en l’an 17 avant Jésus Christ, Virgile, dans l’Enéide,
apparentait la nature de la rumeur à cent
langues
Vingt siècles plus tard, la description de Virgile se prête
toujours aux vecteurs de bavardages planétaires que sont les médias sociaux
comme Twitter, Facebook et leurs nombreux dérivés. Ce « cinquième pouvoir », comme on l’appelle
parfois, se conduit en colosse indiscipliné.
Le sociologue William Dutton, à qui on doit l’expression, en fait la
description suivante :
Des individus très interconnectés (grâce aux plateformes
technologiques nouvelles telles que les réseaux sociaux et les messageries)
peuvent sortir des limites des institutions existantes, les fragiliser ou les
outrepasser. Ils sont à la base de
réseaux socialement très soudés qui composent ce que j’appelle le Cinquième
Pouvoir.2
Parallèlement, le quatrième pouvoir, c'est-à-dire le
journalisme, évolue aussi bien dans l’environnement virtuel que dans le monde
réel, et ce dans un cadre professionnel auto réglementé. Il est composé d’un groupe relativement
restreint de personnes travaillant vers un objectif spécifique, qui est celui
d’écarter tout ce qui est du domaine de la rumeur et de la bêtise pour produire
et diffuser une information à caractère politique, économique et social sur
laquelle les publics visés puissent se fier.
C’est parce que les médias d’information ont cette capacité,
cette constance et cette crédibilité que le journalisme d’actualité occupe une
place à part parmi l’avalanche d’informations qui caractérise l’espace
cybernétique. Si la profession perd
cette crédibilité, le public, dont les compétences informatiques sont de plus
en plus solides, risque de considérer, à juste titre, que le journalisme est
superflu. Par le passé, les organismes
d’information privilégiaient le scoop, l’exclusivité. Si cet aspect de notre activité reste
important, c’est aujourd’hui, avec l’ère de l’information, le maintien de la
crédibilité et de la confiance qui sont les garants de la longévité de la
profession.
Cette communication vise à examiner le rôle du médiateur de
presse dans un journalisme numérique en pleine maturation. Elle cherchera à mettre en exergue certains
des défis auxquels nous sommes confrontés, nous, médiateurs de presse, ainsi
que les organisations qui nous emploient, dans un environnement où nous sommes
de plus en plus connectés à nos différents publics. Elle s’attachera à proposer des orientations
permettant à la fonction de médiateur de presse et à l’ONO de s’adapter aux
nouvelles formes de production et de contenu qui transforment la pratique et la
perception du journalisme.
Le rôle du médiateur de presse
À mesure que s’intensifie la communication entre les
organismes d’information et leurs publics, et que ces publics sont de plus en
plus organisés en réseaux, les organismes d’information sont de plus en plus
tenus de justifier ce qu’ils diffusent. Comme nous le savons tous, cette
responsabilisation passe par l’adhésion à un ensemble de principes
journalistiques communs.
C’est au médiateur de presse qu’il incombe d’évaluer si son
organisation souscrit à ses principes.
Son rayon d’action reflète l’environnement juridique et réglementaire
dans laquelle son organisation fonctionne.
Un examen de la composition actuelle de l’ONO met en évidence plusieurs
types de médiateurs de presse :
· le médiateur de
presse interne, comme on le rencontre aux États-Unis, est indépendant et
apporte un regard critique au traitement de l’actualité, particulièrement à
celui de son organisation.
· le médiateur de
presse chargé de l’application du code interne traite de façon officielle les
griefs du public et les confronte au Code déontologique de l’organisation qui
l’emploie ; il représente son organisation face à l’organe national de
régulation de l’audiovisuel. Il peut
éventuellement, mais pas nécessairement, participer à des discussions plus
générales portant sur des questions de normes journalistiques.
· le médiateur de
presse « à l’antenne » a sa propre émission de radio ou de télévision dans
laquelle il répond en public aux plaintes des téléspectateurs ou auditeurs et
se livre lui-même à des critiques des médias.
· le responsable
des normes journalistiques à la télévision a pour rôle de gérer les plaintes
des téléspectateurs mais est également impliqué dans les processus
d’élaboration des principes journalistiques.
Médiateurs de presse et cadres règlementaires
Les médiateurs de presse sont soumis à différents systèmes
règlementaires selon
les organismes d’information et les pays. En règle générale, un organe de régulation
national fait fonction de juridiction d’appel lorsque le consommateur
d’actualité auteur d’une plainte n’est pas satisfait de la réponse qu’il a
reçue de l’organisme d’information par l’intermédiaire de son médiateur de
presse.
Le système australien est représentatif de la plupart des
régimes réglementaires auxquels sont soumis les médias dans les pays
occidentaux, à l’exception des États- Unis où les restrictions imposées aux
organismes d’information sont moins importantes. En Australie, le « Press Council » ou Conseil
de la presse, organe d’autorégulation de la presse, examine en toute indépendance
les plaintes formulées contre les journaux et les magazines. Un autre organe de régulation national,
l’Australian Communications and Media Authority, enquête sur les plaintes
relatives aux normes journalistiques des groupes audiovisuels publics et
privés. Le journalisme en ligne relève à
la fois de ces deux entités, statut qui, j’imagine, se clarifiera au fil des
années.
Quelle est donc la voie de l’avenir pour le médiateur de
presse, à la fois interlocuteur d’un public plus informé et mieux connecté, et
représentant d’un organisme d’information de plus en plus décrédibilisé par les
détenteurs du cinquième pouvoir ?
