Depuis 130 ans, il y a eu de nombreux projets de création
d’instances plus ou moins
de l’associativisme (1879), puis de nouveau lors de
l’émergence du syndicalisme (1918).
Dans l’entre-deux guerres, alors que l’on cherchait la voie
d’un statut du journaliste, on
s’énerva beaucoup autour de l’idée d’un Ordre des
journalistes, pour la repousser, car elle
contenait un esprit répressif. À la Libération, plusieurs
projets de réforme globale du statut de
la presse comprenaient une instance d’examen moral. Dans les
années 1960, le mouvement
des sociétés de rédacteurs portait en lui un même projet
d’être moins un lieu de sanction
individuelle que de réflexion collective et de recherche de
réponses communes à des
problèmes récurrents de mise en oeuvre d’une morale
professionnelle. Autour de 1990,
l’organisation non gouvernementale et internationale
Reporters sans frontières se fit le lieu de
la critique des dérives professionnelles. Au cours des
années 2000, les annuels Entretiens de
l’information de l’université d’été d’Hourtin se proposaient
comme un lieu de réflexion
critique partagée et en public. Et depuis quatre ans, il
existe cette Association de préfiguration
d’un conseil de presse, qui réfléchit à pas de loup à la mise
en place d’une instance de débat
sur la déontologie professionnelle.
Ce décalage entre les intentions et les actes, on le trouve
aussi dans l’écart entre la force
symbolique élevée du texte de référence (la Charte des
journalistes, 1918) et son imprécision,
sa généralité qui ne le rend pas opérationnel, qui ne le
fait pas utile : on ne peut arbitrer
aucune situation concrète à partir de ses articles; et même
quand une situation problématique
semble pouvoir être résolue par une prescription, il se
trouve autant de voix pour autoriser sa
transgression que pour défendre le principe (voir récemment
l’affaire de la dénonciation à la
police de témoins d’un reportage sur la pédophilie en
France).
J’ai déjà abordé cette problématique du décalage entre le
discours et la pratique, en parlant de
« flou constitutif et productif » (Ruellan, 1993), pour
soutenir l’idée d’une continuité entre une
image de soi qui assoit l’idée de profession (fermeture du territoire,
rigueur des règles,
expertise exclusive), et la fluidité des procédures qui
permet une adaptation aux situations et
aux évolutions d’un univers toujours reconfiguré sans pour
autant qu’il change. Continuité
pour dire que ce décalage n’est pas hypocrisie, mais deux
faces du même enjeu : le contrôle
de l’espace par la liaison fine entre l’orthodoxe et
l’hétérodoxe, qui permet la stabilité dans le
changement.
Jean-Michel Utard nous a suggéré, il y a trois ans,
d’utiliser la perspective très euristique de la
« raréfaction » que Michel Foucault propose dans l’Ordre du
discours (1970) : « Comme
pendant à la prolifération des discours et à leur création
infinie, il propose d’envisager les
principes de leur “ raréfaction ”. L’ordre du discours se
construirait autant sur les principes
et contraintes qui en limitent l’apparition, que sur les
ressources qui en favorisent la
multiplication » (Utard, 2007). Sa préoccupation est
différente de la mienne, puisqu’il entend
observer les lieux dispersés de la production de
l’information sans pour autant s’occuper de
l’identité journalistique, alors que je cherche à comprendre
les principes qui permettent à la
fois la restriction et la multiplication du discours
identitaire : le contrôle de la prolifération,
l’ordre dans (ou par, peut-être) la prolifération.
La déontologie me semble un de ces principes qui raréfie le
discours, c’est-à-dire qui restreint
la diversité tout en profitant de la multiplicité. Elle
n’agit pas tant (ou pas seulement) comme
restriction des discours que comme mise à profit de leur
prolifération pour asseoir le contrôle
de l’espace. Les chartes déontologiques sont éclairantes en
ce sens, car elles comportent une
régularité de leur forme discursive : elles sont moins des
expressions de la faute
professionnelle que du réglage des relations des
journalistes avec d’autres discours en rapport
avec le journalisme. Les chartes ne disent pas ce qu’un
journaliste doit faire dans tous les cas
qu’il peut rencontrer, car pour cela elles devraient être
infiniment plus précises qu’elles ne le
sont, elles auraient alors la forme de lois et de
règlements. Elles expriment globalement
comment se comporter avec des entités qui prétendent définir
le journalisme non pas parce
qu’elles sont lui-même, mais parce qu’elles lui sont
intrinsèquement liées. En réglant les
relations avec ces entités, les chartes contrôlent la
prolifération des discours de celles-ci; elles
en admettent l’existence et la légitimité, elles les
incorporent même, pour mieux affirmer la
prééminence du journalisme qui se trouve ainsi identifié.
Prendre la déontologie comme un discours identitaire part
d’un postulat : il nous faut inverser
la proposition d’Émile Durkheim, pour qui l’organisation
sociale précède la morale
(Terrenoire, 1991, 13). Il considère que les groupes se
créent et s’organisent pour créer des
règles, des organes de contrôle et des sanctions, qui leur
sont propres. L’unité du groupe est
nécessaire pour que la morale soit établie et agissante, et
la vie sociale est d’autant plus
morale qu’elle est structurée. Ce postulat est
problématique, car il accepte sans l’interroger
une toute première raréfaction, celle qui dit qu’il ne peut
y avoir de morale sans organisation.
