Liberté /
responsabilité
La base de toute régulation est que la liberté ne
va pas sans la responsabilité à l’égard du public. Cela vaut pour les activités
productives, commerciales et financières,
cela vaut aussi pour les activités
qui touchent directement l’homme dans son corps (exemple bioéthique) comme dans
son esprit (exemple éducation). Comme les individus et les groupes ne se distinguent
pas toujours par des comportements moraux à toute épreuve, il faut des
dispositifs pour veiller aux abus que l’on peut faire de la liberté et rappeler
sans cesse le devoir de responsabilité. Pour les médias des sociétés
démocratiques, le corollaire de la totale liberté d’informer est bien la
responsabilité envers le public, et doit donc s’accompagner de dispositifs de
régulation. Les deux conditions premières pour que le public accorde sa
confiance aux médias, sont la qualité du travail informatif des journalistes et
l’acceptation d’une forme de régulation.
Les juges,
les professionnels, le public
La question subsidiaire est : le respect des
« bonnes pratiques » doit-il être uniquement l’affaire des juges (se
référant aux lois) ou la profession doit-elle s’organiser pour définir
elle-même les règles déontologiques (code ou charte), les faire évoluer en son
sein, veiller à leur application ?
La question est d’autant plus d’actualité en France
– où n’existe aucun dispositif de ce genre contrairement à de nombreux pays
étrangers – que la possible inscription d’un texte de référence déontologique
dans la Convention collective nationale de travail des journalistes
entraînerait dans ce domaine l’ouverture d’un deuxième champ judiciaire. Ce
deuxième champ est celui du droit du travail (commission arbitrale, conseil des
prud’hommes, cour d’appel) s’ajoutant aux juridictions civiles et pénales
jugeant du droit de la presse, et à la Cour européenne des droits de l’homme
(Cour de Strasbourg).
C’est aux acteurs de l’information – les
professionnels émetteurs et le public récepteur – de juger du bon
fonctionnement de la liberté d’informer au regard de règles professionnelles
reconnues par tous.
La médiation, maillon nécessaire
La médiation (quel que soit le processus mis en
place) est le maillon nécessaire avant le dépôt d’une plainte et l’intervention
des juges. Elle permet une écoute réciproque et éventuellement un rapprochement
entre les deux parties. Le plus souvent elle peut éviter un procès. Au reste,
chacun sait que l’immense majorité des lecteurs, auditeurs, téléspectateurs,
internautes maltraités par une information les concernant, n’iront pas en
justice pour demander réparation ; les frais d’une procédure étant totalement
dissuasifs.
Par ailleurs, la simple obtention d’un droit de
réponse légal est trop souvent soumise au bon vouloir du média et quasiment
ignorée dans la presse audiovisuelle. Comment alors se faire entendre, voire
obtenir réparation ?…
La médiation témoigne ainsi d’une avancée démocratique
et d’une conception humaniste évoluée des rapports sociaux, opposées à une
relation méprisante ou conflictuelle entre les médias et les journalistes d’un
côté de la barrière, leurs publics de l’autre.
La médiation progresse en France et en Europe
La médiation a progressé en France depuis plusieurs
dizaines d’années : Médiateur de la République (avec ses délégués
régionaux), Médiateur de l’Education nationale, médiateurs en milieu scolaire,
médiateurs d’entreprise, médiateurs de justice, médiateurs familiaux,
médiateurs désignés lors d’un conflit social ou financier, médiateurs de
presse… sans compter les instances ordinales (avocats, médecins,
géomètres-experts, etc. ).
Les institutions européennes (il existe un
Médiateur européen) favorisent cette pratique sociale. Elles l’ont recommandé
dans le domaine des médias et l’OSCE fait de même en direction des anciens pays
communistes.
A noter qu’en matière d’information en France,
l’Union syndicale des journalistes CFDT a préconisé lors de son assemblée
générale du 14 mai 2009 « le
développement de la médiation » dans la presse.
