processus de pensée qui sont
souvent d’ailleurs, dans nombre de théories, rapprochés ou
assimilés aux rêves
ou à la logique de l’inconscient. Nous sommes donc plongés
dans un état
« spectatoriel » où nous vivons une participation numérique
dans laquelle notre
désir, nos investissements libidinaux, se déploient avec
facilité. Nous y perdons
notre ancrage dans la réalité, l’ici et le maintenant, pour
vivre quelques instants
dans la réalité filmique »1.
Il faut enseigner aux élèves et aux collégiens quels sont
les procédés
d’élaboration de l’image, la puissance avec laquelle elle
peut avoir une influence
sur notre psychisme, et aussi le fait qu’il ne peut y avoir
d’objectivité absolue.
« Qui fait profession d’observer les professions et les
hommes les voit à travers
un prisme qui reflète et qui recompose la réalité.
L’objectivité consiste à
annoncer la couleur du verre et à décrire le format du
prisme »2.
Cette relativité, cette prudence dans l’observation, cette
permanence dans
la réserve et en même temps dans la tolérance avec laquelle
l’évènement et sa
perception par l’image doivent être reçus, constituent une
constante
psychologique dont l’homme doit sans doute être imprégné dès
son enfance.
Il semble que des efforts considérables doivent être faits
pour qu’un
enseignement spécifique soit dispensé dans le secondaire,
voire dès le primaire.
Une commission ayant pour tâche de définir l’introduction de
l’éducation
aux médias dans le programme scolaire de la Belgique
francophone suggérait les
rubriques suivantes : les langages - les publics - les
représentations - les
technologies - les typologies - la production.
Des initiatives ont été prises dans les académies de Bordeaux,
de
Montpellier, de Versailles mais, ainsi que rappelé
ci-dessus, il s’agissait plus de
l’utilisation des médias comme mode d’enseignement que d’une
étude sur les
médias.