Introduction
Ils étaient 7 en 2006 et 14 en 2007 selon l’un (Pépin 2008,
12), mais un autre en a recensé 10
(Agnès 2008, 34). Le site Internet du Club des médiateurs de
presse français en identifie 13 en
permanents du champ journalistique en France, à l’instar de
leurs collègues ombudsman que l’on
retrouve dans de nombreux pays de tradition anglo-saxonne.
Agnès rapporte que le premier médiateur de presse en France
a été celui du Monde (en 1994),
suivi par l’hebdomadaire La Vie (1999-2003) puis de France 2
(1998) en réponse à un « souhait
du ministre de la Culture et de la Communication de l’époque
» (Agnès 2008, 35). Brotel abonde
en ce sens quant à l’intention ministérielle, manifestée en
1997 dans le cadre d’une colloque de
Reporter sans frontières, afin que les responsables des
médias publics (radio et télévision) créent
des postes de médiateurs pour que « la notion de
responsabilité progresse aussi dans les services
de service public » (rapporté par Brotel, 2003, 20).
En France, le journaliste Noël Copin, alors au service de
Radio France International (RFI) a été
parmi les premiers à proposer une définition du médiateur de
presse en le qualifiant
d’ambassadeur du public en rapport avec les contenus
radiophoniques (Pépin 2008, 13). Patrick
Pépin, qui fut aussi médiateur, évoque aussi une deuxième
fonction, celle de « porte-parole » et
de « “pédagogue” des équipes éditoriales. Car si les
citoyens ont un droit absolu à la saisine, ils
ont aussi celui de l’explication de l’erreur, de
l’imprécision ou du lapsus… » (2008, 13). Cette
double fonction semble faire du médiateur davantage une interface
qu’un protecteur du droit du
public à l’information de qualité et du respect des normes
journalistiques. La médiation aurait une
2
(http://www.mediateurs-de-presse.fr/Mediateurs/Mediateurs_de_presse.html),
visité le 1er avril 2010.
fonction relationnelle plutôt que la fonction de critique
interne que revendiquent les ombudsman
de presse.
Toujours selon Pépin, la médiation de presse « s’est
développée depuis que la crise de confiance
entre les médias de référence et les citoyens s’est
intensifiée et perennisée (sic). On peut la dater,
ne serait-ce que pour avoir un point de repère, de la “
Révolution ” roumaine et de la première
Guerre du Golfe » (Pépin 2008, 18).
C’est une chose que de créer une fonction, c’en est une
autre d’en assurer la légitimité qui passe
par son acceptation. Les travaux de Ferreira-Maia (2004)
documentent et analysent les efforts
déployés par les médiateurs et ombudsman de presse afin
d’assurer la légitimité de cette nouvelle
forme d’activité professionnelle. Ferreira-Maia aborde la
question sous l’angle de la sociologie
des professions et considère la « médiation de presse en
tant que groupement professionnel en
formation qui cherche à s’affirmer et, pour cela, déploie
désormais un important travail de
promotion quant à l’intérêt du groupement » (2004, 292).
La légitimité des médiateurs de presse, tout comme celle des
ombudsman, a deux sources
(Bernier 2005); une légitimité interne qui repose sur le
consentement et l’acceptation de son rôle
par les journalistes, et une légitimité externe qui provient
du soutien, de l’acceptation et du
consentement des acteurs de la société (publics, sources,
régulateurs, etc.). Cette légitimité
externe se manifeste notamment, mais pas exclusivement, par
l’absence de remise en question de
son rôle et par le recours à ses services. Nous nous
limiterons pour notre part à la légitimité
interne, qui se manifeste par les attitudes, les opinions et
les perceptions favorables que les
journalistes ont de cette fonction.