Les médias institutionnels
Qu’on se rassure : on ne peut ignorer l’actualité. Elle est omniprésente et continue, que ce
soit en ligne, à la télévision ou sur nos appareils électroniques de poche.
L’accès à l’information n’a jamais été aussi facile, point d’ancrage permanent
dans le domaine planétaire de l’information, espace de stabilité dans un monde
instable.
Les organismes d’information, probablement parce qu’ils
emploient des professionnels, continuent d’être les mieux placés de la
blogosphère en terme de rapidité de diffusion de l’information. Des études menées par le département d’informatique
de Cornell University ont révélé que, lors des élections présidentielles
américaines, les informations étaient d’une façon générale diffusées en premier
par les organismes d’information traditionnels, et non pas sur la
blogosphère. Peut-être cela reflète-t-il
la nature des comptes-rendus de l’actualité politique ?
Les auteurs de ces études ont suivi, sur une période de
trois mois précédant les élections présidentielles de 2008, 1,6 millions de
sites d’information en ligne, dont
20,000 appartenant aux médias classiques ainsi qu’un nombre important
de blogues
– soit un total de 90 millions d’articles. Ils ont constaté que :
Presque tous les articles partaient d’un média
traditionnel. Seuls 3,5 % des articles
recensés sont apparus pour la première fois sur la blogosphère et ont ensuite
été relayés par les médias traditionnels.3
Les attentes du public consommateur d’actualités
Les pressions subies par les organismes d’information pour
rester au fait de l’actualité deviennent cependant de plus en plus
problématiques. Quand la BBC a diffusé,
lors des attentats de Bombay en 2008, des éléments d’information non confirmés
provenant de Twitter, trois types de réactions se sont rencontrés sur le blogue
du rédacteur en chef :
a) N’utilisez pas
Twitter ou toute autre source informelle – vous êtes la BBC –
nous voulons des faits solides, et rien d’autre.
b) Utilisez les
médias sociaux; se servir de ce que les autres savent pour s’informer, c’est
faire preuve d’intelligence.
c) Utilisez les
deux, mais INDIQUEZ-LE clairement.
Séparez même les deux types d’informations.4
Le public exige donc des informations fiables et ne veut pas
être traité comme un imbécile par les organismes d’information. Tyler Brûlé, gourou du design et chroniqueur
au Financial Times, a exprimé son inquiétude face aux éditions spéciales
diffusées par CNN sur Haïti :
J’étais cloué sur place dans la lueur de mon poste de
télévision : une séquence entière était consacrée à Cooper prenant part à
l’actualité en portant secours à un jeune Haïtien alors que Dr Gupta expliquait
à Larry comment plus tôt ce jour-là il avait dû abandonner de son rôle de
journaliste pour procéder à une opération du cerveau.
J’imaginais à la régie de CNN à Atlanta un producteur zélé
brandissant un poing victorieux à l’idée qu’ils venaient de créer l’actualité
audiovisuelle. Peut-être
échangeait-il ou elle des « high-five » avec ses collègues
en s’exclamant « Ça y est ! CNN ne se contente pas de présenter
l’actualité. Elle crée l’actualité. ” 5
Brûlé, comme les blogueurs de la BBC, représente un public
consommateur d’actualités éduqué.
Aujourd’hui, les organismes d’information ne peuvent pas simuler la
crédibilité. Ils doivent être
crédibles. Cela passe par des principes
journalistiques bien définis et un engagement public d’adhésion à ses
principes.
Limites
En mars, le British Press Council, « Conseil britannique de
la presse », a réaffirmé ces principes en se prononçant contre l’un des
journalistes du Spectator qui avait publié une information erronée dans le
blogue de son journal. Le journaliste
réputé Rod Liddle avait en effet écrit que :
L’écrasante majorité des crimes de rues, des attaques au
couteau et des crimes de violence sexuelle à Londres sont perpétrés par des
jeunes hommes issus de la communauté africaine des Caraïbes.6
Le PCC a souligné qu’il était « difficile de prétendre que
la phrase en question ne faisait que représenter le point de vue du
chroniqueur, qui peut être contesté. Il
s’agissait au contraire d’une description de fait ».
Et Roy Greenslade d’ajouter dans son blogue dans le Guardian
:
Dans un monde en ligne apparemment anarchique, dans lequel
un nombre apparemment infini de personnes sont prêtes à colporter des mensonges
et à déformer la réalité, il est extrêmement important de gagner la confiance
du public. Les journaux et les magazines
sérieux s’assureront la fidélité de leurs lecteurs s’ils font preuve de
crédibilité, d’intégrité et d’autorité.
Leur contenu journalistique se doit donc d’être
exact, honnête et impartial.
En montrant que le site internet d’un magazine ne peut se permettre de
publier une déclaration erronée, le PCC a conforté le public dans l’idée que
les journalistes britanniques qui publient en ligne ne peuvent pas dire n’importe
quoi.7
La leçon que l’on peut tirer du cas Liddle est claire : les
organismes d’information ne peuvent pas utiliser la technologie pour contourner
leurs propres principes journalistiques ; un blogue ne donne pas carte
blanche. Tout ce qui paraît sous le nom
d’une organisation doit être conforme à ses principes journalistiques.
Megan Garber, dans le Columbia Journalism Review du 4 mars
2010, pressait les journalistes à se mobiliser professionnellement et culturellement et à se rallier à la voix
institutionnelle, la voix discursive lorsqu’elle écrivait :
… parce que la technologie permet des stratégies de
distribution de contenus de plus en plus individualistes, le journalisme
institutionnel se fait rare. Ce qui veut
dire, à mon avis, qu’il gagne en valeur.