Les médiateurs de presse ou la solution
inachevée
De grosses entreprises de presse ont créé, entre
1994 et 2009, une quinzaine de postes de médiateurs actuellement en fonction
(d’autres ont eu une vie éphémère). Ils se réunissent depuis 2006 dans un Club
de réflexion et d’échanges. Ils ont un rôle pédagogique, à l’interface entre le
public et la rédaction, et leur intervention permet dans la plupart des cas de
régler les litiges : le public demande avant tout de la considération, du
respect. Ils sont utiles et souvent efficaces, mais leur développement se
heurte à plusieurs obstacles.
La
grande majorité des médias n’ont pas la taille suffisante pour
« s’offrir » un poste de médiateur.
En
période de restrictions budgétaires dans l’entreprise (et c’est le cas
actuellement) ou lorsque changent les dirigeants de l’entreprise ou de la
rédaction, le poste de médiateur est souvent compromis ; il sert de
« variable d’ajustement » des effectifs, le poste est supprimé ou
l’activité du médiateur est bridée par la hiérarchie.
L’action
du médiateur de presse n’est vraiment efficace que s’il dispose d’une tribune
publique fréquente (hebdomadaire) dans son média (chronique, émission) en plus
du règlement des litiges et de la réponse, personnalisée ou non, aux courriers
critiques. Ce n’est pas toujours le cas.
En
outre, les médiateurs de presse en France sont tous des salariés de
l’entreprise (ayant en général exercé de fortes responsabilités) et à ce titre
ne sont pas véritablement indépendants, même s’ils s’efforcent tous à la
neutralité. Ils sont écartelés, bien souvent malgré eux, entre deux
positions : avocat du public ou « communicant » de l’entreprise…
Le « conseil de presse » indépendant et
la médiation
Une
instance nationale totalement indépendante chargée de veiller au respect de
l’éthique et de la déontologie dans les médias est la réponse à ces
insuffisances (dans le cas des médias possédant un médiateur, elle peut
notamment servir d’instance d’appel).
Une
centaine d’instances de régulation de ce type existent dans le monde (plus
d’une vingtaine en Europe), sous la dénomination internationalement usitée de
« conseil de presse ». La plupart exercent une action de médiation
avant de produire des avis sur les plaintes du public dont ils se saisissent.
Ils tentent de concilier les points de vue, et cela suffit souvent à régler les
litiges.
Leur
action n’a donc rien à voir avec une quelconque « police
déontologique », comme ont pu les présenter avec partialité et médisance
certains dirigeants de presse repliés sur leur pré carré, ou certains
journalistes peu enclins à admettre la critique. Un conseil de presse n’est pas
non plus un « tribunal de la presse » car, dans notre conception et
dans la plupart des pays étrangers, son rôle ne se limite pas à
« instruire », encore moins à « juger ». Un conseil de
presse ne délivre pas de sanctions et ne constitue pas une autorité ordinale.
Une
instance d’éthique et de médiation n’a rien à voir non plus avec un quelconque
« Ordre » des journalistes, car elle ne trouve sa légitimité entière
que dans la présence en son sein à la fois de représentants de la profession
(éditeurs et journalistes) et de représentants du public. La médiation est la
garantie que donne au public le couple éditeur/journaliste qui assume
pleinement sa responsabilité sociale et conforte ainsi sa crédibilité.La médiation… et le reste
Certes,
le traitement des plaintes est le premier travail d’une instance de régulation
déontologique. La médiation, qui en est le fondement, est bien au cœur de son
activité. Mais elle n’est pas la seule. Après l’enquête auprès des deux parties
et la médiation vient la publication de l’avis du conseil de presse, qui
intéresse à la fois le public et les professionnels.
Le
rôle d’une telle instance est d’être aussi un « observatoire des pratiques
déontologiques », un instrument de « veille », pouvant
s’autosaisir dans des cas touchant de nombreux médias (affaire d’Outreau,
conflits d’intérêt, rapports information/communication, par exemple). Espace de
débat et de réflexion, elle doit avoir, pour le public comme pour la
profession, un rôle pédagogique. Et être aussi le lieu où se discutent les
possibles modifications d’un texte de référence déontologique, en fonction des
changements dans les pratiques professionnelles comme des évolutions de la
société.