La légitimité interne est peut-être la plus difficile à
obtenir et à maintenir pour l’ombudsman. Ce
rôle de chien de garde des chiens de garde n’est pas
toujours bien prisé dans les salles de
rédaction où les journalistes peuvent mal réagir au fait que
leur jugement soit évalué et critiqué
publiquement. Les ombudsmen sont souvent considérés comme
des ennemis plutôt que comme
un lien pertinent avec l’auditoire du média, a déjà soutenu
Bob Steele, un spécialiste de l’éthique
des médias affilié au Poynter Institute for Media Studies
(Campbell 2000, 3). Mesquita assure
que ce rôle disqualifie son titulaire pour tout «championnat
de sympathie» de la part des
journalistes (1998, 89).
Sans fournir quelque mesure que ce soit, Champagne affirme
pour sa part que :
«l’instauration de cette fonction est loin de faire
l’unanimité dans les rédactions ellesmêmes,
nombre de journalistes estimant que “ le linge sale doit se
laver en famille ”
et que, de plus, l’existence d’une telle rubrique, loin de
renforcer la crédibilité du
journal, aurait pour conséquence de l’affaiblir dans la
mesure ou celui-ci ne
signalerait que les seuls manquements des journalistes »
(2000, 8).
Or, les enquêtes empiriques sont loin d’être aussi
catégoriques et la nôtre tendrait même à réfuter
l’opinion de Champagne.
La majorité des ombudsmen de journaux américains (65%)
estiment que leur présence favorise
des reportages plus prudents tout en accordant plus
d’importance aux question d’exactitude et
d’équité, une impression que ne partagent que la moitié des
responsables de l’information ayant
participé à cette recherche (Starck et Eisele 1998, 4). De
son côté, Thomas a observé que
seulement 13 % des ombudsmen ayant participé à son enquête
croient que les journalistes de leur
salle de rédaction ont une attitude négative à leur endroit,
contre 50% qui auraient une attitude
généralement positive et 28% qui estiment que cette attitude
est très positive (Thomas 1995, 5).
Dans une perspective différente, Langlois et Sauvageau ont
testé l’hypothèse selon laquelle
l’ombudsman doit être crédible auprès des journalistes afin
de « contribuer à l’amélioration de
l’information et du journalisme ». Ils ont observé que la
plupart des journalistes reconnaissent
l’utilité de l’ombudsman pour représenter les lecteurs, mais
les journalistes du quotidien
montréalais The Gazette doutaient alors majoritairement de
son utilité pour eux et le trouvaient
plus déprimant pour le moral des troupes que les
journalistes du Toronto Star qui avaient une
plus longue expérience de la présence d’un ombudsman que
leurs collègues de Montréal (1989,
198). Les chercheurs ont aussi observé que les journalistes
auprès desquels l’ombudsman de
chaque quotidien est intervenu ont une meilleur opinion de
son utilité que les autres (p. 204). De
même, leur façon de travailler (attitude critique vs
discussion dans la salle de rédaction) influence
leur acceptation par le groupe (p. 207). Les auteurs
estiment finalement que l’ombudsman est
une institution crédible auprès des journalistes (p. 208).
Nemeth a mené une enquête auprès de 85 journalistes du
Courier-Journal pour constater qu’ils
ont une perception positive de la fonction d’ombudsman, 92%
estimant qu’il s’agit d’une
représentant nécessaire des lecteurs contre seulement 6% qui
contestent son utilité en raison de la
présence de pupitreurs (editors). Par ailleurs, 84% se sont
opposés à la proposition voulant que la
présence d’un ombudsman sape le moral des employés.
Cependant, 40% estimaient que la
présence de l’ombudsman les incitaient à plus de prudence
dans leur travail tandis que 25%
étaient en désaccord avec cette affirmation et 34 %
demeuraient neutres (Nemeth 2000, 61).
En l’absence de données probantes, la question de la
légitimé interne des médiateurs de presse en
France se pose néanmoins et mérite d’être examinée. Pour ce
faire, nous avons procédé à une
vaste enquête afin de documenter les attitudes et les
opinions de journalistes.
Méthodologie
Nous avons sollicité l’opinion des journalistes des cinq
médias ayant un médiateur de presse.