C’est là un point de vue auquel les organismes d’information devraient
adhérer et donner un large écho. 8
Cette voix institutionnelle s’articule en premier dans nos
divers Codes déontologiques ou normes journalistiques qui sont, bien
évidemment, remarquablement similaires.
Le British Press Council
i) La presse doit
s’assurer de ne pas publier des informations inexactes, trompeuses ou
déformées, y compris dans ses images.
ii) Toute
inexactitude, déclaration trompeuse ou déformation des faits doit être, une
fois constatée, corrigée sans délai et de façon bien visible. Cette correction peut au besoin s’accompagner
d’excuses.
iii) La presse, tout
en étant libre de prendre position, se doit de faire la distinction entre ce
qui relève du commentaire, de la conjecture et des faits.
iv) Une publication
doit, sauf accord préalable ou déclaration préalablement publiée, faire état,
avec honnêteté et exactitude, de l’issue d’une action en justice pour
diffamation dont elle aurait été partie.9
La Canadian Broadcasting Corporation
· Exactitude:
L’information présentée est conforme à la réalité et n’est d’aucune façon
trompeuse ou erronée. Cette exigence
implique non seulement une recherche minutieuse et approfondie des faits mais
également une utilisation rigoureuse du langage et des techniques de
production, y compris des éléments visuels.
· Intégrité:
L’information doit être honnête, et non pas déformée pour justifier une
certaine conclusion. Les groupes
audiovisuels ne doivent pas profiter de leur pouvoir pour présenter un parti
pris personnel.
· Bonne foi:
L’information présente ou reflète de façon équitable les faits pertinents et
les points de vue importants ; elle traite de façon juste et éthique les
personnes, les institutions, les questions et les évènements.10
Les principes journalistiques de PBS America
A) Bonne foi - …les
producteurs doivent également adhérer aux principes de transparence et
d’honnêteté en utilisant la signalétique appropriée et en faisant état de toute
exonération de responsabilité, mise à
jour ou autre information susceptible de faire comprendre clairement au public
ce qu’il voit.
B) Exactitude – Tout
doit être mis en œuvre pour s’assurer que l’information présentée est exacte et
contextualisée. Les émissions, les
sites internet et tout autre contenu comportant des éditoriaux, des analyses,
des commentaires et des points de vue doivent répondre aux mêmes exigences
d’exactitude factuelle que les reportages d’actualité. Ce souci d’exactitude implique d’être disposé
à rétablir les faits si des informations nouvelles pertinentes justifiant une
correction sont mises à jour, et de répondre aux réactions et aux questions du
public.
C) Objectivité – Avec
la bonne fois et l’exactitude, l’objectivité est le troisième principe
fondamental auquel les journalistes sont tenus.
…L’objectivité.. va au-delà d’une présentation neutre de l’actualité et
de l’information…, les journalistes
doivent entamer toute enquête l’esprit ouvert, et sans chercher à privilégier
un point de vue prédéterminé.
D) Impartialité – PBS
cherche à présenter, dans le temps, des émissions qui traitent d’un vaste
éventail de sujets, et selon diverses perspectives. Il appartient cependant à PBS de déterminer
non seulement dans quelle mesure les émissions diffusées contribuent à l’équilibre
général de la programmation, mais également si
une séquence donnée est présentée de façon honnête compte
tenu des informations disponibles.11
Principes journalistiques
Au cours des années 1990, ce sont précisément ces principes
qui ont été remis en question par des universitaires et par certains
journalistes qui les jugeaient inatteignables.
Les scandales qui ont cependant éclaboussé les organismes d’information
ces dernières années, allant même jusqu’à atteindre la BBC et le New York Times
sur des questions de crédibilité, suggèrent que les organismes d’information et
leurs publics continuent de penser que ces principes sont au cœur d’un
journalisme de qualité.
Julian Baggini, dans sa publication de 2003 intitulée La
Philosophie du journalisme, souligne que :
· L’idée que les
journalistes devraient tendre vers l’objectivité n’est ni anachronique ni
incohérente. En fait, l’objectivité est
précisément ce que nous devons viser.
· Les sceptiques
qui objectent qu’on ne peut jamais totalement s’abstenir de prendre position ne
font qu’avancer un lieu commun…
L’objectivité maximale est une fin réaliste et louable et n’est en aucun
cas à remettre en cause.
Il ajoute:
· Le travail du
journaliste d’actualité n’est pas seulement d’énoncer un enchaînement de faits
réels puisque ses omissions seules, par exemple, peuvent induire en
erreur. Le
journaliste d’actualité doit, dans un souci de vérité, déterminer quels
faits doivent être portés à notre attention pour que nous
puissions « voir, au-delà des apparences, les mécanismes et les motivations
réels ».
· Cela implique
discernement et compétence car il y a plus d’une façon honnête de rendre compte
d’un évènement donné. Cela ne veut pas
dire que certains reportages ne soient pas plus honnêtes que d’autres et qu’un
reporter ne puisse
pas aspirer à la plus grande honnêteté possible. 12
Même si le journalisme d’actualité prend des formes
légèrement différentes selon la nature des supports utilisés, télévision,
presse écrite, radio ou internet, les mêmes principes prévalent.
Le problème du panachage de l’information par le public
Le nombre accru de points d’accès à l’information à la
disposition des nouveaux publics est un facteur de complication pour les
organismes d’information dans un environnement où les supports médiatiques sont
multiples. Et il est fort probable que
ce public interactif soit moins passif que par le passé.
De plus, la technologie permet à chacun de ces nouveaux
consommateurs d’information de personnaliser son accès à l’actualité. Plutôt que de faire du journal télévisé du
soir de la BBC sa source principale d’information, il peut aller en ligne et créer
son propre bulletin d’actualité. Il peut
ainsi par exemple choisir le journal de la BBC pour les reportages européens,
ABC America pour les dossiers américains, le FT pour les questions financières,
Sky pour le sport et ainsi de suite.
Cette fragmentation du public de l’information nécessitera
probablement une meilleure communication entre les organismes d’information sur
leurs enjeux communs en matière de principes journalistiques. Cela ne veut pas dire qu’ils devront renoncer
à leur indépendance. Tant s’en
faut. Mais afin de protéger la
crédibilité de leur marque journalistique, amenée à être de plus en plus
vilipendée par le cinquième pouvoir, les organismes d’information auront
intérêt à adopter une
approche plus collaborative.
Ce serait déjà une évolution significative dans la culture de notre
profession.
L’ONO pourrait être un lieu de dialogue ; le fruit de nos
réflexions communes sur les problèmes journalistiques ou éthiques du moment
pourrait ensuite alimenter nos organisations respectives. Dans une certaine mesure, il y a déjà une
sorte d’osmose culturelle avec le secteur de l’actualité, mais des débats plus
clairs et plus ciblés produiraient des résultats plus concrets.
Les enjeux éthiques des organismes d’information
Au risque de nager à contre-courant, je dois avouer avoir
toujours trouvé préoccupant le manque de mobilisation des organismes
d’information en faveur de nos collègues danois lors de la publication des
caricatures de Mahomet. La majorité des
organismes d’information se sont en fait autocensurés et abstenus de publier
les dessins. Ils ont ainsi placé la
sensibilité des critiques des caricatures avant le droit à l’information de
leur public, pourtant majoritaire.
Celui-ci s’est donc vu refusé le droit de voir les images au cœur d’un
débat de fond sur la liberté d’expression.
Alors que les valeurs libérales occidentales étaient en cause, le
secteur de l’information a dit
« Faites nous confiance, mieux vaut ne pas vous les
montrer». C’était un acte de
censure scandaleux, visant à protéger ses propres intérêts,
chose que la profession ne tolère généralement pas chez les autres. Le journalisme n’a pas répondu à l’exigence
d’impartialité de son public.
Si l’ONO avait eu un réseau étendu et rapidement mobilisable
et de médiateurs de presse bien connectés entre eux, cette question fort
controversée aurait peut-être pu être débattue en temps voulu. L’issue de ces débats aurait pu trouver écho
dans les divers organismes d’information.
Et peut-être aurions-nous fait preuve de plus de courage.
Les problèmes éthiques à débattre ne manquent pas :
· Que diffuser
d’une vidéo d’otages sans se faire, sans le vouloir, les colporteurs de la
propagande d’une organisation terroriste ?
· De même, que
montrer d’une vidéo mettant en scène un candidat au martyre quand l’objectif du
document est à la fois de glorifier le meurtrier et d’intimider les personnes
se trouvant dans les régions ciblées ?
· Si l’on examine
les vidéos, apparemment inspirées par d’autres, envoyées à NBC par le tueur du
Virginia Tech, et que l’on regarde sur Youtube les photos mises en lignes par
l’auteur d’un massacre de lycée en Finlande, on peut difficilement ne pas
souhaiter des orientations claires en ce qui concerne la rediffusion de ce
genre de document.
Doit-on fermer les yeux puisque, quoiqu’on y fasse, toutes
sortes de choses passent sur You Tube ?
Peut-être, mais il n’en demeure pas moins que ces questions doivent
faire l’objet d’un débat de fond. L’ONO
est particulièrement bien placée pour mener ce débat.
Les sources
L’Internet est un outil important pour le journalisme. Les médias sociaux, vecteurs d’innombrables
informations, peuvent être utiles pour les organismes d’information en quête de
sujets susceptibles d’interpeller le public.
Google facilite de facon considérable la recherche de personnes,
d’organisations et de sources. En règle
générale, nous vivons dans un monde où il est plus difficile de se cacher, ce
qui est un avantage pour le journalisme.
Parallèlement, les consommateurs d’actualité, grâce à
l’internet, n’ont jamais été plus actifs et plus connectés ; il est donc plus
difficile pour le journalisme de se cacher. Nous sommes de plus en plus à la
merci de sources qui dissimulent leur identité en ligne, ou de groupes de
pression bien connectés qui se servent de l’internet pour
faire connaître et promouvoir leur cause.
En 2004, la chaîne CBS s’est trouvée mêlée à l’affaire du
rapport Killian, supposé dévoiler le passé militaire du Président Bush ; le
producteur responsable de l’information avait eu, pour autant que je sache, un
contact direct avec la personne à l’origine du dossier. Mais quand les choses ont mal tourné, la
source en question s’est avérée incapable de produire le document original,
forçant le Président de CBS News de l’époque, Andrew Heyward, à
d’embarrassantes excuses publiques :
...CBS News ne peut prouver l’authenticité des documents, ce
qui est pourtant la seule règle journalistique qui puisse justifier de leur
utilisation dans un reportage. Nous
n’aurions pas dû les utiliser. C’est une
erreur que nous regrettons profondément. 13
L’internet, où il est facile de se cacher et de se faire
passer pour quelqu’un d’autre, est une complication de plus pour les organismes
d’information. Rien n’y garantit que les
gens sont ce qu’ils prétendent être, et une personne que vous pensez connaître
peut tout à fait être un imitateur.