Nous avons opté pour des médias diversifiés : le quotidien
national Le Monde et deux quotidiens
régionaux que sont La Dépêche du Midi et Midi Libre, ainsi
qu’une télévision publique (France
3) et la radio publique RFI (Radio-France International).
Nous avons eu accès à une banque de
données contenant 1276 adresses de courriels de
journalistes, réparties de la façon suivante :
France 3 (660), RFI (241), Midi Libre (58), Le Monde (266),
La Dépêche du Midi (51). Un
premier courriel a été envoyé à chacun de ces journalistes
afin de l’inviter à répondre à un
questionnaire en ligne. Ce premier message a été suivi de
trois rappels et d’un dernier message
annonçant la fermeture de l’accès au questionnaire en ligne.
Cette opération s’est déroulée du 26
novembre au 31 décembre 2008. Ajoutons que sur les 1276
adresses courriels, plus d’une
centaine (n=120) se sont révélées inopérantes pour diverses
raisons (absence prolongée du
journaliste, adresse n’existant plus, espace disque alloué
au récepteur dépassé, etc.). Cela a été le
cas au Midi Libre (n=11), au Monde (n=18), France 3 (n=86),
RFI (2) et La Dépêche (3). Une
fois retirés ces courriels, notre échantillon s’élève à 1156
journalistes.
De ces 1156 journalistes, 204 ont accepté de participer à la
recherche, mais seulement 115 (taux
de réponse de 9,9 %) ont répondu complètement au
questionnaire. En cours d’analyse, nous
avons constaté qu’une médiatrice s’était retrouvée au sein
de notre échantillon et son
questionnaire a été écarté. Dans un premier temps, le
questionnaire était totalement libre et les
journalistes pouvaient visualiser les questions sans y
répondre. Nous avons modifié la situation
afin que les journalistes soient obligés de répondre à une
question s’ils voulaient passer à la
question suivante.
Comme le questionnaire contenait des réponses quantitatives
et qualitatives, il nous semble
justifié de nous livrer à deux types d’analyse.
Premièrement, en ce qui concerne l’analyse
quantitative générale, nous ne retiendrons que les 113
questionnaires complétés par les
journalistes de RFI, France 3 et du quotidien Le Monde. La
participation des journalistes de la
presse quotidienne régionale a été trop faible (n=2) pour qu’on
puisse les intégrer dans une
catégorie significative sur le plan de l’analyse des
résultats. Le taux de réponse inférieur à 10 %
ne permet pas de prétendre à quelque généralisation que ce
soit pour l’ensemble des journalistes
des trois médias de notre étude, encore moins pour
l’ensemble des journalistes de France dont le
profil diffère de ceux des médias retenus. Néanmoins,
puisque près de 10 % de tous les
journalistes des trois médias retenus ont répondu à notre
questionnaire en ligne, on peut y déceler
des tendances qui pourraient être représentatives de
l’ensemble. C’est dans cet esprit nuancé,
entre non généralisation et représentativité relative, que
nous allons analyser les résultats
quantitatifs de l’enquête.
Deuxièmement, comme le questionnaire permettait aussi aux
journalistes d’écrire des
commentaires en réaction aux propositions et aux questions
de l’enquête, nous considérons
pertinent de tenir compte de l’ensemble des commentaires,
même ceux qui proviennent de
journalistes qui n’ont pas répondu à toutes les questions..
En effet, le but de la partie qualitative
de notre recherche n’est pas de quantifier les différentes
catégories de commentaires, mais bien
de les analyser afin d’identifier et de caractériser des
catégories de sens. L’analyse qualitative est
le lieu de prédilection pour reconstituer la « conversation
» des journalistes sur plusieurs enjeux.
Résultats
Le fait que la fonction de médiateur de presse soit peu
répandue dans la presse française peut
s’expliquer de différentes façons. Pour certains médias, les
ressources financières ne sont pas au
rendez-vous. Mais pour d’autres, c’est la légitimité même de
la fonction qui pourrait être en cause
puisque tous ne sont pas convaincus de sa pertinence ou de son
utilité. Nous avons cherché à
mesurer la légitimité de cette fonction par l’intermédiaire
de propositions qui réfèrent à différents
arguments pouvant y être favorable ou non à la médiation.