L’internet peut être une gigantesque galerie des glaces.
Autrefois, les organismes d’information connaissaient leurs
sources anonymes. Ils décidaient de
publier une information dans l’intérêt du public. Aujourd’hui, des sites comme WikiLeaks, qui a
publié de nombreux documents, dont certains ont été reconnus comme étant
authentiques, se targuent de protéger l’identité de leurs sources. La clause d’exonération de responsabilité de
WikiLeaks précise :
· L’information
que vous soumettez sera nettoyée par nos soins afin qu’elle ne puisse permettre
à personne de remonter techniquement jusqu’à votre programme PDF, votre
installation Word, votre scanneur ou votre imprimante.
· Nous
anonymiserons également toute information vous concernant dès vos premières
démarches dans le réseau WikiLeaks ; nos services ne vous connaîtront pas, et
ne conserveront aucune information sur votre visite.
· Nous
n’apporterons jamais notre coopération à quiconque cherchera à vous identifier
en tant que source. Nous sommes en effet
légalement tenus de ne pas le faire, et toute enquête dont vous seriez l’objet
pour avoir été l’une de nos sources
est considérée comme un délit dans divers pays, et est
passible de poursuites. 14
C’est là une excellente façon de contourner la législation
relative aux procédures d’alerte, de plus en plus utilisée pour empêcher les
fonctionnaires de divulguer des documents officiels aux organismes
d’information. Cependant, cette clause
d’exonération peut être problématique pour les organismes d’information si
l’authenticité d’un document sensible est contestée après sa
diffusion. CBS avait au moins au départ
un contact direct avec sa source.
Le porte-voix des groupes de pression
Avec l’internet, les organismes d’information risquent
encore plus de servir de porte- voix à des groupes de pression externes, voire
à un jeune auteur de canular. Le problème
est d’autant plus aigu que l’actualité ne s’arrête jamais, et qu’une nouvelle a
de grandes chances d’avoir été publiée et diffusée avant la détection de toute
fraude.
Lors du conflit au Sri Lanka, notamment en 2009-2009 où les
affrontements étaient particulièrement intenses, un certain nombre de vidéos
ont été diffusées sur la Toile par des sympathisants tamouls. Quand ils sont authentiques, de tels
documents présentent un intérêt journalistique : certaines images montraient
notamment le bombardement d’un hôpital, d’autres des corps de femmes membres
des Tigres tamouls profanés par des soldats semblant appartenir à l’armée
sri-lankaise ; la plus notoire des vidéos montraient des personnes nues, les
mains attachées, exécutées par des soldats sri-lankais. Aucune de ses vidéos n’ont cependant pu être
authentifiées de façon indépendante.
Elles n’étaient pas datées, et le lieu où les images ont été filmées
était inconnu.
En Australie, certaines de ces séquences ont été diffusées,
provocant une vague de plaintes provenant des partisans du gouvernement
sri-lankais. En août 2009, la diffusion
par la télévision britannique d’images de soldats sri-lankais tuant des Tamouls
a donné lieu à une enquête du Rapporteur spécial de l’ONU sur les exécutions
extrajudiciaires, sommaires et arbitraires.
Il annonçait en janvier : « J’en conclus que la vidéo est authentique
»15. Le porte-parole du Sri Lanka auprès
de l’ONU, Palitha Kohana, rétorqua que les autorités sri-lankaises avaient
elles aussi fait appel à des experts qui considéraient de façon catégorique que
la vidéo était un faux.16
La communauté tamoule comme le gouvernement du Sri Lanka
aiment utiliser les organismes d’information pour faire passer leur
message. J’ai constaté au cours de
l’année 2009 que les sympathisants tamouls faisaient circuler des documents sur
internet juste avant les visites en Australie de représentants officiels du
gouvernement sri-lankais. J’imagine
qu’il en était de même dans d’autres pays. Certains de ces documents
provenaient d’une chaîne de télévision communautaire tamoule au Canada, qui
elle-même les téléchargeait de sites internet tamouls. Que les groupes de pression cherchent à faire
relayer leurs points de vue par les médias n’a certes rien de nouveau, mais il
est de plus en plus difficile pour un organisme d’information de rejeter des
documents vidéos qui paraissent authentiques.
Or, à l’ère de la manipulation numérique, les images sont de
plus en plus contestées. Jay Rosen, dans un blogue intitulé Audience
Atomization Overcome (« Vaincre
l’atomisation du public »), soutient que l’internet a
affaibli l’autorité de la presse :
… l’un des facteurs de changement les plus importants dans
notre monde est qu’il est devenu de moins en moins cher pour des personnes
idéologiquement proches de se localiser les unes les autres, de partager des
informations, d’échanger des impressions et de prendre conscience de leur
nombre. Ils peuvent décider d’emblée que
la
« sphère de débats légitimes » telle que la définissent les
journalistes ne s’applique pas
à eux. Autrefois, ce
type de sentiments n’aboutissaient à
rien. Maintenant, il se forme, se
solidifie et s’exprime en ligne. 17
Il faudra cependant du temps pour voir si, effectivement,
ces groupes affaibliront l’autorité de la presse. Il est possible qu’en fin de compte ils la
renforcent. Tout dépendra de la qualité
des rapports entre les organismes d’information et les médias sociaux. Il est possible que ces sites qui débattent
en ligne de certains sujets élargissent l’éventail des questions traitées par
les organismes d’information. Il est
facile, face au pouvoir de la Toile, de perdre de vue les thèmes qui y sont
débattus. Le militantisme n’a rien de nouveau.
Les manifestants anti-G8, les opposants à la chasse à la baleine ou les
écologistes ont déjà fait la une de l’actualité en organisant des activités
publiques médiatiques. La différence,
dans l’environnement cybernétique, est que l’organisme d’information peut voir
les manifestants se mobiliser en ligne avant qu’ils ne descendent dans la
rue. Si leur cause présente un intérêt
journalistique, elle peut être relayée par les médias traditionnels plus tôt
qu’elle ne l’aurait été dans l’ère pré-numérique. Dans ce sens, nous assistons à une
accélération des choses.
Les imitations
Les choses se compliquent pour les journalistes et les
médiateurs de presse lorsque des groupes d’internautes chevronnés pastichent
les sites internet d’institutions connues pour s’arroger une crédibilité de
facto.
Un journaliste peut facilement se munir d’un exemplaire du
rapport Goldstone sur Google. Il suffit
de taper
http://www.goldstonereport.org.
Pour le non-averti survolant rapidement l’écran, le site peut faire
l’illusion. La page d’accueil précise
que le site a été mandaté par le Conseil des Droits de l’homme de l’ONU auquel
il a été présenté et dont il a reçu l’aval.
Les éléments visuels associés à l’ONU y sont présents. C’est en ouvrant le lien Qui sommes-nous ?
qu’apparaît la première indication qu’il ne s’agit pas d’un site officiel de
l’ONU. Il y est dit :
Ce site a été mis en place par un groupe de blogueurs qui
suivent l’actualité et les rapports des ONG sur l’opération israélienne Plomb
durci, ainsi que l’historique de la Commission Goldstone. Nous avons joint nos efforts pour proposer
une analyse probante, empirique et approfondie de la Commission Goldstone.18
Si Goldstonereport.org peut être un point de départ utile
pour les journalistes à la recherche de sources, ce n’est pas le site du
rapport Goldstone. Et la confusion est
facile.
Les journalistes et les médiateurs de presse d’aujourd’hui
doivent être dotés, en plus des techniques de recherche habituelles, de
compétences spécifiques à la lecture des contenus internet. Par ailleurs, les médiateurs de presse auraient
intérêt à partager les renseignements qu’ils ont cumulés dans le cadre de leurs
activités sur les sites potentiellement problématiques. Une simple liste sur une page internet où
figureraient toutes les imitations crédibles suffirait.
Autre problème, bien plus ancré encore dans les organismes
d’informations, celui des pigistes aux intentions moins qu’impartiales. Ces journalistes engagés sont décrits ainsi
dans Wikipedia :
… une forme de journalisme qui adopte, de façon
intentionnelle et transparente, un point de vue qui n’est pas objectif,
généralement à des fins sociales ou politiques. Parce qu’il cherche à se baser
sur des faits, il est à distinguer de la propagande.
Il se distingue également des cas de parti pris et de manque
d’objectivité des médias qui se veulent être – ou se targuent d’être –
objectifs ou neutres.19
Je saisis mal la différence entre un journaliste engagé et
un journaliste habile s’occupant de relations publiques pour le compte de
l’industrie du charbon, du pétrole ou du tabac.
Le journalisme engagé est une version « politiquement correcte » des relations publiques. Les Journalistes de Paix, par exemples, se décrivent
comme utilisant :
…l’analyse et la transformation des conflits pour repenser
les concepts d’impartialité, de bonne foi et d’exactitude dans le traitement de
l’actualité. L’approche du journalisme
de paix propose une feuille de route nouvelle qui suit les liens entre les
journalistes, leurs sources, les évènements qu’ils relatent et les conséquences
de leur reportage – l’éthique du journalisme d’intervention.20
Il y a une différence entre compte rendu des faits et
intervention, comme il y a une différence entre reportage impartial et
reportage partisan, même quand le parti pris est avoué. Il n’appartient pas au journalisme
professionnel de décider qui sont les bons et qui sont les méchants, et de
prendre fait et cause pour ceux que l’on préfère.
Un principe fondamental
Un traitement professionnel de l’actualité n’omet de
mentionner les points de vue qui dérangent.
Il propose un éventail de perspectives à partir desquels le public peut
se faire sa propre opinion.
Onora O'Neill, philosophe et spécialiste des questions
d’éthique, précise dans sa communication License to Deceive (« Le droit de
tromper ») qu’une presse libre peut et doit être une presse responsable :
L’obligation de rendre compte de son action n’implique pas
la censure : elle fait obstacle à la censure.
En dehors des quelques exigences de protection de la sécurité publique,
et de la décence et peut-être de la vie privée, personne ne devrait dicter ce qui
peut être publié. Mais la liberté de la
presse ne s’accompagne pas du droit de tromper.
Tout comme Mill, nous souhaitons que la presse soit libre de rechercher
la vérité et de remettre en question les points de vue généralement
acceptés. Mais la recherche de la
vérité, ou (plus modestement) le souci de ne pas induire en erreur nécessite
des disciplines et des règles internes afin qu’un article puisse être évalué et
critiqué par ses lecteurs. 21 -
Si l’ONO est à la recherche d’un principe directeur, il est
difficile de faire mieux que celui-là.