Pour certains, la présence d’un médiateur de presse peut
être considérée comme un facteur
d’inhibition pouvant nuire à la liberté de la presse, car il
implique une forme de surveillance sur
le travail journalistique. Il est permis de croire que les
journalistes qui vivent dans un média doté
de ce dispositif pourraient partager cette inquiétude. Nous
leur avons donc soumis la proposition
suivante : Les médiateurs de presse sont des menaces à la
liberté de presse.
Les médiateurs de presse sont des menaces à la liberté de
presse
Avec une moyenne collective de 1,453, on observe que la
proposition est radicalement rejetée. En
effet, plus de 89 % des journalistes ont choisi les valeurs
1 et 2 pour exprimer leur rejet d’une
telle proposition.
Les commentaires des journalistes permettent de saisir le
sens des réponses quantitatives. Non
seulement les médiateurs ne sont pas une menace, mais ils «
sont nécessaires au débat » et « la
liberté n'est pas menacée dès lors qu'un débat peut
s'installer sur le choix d'un reportage ou de la
façon de le traiter ». Néanmoins, la mise en cause ou la
discussion de certains reportages doit être
encadrée « par un collège de journalistes et rédacteurs en
chef » et assumée par des médiateurs
qui « font leur travail honnêtement ». Un risque pour la
liberté de presse existerait si les
médiateurs « étaient des censeurs à la solde d'un pouvoir
politique ou financier. À ma
connaissance, ils ne le sont pas ». Le médiateur peut même
être bien perçu comme un allié par
des journalistes, comme l'estime celui qui écrit que, dans
son média, « C'est un sage ou prétendu
tel. Il défend avant tout les intérêts du journal ».
Les premières réactions des journalistes laissent croire que
le médiateur de presse ne soulève
aucune objection. Mais d’autres indicateurs peuvent être
mobilisés. On pourrait, par exemple,
suggérer que plus une fonction est légitime, plus elle
serait généralisable ou socialement
acceptable. Ainsi, il est justifié de proposer que Tous les
médias d’information devraient avoir un
poste de médiateur de presse.
Tous les médias d’information devraient
avoir un poste de médiateur de presse
Cette proposition favorable à la fonction suscite une forte
adhésion collective avec une moyenne
de 5,754. Ce score élevé cache cependant une certaine
tiédeur chez certains répondants, tel ce
journaliste qui écrit « ça ne peut pas faire de mal...», ou
cette autre qui se limite à « pourquoi
pas ? ». Un répondant manifeste son accord en faisant preuve
d’un certain réalisme car le
médiateur est « bon pour l'image auprès des téléspectateurs
». Si certains estiment que la
médiation est « indispensable », on fera cependant valoir
qu’un « médiateur n'est utile qu'à partir
d'une certaine taille. En dessous rien ne vaut le contact
direct ». Un autre avantage identifié est
« Pour la pédagogie et pour que les lecteurs, auditeurs et
téléspectateurs puissent avoir une
réponse à leurs questions, leurs réactions, mécontentements
ou félicitations... ».
Alors que certains discréditent la médiation en y voyant une
simple stratégie de relations
publiques, on peut au contraire suggérer que le fait d’Avoir
un médiateur de presse est une
démonstration que notre média prend au sérieux ses
responsabilités sociales.
Avoir un médiateur de presse est une démonstration que
notre média prend au sérieux ses responsabilités sociales
Ici, la moyenne collective de 4,475 cache des appréciations
différentes, surtout entre RFI et
France 3 dont les moyennes diffèrent de façon significative
sur le plan statistique. Il y a lieu
d’ajouter qu’au moment de l’enquête, une controverse
sévissait à RFI où le médiateur en poste,
après avoir critiqué certains événements à caractère
politique, était limogé par une direction
proche du gouvernement du président Nicolas Sarkozy. On peut
comprendre la tiédeur des
journalistes de RFI qui écriront tour à tour « Oui. Mais
c'est aussi une mode », « Une
démonstration, non. Un signe, oui », ou encore « Ce n'est
qu'une apparence ».