Les dangers de la vitesse
Indépendamment des questions d’authentification, la rapidité
du domaine numérique de l’information a radicalement transformé le traitement
de l’actualité. Nous sommes maintenant
dans une situation où l’on publie d’abord et rectifie ensuite.
De plus en plus, les organismes d’information se servent de
documents provenant des sites de médias sociaux pour récupérer les minutes
perdues. C’est ce qu’a fait CNNI dans
les premières heures qui ont suivi le tremblement de terre de Qunhai dans
l’ouest de la Chine. Pendant que les
reporters de CNNI se rendaient sur place, les présentateurs lisaient les
nouvelles recueillies sur Twitter, s’assurant bien de préciser qu’ils n’étaient
« pas en mesure de vérifier ces informations ».
Mais celle ci
sonnaient vrai, et on peut comprendre pourquoi les organismes d’information
peuvent décider de diffuser ce genre de matériel. Cette pratique a toutefois des limites.
Si les organismes d’information prennent l’habitude de
diffuser une actualité qu’ils ne sont « pas en mesure de vérifier », ils
risquent à terme d’être perçus comme étant moins indépendants, et se
confondraient davantage avec le cinquième pouvoir. Si la crédibilité est la carte de visite du
journalisme, l’incapacité à vérifier l’information diffusée est une dérive
dangereuse.
Si l’actualité est autre, si ce n’est pas sur le lieu d’une
catastrophe naturelle que les organismes d’information essaient de se rendre,
mais sur une zone de guerre dont l’accès est interdit aux médias, la fiabilité
des médias sociaux est beaucoup plus incertaine. Comme l’a montré l’expérience sri-lankaise,
les deux parties au conflit
ont utilisé l’internet à des fins de propagande, et les
médias sociaux proposaient des
liens vers des vidéos non identifiées mais susceptibles de
présenter un intérêt journalistique.
Le risque évident pour les organismes d’information n’est
pas que n’importe quel individu muni d’un ordinateur ou d’un téléphone portable
se transforme en éditeur en ligne, mais plutôt que les organismes d’information
deviennent malgré eux les porte- voix planétaires de groupes d’intérêt et
d’individus relativement réduits en nombre et peu représentatifs. L’internet et les réseaux sociaux donnent
peut-être les mêmes chances à tous, mais il est facile pour un groupe
insignifiant de paraître beaucoup plus important que la somme de ses parties. Cette égalité bien construite mais risquée
est un piège potentiel pour les organismes d’information qui peuvent se trouver
entraînés malgré eux dans des situations compromettantes.
À mesure que s’intensifient leurs échanges en ligne, les
organismes d’information doivent améliorer leur dispositif de gestion des risques. On peut très bien imaginer des groupes
terroristes habiles se servir des médias sociaux pour assembler une foule sur
un lieu d’attaque prévue. Si les médias
traditionnels relayaient ce genre d’annonce, notre culpabilité potentielle
pourrait avoir des effets dévastateurs sur notre crédibilité. Il a été d’ailleurs suggéré que les attentats
de Bombay avaient fait
intervenir des tactiques de ce type, mais je n’ai pas réussi
à vérifier cette information.
Plus les organismes d’information sont en prise directe avec
les activités des médias sociaux, plus ils sont à l’écoute des divers publics
consommateurs d’information, plus ils leur sont connectés, et plus ils
deviennent vulnérables à différents niveaux.
Non seulement existe-t-il des problèmes sérieux d’authentification des
sources et de vérification des documents, mais le recueil de l’information suit
l’évènement de plus en plus près. Le
public assiste désormais avec nous aux conférences de presse,
aux cérémonies d’investiture des présidents et parfois même
aux procès. Il n’y a plus de délai entre
l’actualité et le compte-rendu de l’actualité.
La fonction de médiateur de presse dans un environnement
numérique
Un médiateur de presse doit travailler séparément et
indépendamment de l’équipe de rédaction, et ne doit en aucun cas être tenu
responsable d’une rubrique d’actualité.
Cependant, le caractère instantané du cycle de production de
l’information fait que les rôles du responsable des normes
éditoriales et du médiateur de presse se chevauchent parfois. L’examen postproduction du matériel diffusé
reste le rôle premier du médiateur de presse, mais il peut
également contribuer à l’élaboration de procédures journalistiques crédibles et
défendables qui puissent aider une équipe de rédaction toujours à court de
temps à parer aux pièges de
l’espace cybernétique.
Ce serait pour leur organisation une stratégie efficace de gestion des
risques.
Avant la production, le médiateur de presse pourrait par
exemple :
· aider à la mise
en place de procédures destinées à vérifier l’exactitude des informations
recueilles sur l’internet.
· aider à la mise
en place de procédures destinées à vérifier les sources aussi bien dans le
monde réel que dans l’espace cybernétique.
· aider à la mise
en place de procédures que les organismes d’information pourraient adopter pour
alerter les téléspectateurs ou les lecteurs du statut du matériel qui leur est
montré – notamment lorsqu’il est « impossible de vérifier l’information ».
· aider à la mise
en place de procédures permettant d’établir l’impact émotionnel du matériel
diffusé, comme dans le cas d’images d’otages par exemple.
Cette liste n’est pas exhaustive. Le médiateur de presse peut ainsi en toute
indépendance continuer d’examiner le traitement de l’actualité dans son
organisation, tout en aidant celle-ci à mettre en place des procédures
susceptibles de renforcer la qualité journalistique et de minimiser les risques. Il est essentiel qu’un médiateur de presse
conserve son indépendance par rapport à l’organisme d’information dont il
dépend. A cet égard, il est important
que le médiateur ne soit pas consulté sur la production de l’information au
quotidien.