À France 3, où la proposition est la mieux reçue, on est
tout de même loin de la ferveur : « faut
pas prendre les gens pour des naïfs », ou encore « ce n'est
pas parce que l'on a un médiateur que
l'on prend automatiquement au sérieux ses responsabilités
sociales ». Même si elle se montre
somme toute favorable à la proposition, une journaliste
estime que « cela peut aussi être juste un
effet pour soigner son image ». Mais une autre manifeste son
appui en écrivant « À France3 cela
semble être le cas ».
Une autre façon de mettre en cause la légitimité de la
fonction de médiateur de presse serait de
faire valoir son inutilité intrinsèque en raison des
certaines limites du public auquel il s’adresse.
Nous avons donc soumis la proposition Le public ne peut pas
comprendre les difficultés du
travail de journaliste et un médiateur de presse ne sert à
rien dans ce contexte.
Le public ne peut pas comprendre les difficultés du travail
de journaliste
et un médiateur de presse ne sert à rien dans ce contexte
Cette proposition est fortement rejetée, avec un score moyen
de 2,236, mais avec moins
d’intensité que celle voulant que le médiateur de presse
soit une menace à la liberté d’expression.
La proposition a généré un éloge du public de la part de
journalistes selon lesquels un
« médiateur peut aider, au contraire, à réduire cette
ignorance », car s’il « assume bien son rôle
il doit savoir faire la part des choses, prendre du recul et
pointer aussi bien ce qui dérape,
qu'expliquer les conditions d'exercice de la profession aux
téléspectateurs ». D’autres font valoir
qu’il est « vrai que ce n’est pas facile à expliquer, mais
quelquefois ça aide », car le « public se
doute bien que nous ne faisons pas notre métier dans une
situation idéale » et « nos auditeurs et
une grande partie du public peut comprendre si c'est bien
expliqué… ». Un journaliste va plus
loin en écrivant qu’il « serait condescendant et dangereux
de penser que les journalistes
appartiennent à une sorte de caste évoluant au-dessus du
public ». Encore faut-il que ces
explications soient diffusées de façon appropriée car « Chez
nous, il dispose d'une petite fenêtre
d'expression à une heure d'écoute moyenne ».
Par ailleurs, la présence d’un médiateur pourrait se
justifier afin de limiter de possibles de
journalistes ou de médias qui abuseraient de leur liberté.
Dans un premier temps, nous avons
voulu mesurer la réaction des journalistes à la proposition
Les médias d’information traditionnels
(journaux, radio, télévision) ont trop de liberté. Même si
la réponse à cette question peut sembler
relever d’une grande évidence, c’est dans son rapport avec
d’autres considérations qu’on pourra,
plus loin, juger de sa pertinence. Du reste, l’enquête
sociologique a intérêt à vérifier la solidité de
certaines évidences qui sont autant de prénotions qu’on ne
saurait pour autant éviter de visiter.
Les médias d’information traditionnels
(journaux, radio, télévision) ont trop de liberté.
Une telle proposition est vivement rejetée par l’ensemble
des journalistes, avec une moyenne de
1,327, soit la plus petite observée jusqu’à maintenant. Les
réponses des journalistes des trois
médias ne diffèrent aucunement sur le plan statistique.
Reste à voir maintenant comment certains
y réagissent. Un journaliste explique sa réponse ainsi : «
Non, la question n'est pas celle de la
liberté, mais de l'usage qui en est fait. Et donc celle de
la responsabilité sociale des médias et la
manière dont ils considèrent celle-ci ». D’autres
considèrent au contraire que la liberté de la
presse est en régression en France « Vu l'actualité récente
(arrestation du directeur de la
publication de Libération…), 35ième position de la France
selon RSF [Reporters sans frontières],
la liberté de la presse a du plomb dans l'aile », une
position qu’appuie une journaliste pour qui
« c'est plutôt le contraire et c'est de pis en pis ».
Bien entendu, on va concéder qu’il « peut arriver que ces
médias utilisent mal cette liberté. En
ne se posant pas les bonnes questions, ou en cédant à
l'effet de suivisme de l'information entre les
médias concurrents », mais certains soutiennent qu’on « n'a
jamais trop de liberté !»
Compte tenu du contexte politico-médiatique qui régnait en
France à l'automne 2008, où bon
nombre d’observateurs faisaient état des interférences de
l’Élysée, on ne doit pas être surpris de
constater que bien rares sont les journalistes qui
considèrent qu’il y règne trop de liberté de
presse. Néanmoins, est-il possible qu’une telle presse ait
tout de même trop de pouvoir, c’est-àdire
qu’il y ait détournement ou abus d’une liberté déjà
restreinte, et que ceci rende légitime la
fonction de médiateur de presse ? Nous avons suggéré que Les
médias d’information
traditionnels (journaux, radio, télévision) ont trop de
pouvoir.
Les médias d’information traditionnels
(journaux, radio, télévision) ont trop de pouvoir
Ici encore, le rejet des journalistes est très fort avec une
moyenne de 1,708, et on constate que
84 % des répondants ont choisi les valeurs intenses de 1 et
2 (contre 92 % pour la proposition
précédente). Il y a une forte corrélation entre les moyennes
obtenues pour ces deux propositions
(,600). Les journalistes font bloc pour réfuter la thèse
d’un excès de pouvoir, thèse souvent
associée aux discours qui revendiquent davantage de
dispositifs pour assurer la responsabilité
sociale des médias et limiter leur pouvoir de nuisance.
Ici encore, le contexte politique de la France est évoqué.
Une journaliste explique « Surtout sous
la présidence de Sarkozy, on voit l'aspect contre-pouvoir de
la presse malheureusement
s'amenuiser! » Un autre est plus nuancé : « Pas du tout
d'accord, sauf pour la télé. Aujourd'hui,
le poids de l'image est tel que l'émotion prime sur la
réflexion ». Mais il se pourrait que les
médias aient eu trop de pouvoir par le passé comme le laisse
entendre une journaliste qui écrit « il
suffit de suivre l'actu pour se rendre compte que ce n'est
plus du tout vrai ». Un autre journaliste
rejette catégoriquement cette proposition, mais il semble
pourtant la partager par la longueur et le
sens de son commentaire qui dénonce des formes d’abus :
« Non, mais ils ont souvent le pouvoir de médire... Annoncer
la mise en examen d'une
personne “à chaud” au beau milieu de la couverture intensive
d'une affaire très
médiatisée, oublier de rappeler que cette personne est “présumée
innocente” et
négliger d'accorder à l'éventuel “non lieu” accordé à cette
même personne
l'importance que l'on avait donnée à sa “mise en examen”,
c'est effectivement
assimilable à l'abus de pouvoir et à de la désinvolture
professionnelle ».
S'ils soulignent le manque de liberté de la presse ou le
fait qu’elle n’abuse pas de son pouvoir, les
mêmes journalistes ne s’opposent pas à la présence d’un
médiateur qui aurait pu être perçu
comme un dispositif d’encadrement et de surveillance venant
s’ajouter à des contraintes.
En effet, nos répondants sont d’avis que les médias ne sont
pas trop libres et n’ont pas trop de
pouvoir, mais ils souhaitent tout de même la présence de
médiateurs de presse (près de 81 % des
répondants favorisent cette proposition). C’est comme si la
fonction était assimilée à une vigie ou
à une veille déontologique de nature autocritique, et non à
un dispositif de discipline rendu
nécessaire en raison de débordements. Compte tenu du fait
que l’idée de la médiation a été
suggérée par le pouvoir politique, du moins pour les médias
publics que sont RFI et France 3, on
aurait pu observer des écarts significatifs entre les
moyennes de ces médias et celle de leurs
collègues du Monde. Il semble au contraire que la médiation
n’a pas rencontré de résistance
notable au sein des journalistes. S’il en est ainsi, on peut
s’attendre à ce que qu’ils s’objectent à la
proposition suivante, qui questionne à sa façon la
légitimité de la fonction : Les médias ne
devraient pas contribuer eux-mêmes à la critique du travail
des journalistes.