Le médiateur de presse, dans un environnement numérique,
doit être de plus en plus flexible et polyvalent. Il joue le rôle d’un arbitre interne et
indépendant qui examine les griefs exprimés par les membres du public. Il peut également être un critique indépendant,
et se poser en intermédiaire entre l’organisme d’information et son
public. Nous sommes en effet flexibles
et polyvalents.
Le double regard du médiateur de presse
Le rôle traditionnel du médiateur de presse est d’examiner
et d’analyser les informations une fois qu’elle ont été publiées. Mais c’est précisément par ce travail que le
médiateur de presse est sensibilisé aux enjeux éthiques qui interpellent le
public à un moment donné ainsi qu’aux embûches qui parsèment l’espace
cybernétique pour les organismes d’information.
Il doit donc avoir un regard double :
· vers
l’intérieur de l’organisation, au nom du consommateur, afin de déterminer si
les normes en vigueur ont été respectées conformément aux pratique et
publications de l’organisation ;
· vers
l’extérieur, au nom de l’organisation, pour anticiper de nouveaux enjeux
journalistiques potentiels.
Son rôle, dans la gestion des risques de son organisation,
est donc de lancer une alerte précoce.
Dans les deux cas, il a tout intérêt à être en contact étroit avec ses
collègues travaillant dans d’autres organisations.
Le médiateur idéal de demain devra donc:
· Comprendre les
principes du journalisme
· Bien saisir la
façon dont ces principes s’appliquent dans la profession
· Comprendre la
capacité et les limites du cycle de production de l’information
· Être capable
d’analyser les textes, les vidéos, les documents audio et les données diffusées
sur la toile.
· Avoir une bonne
compréhension de l’internet et une bonne maîtrise des techniques de recherche
en ligne.
· Être capable
d’informer le public sur le journalisme
· Être capable d’établir des contacts avec
d’autres médiateurs de presse, et éventuellement de discuter avec eux de
questions parfois confidentielles et sensibles
· Être capable de
conceptualiser l’application des considérations éthiques aux pratiques de
production
· Avoir la
capacité de travailler indépendamment et de faire preuve de discernement.
L’avenir de l’ONO
En tant que conciliateur entre son organisme d’information
et ses différents publics, le médiateur de presse travaille de façon indépendante. En tant que membre d’une communauté
internationale de médiateurs de presse qui partagent leurs connaissances et en
font bénéficier en retour leur propre organisation, il travaille en équipe. De même, l’Organisation of News Ombudsman (ou
ONO, Organisation des médiateurs de presse) doit intensifier ses activités tant
au niveau interne, au sein de la profession, qu’au niveau externe, en
rehaussant son profil, et ce dans l’intérêt des médiateurs de presse, du
journalisme et du public. L’ONO devrait
être :
· Un laboratoire
d’idées sur les principes et l’éthique journalistiques
· Un espace de
découverte permettant au public de s’informer sur les principes et la critique
du journalisme professionnel
· Un espace de
partage et de dialogue où les médiateurs de presse peuvent échanger en toute
confidentialité
Conclusion
De telles structures permettraient de mettre en place deux
sphères d’influence interconnectées qui à leur tour pourraient se multiplier et
de se connecter avec d’autres médiateurs, d’autres organismes d’information,
d’autres publics et d’autres regroupements et organisations intéressés.
Le médiateur de presse identifie les sujets à polémique (à
partir des plaintes qu’il a reçues ou de ses observations personnelles ) puis
s’attache à en comprendre les mécanismes ; il peut en discuter alors avec
d’autres médiateurs et transmettre l’information ainsi acquise à l’organisme
qui les emploie et éventuellement élaborer de nouvelles directives susceptibles
d’aider l’équipe de rédaction.
L’ONO, grâce à ces membres, est au fait des enjeux éthiques
au cœur du journalisme d’actualité d’aujourd’hui ; elle peut développer de
nouvelles initiatives pour favoriser le dialogue dans la sphère publique tout
en éduquant les publics consommateurs d’information sur les normes
journalistiques qu’ils sont en droit d’exiger et en les encourageant à échanger
de façon constructive avec les
organismes d’information.
Enfin, l’ONO pourrait nous transmettre, à nous les médiateurs,
l’information qu’elle reçoit de la communauté dans son ensemble.
Cette approche collaborative permettra à l’ONO d’agir de
façon stratégique et intelligente et de devenir la voix collective de la
profession, celle d’un porte-parole indépendant sur le traitement de
l’actualité, et celle d’un arbitre public entre le secteur de l’information et
les divers publics nouveaux auxquels il s’adresse.
Theodore Zeldin, dans sa magnifique Histoire intime de
l’humanité, prédit que les dirigeants du monde nouveau ne ressembleront en rien
à ceux de l’ancien qui montaient au créneau, menaient des armées au combat et
s’appropriaient des territoires. Les
dirigeants du monde nouveau seront au contraire plus transparents, et leur
pouvoir dépendra de leur capacité à se connecter et à tirer parti des liens
qu’ils auront tissés avec les personnes et les organisations qui les entourent,
et à continuer, par ces personnes, à accroître leur influence de manière
exponentielle.
L’ONO est parfaitement placée pour remplir ce rôle
fédérateur, proactif, réactif, individuel et collectif. Pour les médiateurs de presse de
l’environnement numérique, le monde promet de devenir de plus en plus
intéressant.