Les médias ne devraient pas contribuer eux-mêmes
à la critique du travail des journalistes
Le rejet est catégorique (moyenne de 1,819), mais moins que
pour certaines autres propositions et
son écart type est plus étendu. Toutefois, plus de 79 % des
journalistes rejettent cette proposition
contre seulement moins de 3 % qui l’appuient
Un journaliste affirme « Au contraire. Mais il y a aussi un
bon usage à faire de la critique, pour
qu'elle soit constructive » et on affirme même que la
critique des médias appartient à tous :
« Bien sûr que si. Mais ils ne doivent pas être les seuls à
le faire. Et les tribunaux civils jouent un
rôle important ». En fait, ce « travail d'autocritique est
indispensable », d’autant plus que « nous
sommes les premiers à critiquer les mauvais comportements de
certaines personnes, notamment
des politiques. C'est la moindre des choses que l'on regarde
aussi notre travail ». Il est important,
cependant, que la critique demeure interne et ne concerne
pas les autres médias, ce qu’exprime
l’un d’eux quand il écrit « Si cela reste dans le cadre du
média en question ».
Mais tous n’adhèrent pas à l’équation qui relierait médiation
et critique. Ainsi, un répondant
écrira « Je ne ressens pas la médiatrice comme quelqu'un qui
contribue à la critique du travail
des journalistes ». Une des rares journalistes à se montrer
d’accord avec la proposition affirme
pour sa part que les « médias et les journalistes doivent
veiller au respect de l'éthique de la
profession ce qui ne passe pas forcément par la critique ».
Dans le premier cas, on peut croire
que le répondant associe la médiation à une opération de
relations publiques, comme le font
certains auteurs, tandis, que dans le second cas, on peut
croire que le journaliste préfère la
fonction pédagogique de la médiation.
Par ailleurs, la médiation de presse coûte cher et plusieurs
auteurs ont déjà fait valoir que cela
était un empêchement majeur à la multiplication de cette
fonction dans des entreprises de presse
qui peinent parfois à générer les bénéfices attendus par les
propriétaires et actionnaires. Pour
certains, cet argent serait mieux investi si on le
consacrait à des genres journalistiques comme le
reportage et l’enquête. Pour vérifier si cet argument a
l’adhésion des journalistes de notre
enquête, nous avons proposé que Les budgets consacrés aux
médiateurs de presse seraient mieux
utilisés pour favoriser le journalisme d’enquête. Rappelons
que pour plusieurs journalistes et
observateurs des médias, il s’agit du genre journalistique
le plus noble dont la légitimité pourrait,
à la rigueur, s’imposer devant celle de la médiation.
Les budgets consacrés aux médiateurs de presse
seraient mieux utilisés pour favoriser le journalisme
d’enquête
Cette proposition est largement rejetée avec un score moyen
de 2,7210. Plus de 60 % des
répondants s’y opposent de façon intense (1 et 2), mais près
de 12 % sont fortement en accord .
Chez certains, la réaction est vive, telle cette journaliste
qui écrit « ça n'a rien à voir! » ou son
collègue qui ajoute « Il y a beaucoup d'autres dépenses
contestables... ». Une autre est d’avis
qu’il « faudrait les deux. Le journalisme d'enquête n'existe
plus du tout dans mon média, c'est
bien dommage, je dirais même que c'est terrible », un
commentaire formulé par d’autres
également. De toute façon, on fait valoir qu’il « faut
refuser ce choix! », d’autant plus que « je ne
suis pas sûr que le budget du médiateur soit si conséquent
que cela pour “favoriser le
journalisme d'enquête” », ce qu’un autre exprime autrement :
« Disons qu'on manque de fric
pour un travail de fond, mais je ne suis pas sûr que le seul
salaire du médiateur suffirait à
financer des enquêtes... Sur des choix rédactionnels aussi
stratégiques que la décision de donner
plus de temps aux journalistes, c'est la direction qui
décide ».
Analyse de corrélations
L’analyse des données qualitatives et quantitatives de notre
enquête permet de constater que les
médiateurs de presse français bénéficient d’une importante
légitimité interne qui s’exprime par
l’acceptation de la fonction et un soutien qui fait l’objet
d’un large consensus auprès des
journalistes des trois médias. Néanmoins, une prise en
compte des corrélations statistiquement
significatives entre les divers indicateurs nous permet de
raffiner notre analyse et de formuler
deux constats.
Une première constatation est qu’il existe au sein de notre
échantillon des journalistes réfractaires
qui partagent certaines attitudes et opinions défavorables à
la médiation de presse dans un cadre
analytique qui semble cohérent. Ainsi, ceux qui sont
d’accord pour dire que Les budgets consacrés
aux médiateurs de presse seraient mieux utilisés pour
favoriser le journalisme d’enquête sont
aussi enclins à soutenir des propositions telles Les médias
ne devraient pas contribuer eux-mêmes
à la critique du travail des journalistes, Les médiateurs de
presse sont une menace à la liberté de
presse ou encore Le public ne peut pas comprendre les
difficultés du travail des journalistes et un
médiateur de presse ne sert à rien dans ce contexte. Même si
la corrélation est faible, ils sont aussi
d’avis que Les médias d’information traditionnels (journaux,
radio, télévision) ont trop de
pouvoir. Il est permis de croire que pour ces réfractaires,
la médiation n’est pas la solution pour
limiter ce pouvoir, si tant est qu’ils souhaitent une
quelconque solution à une situation qui n’est
peut-être pas problématique pour eux. Peut-être aiment-ils
profiter de ce pouvoir ? Du reste, et de
façon cohérente, ces réfractaires sont aussi ceux qui
rejettent le plus la proposition disant Tous les
médias d’information devraient avoir un poste de médiateur
de presse. Ils ne sont pas d’accord,
non plus, pour dire qu’Avoir un médiateur de presse est une
démonstration que notre média
prend au sérieux ses responsabilités sociales.
Un deuxième constat est que les supporteurs de la médiation
partagent un ensemble de
convictions. Ils adhèrent à la proposition selon laquelle
Tous les médias d’information devraient
avoir un poste de médiateur de presse. Ils sont aussi
fortement d’accord pour dire qu’Avoir un
médiateur de presse est une démonstration que notre média
prend au sérieux ses responsabilités
sociales. Ces partisans de la médiation rejettent la
proposition voulant que Les médias
d’information traditionnels (journaux, radio, télévision)
ont trop de pouvoir. De même, ils
rejettent fortement la proposition voulant Les médiateurs de
presse sont des menaces à la liberté
d’expression.
Conclusion
En France, la médiation de presse est une pratique novatrice
qui a vu le jour en 1994 en
s’inspirant de l’expérience des ombudsman de la presse
anglo-saxonne, et en réaction à des
débordements qui ont mis en cause la crédibilité des médias.
Pour les journalistes français, jaloux
de leur autonomie professionnelle, une telle initiative
aurait pu être l’objet d’un rejet important si
elle avait été assimilée à une volonté de contrôle de leur
travail ou encore à un empiètement sur
leur liberté.
Même si nous avons observé l’existence d’une minorité de
réfractaires, la médiation de presse
jouit d’une légitimité interne difficilement contestable, du
moins au sein des trois médias de notre
enquête. Ce constat pourrait être de nature à favoriser la
création de nouveaux postes de
médiateurs, mais d’autres facteurs sont en cause. En effet,
outre le fait qu’une entreprise de
presse doit avoir la capacité financière pour assumer les
coûts de la fonction, il faut aussi
s’assurer que celle-ci sera crédible et efficace, et que
celui ou celle qui en aura la charge aura
l’autonomie la plus complète dans l’exécution son mandat.
Notre programme de recherche va
aborder ultérieurement ces aspects.
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