Il valide ainsi un discours fondateur des groupes qui
avancent que sans eux la morale n’existe
pas, qu’elle ne les précède pas, et que leur justification
est de l’organiser. Cette causalité est
visible dans les déclarations d’intention des organisations
qui, sous la IIIe République,
s’installent dans le paysage français. Ainsi, en mai 1879
est créée, « entre Propriétaires,
Directeurs et Rédacteurs en chef et Rédacteurs attitrés des
Journaux républicains de
province » une Association de la Presse Républicaine
départementale qui se donne pour objet
d’être « un lien professionnel (…) et d’augmenter ainsi
l’autorité, l’influence et la dignité de
la corporation »1. Quand le Syndicat des journalistes est
fondé à la fin de la Première Guerre
mondiale, il annonce : « Couvrant toutes les divisions, il y
a d’abord l’état de journaliste, une
profession aux formes multiples, dont il s’agit à la fois de
délimiter les contours et de
sauvegarder la dignité morale autant que les intérêts
matériels »2. Or, ce raisonnement
indigène ne peut être que faux : c’est au contraire parce
que des individus, qui ne sont pas
organisés et n’ont pas encore le sentiment de groupe, mais
partagent déjà des valeurs, des
visions, des modalités sociales, autrement dit une morale,
prennent l’initiative de se réunir sur
la base de ce qui les réunit, que le collectif va pouvoir se
faire. Ce sentiment d’un commun
entre individus ne sera d’ailleurs pas évident à tous, et se
constitueront non pas une
organisation, mais une myriade, pendant une quarantaine
d’années, jusqu’à ce que l’évidence
du groupe s’impose à tous et qu’une organisation unitaire se
réalise.
La morale conduit à l’organisation, ce raisonnement apparaît
pourtant dans un autre texte
fondateur, celui de l’Association des journalistes
républicains, en 1881 : « La seule
constitution d’une société de secours mutuel nous érige en
corporation et va nous permettre
d’intervenir comme un corps, non seulement dans les
nombreuses questions qui tiennent au
journalisme, mais aussi dans les questions qui touchent à la
République »3. Ici, le principe
moral de solidarité entre pairs a conduit, à travers un
système d’entraide, à la création d’une
nouvelle entité, le groupe. Mais la citation fait apparaître
un autre niveau de raréfaction :
l’organisation entend être le lieu qui va permettre
d’exister, non pas seulement entre soi, mais
vis-à-vis d’autrui; elle va construire un rapport du groupe
avec la société. La déontologie est
bien un discours identitaire du journalisme quand elle
contribue à définir, pour soi et pour
autrui (Dubar, 1991), ce que l’on est et ce que veut, un «
être un “ nous ” pour les autres »
(Baszanger, 1990, 281).
Traiter « du » journalisme ne peut pas dire grand chose,
évidemment. Il faut restreindre à une
unité discursive et, tout en demeurant large, considérer que
ce qui parle, c’est avant tout le
groupe d’acteurs qui progressivement se réunissent,
s’organisent, tiennent un discours
collectif et prétendent occuper le territoire symbolique et
pratique. Ce groupe est fait par une
histoire qui n’est pas seulement de lui-même, il existe dans
des espaces aux formes variées, il
est en relation avec des entités elles-mêmes changeantes :
il n’est pas simple de le saisir.
Méthodologiquement, nous avons procédé à plusieurs choix. Le
premier est la profondeur
historique, un regard qui embrasse plus d’un siècle au
risque de la difficulté à entrer dans une
perception fine des ajustements discursifs et des résonances
avec un contexte non seulement
professionnel, mais politique, économique, culturel, et
social, que nous avons pris en compte
autant que faire se peut. Le second est de concevoir les
organisations de journalistes comme
des foyers d’émergence des discours, dont la variété et le
changement de forme fait sens tout
en considérant nécessaire de ne pas s’arrêter en excès sur
ces transformations, pour ne retenir
que ce qui passe des unes aux autres. Le troisième choix,
c’est la centralité du discours
comme modalité de construction d’une identité
professionnelle, discours que l’on ne réduit
pas aux seules chartes déontologiques, mais que l’on étend à
l’ensemble des propos publics
des organisations générées par le groupe. Cette méthode
porte l’empreinte de celle de
Florence Le Cam dans son ouvrage sur l’histoire du groupe
professionnel au Québec (Le
Cam, 2009). Son propos est de considérer le discours sur le
journalisme comme un objet
sédimenté, qui certes fait apparaître des ruptures et des
organisations changeantes, mais qui
finalement laisse voir, par le travail a posteriori de
reconstruction des stratégies, sur la longue
durée, une cohérence qui fait permanence, et établit un «
projet professionnel ». Elle déduit de
la somme des discours, tissés d’actes et d’institutions,
observés dans la durée, une armature à
laquelle tous les acteurs, impliqués ou en relation, se
réfèrent comme sens commun et font
ainsi groupe. Somme de discours ne veut pas dire empilement
hétéroclite, mais arbitrage et
sédimentation, faisant apparaître un profil de sol, un
horizon de choix entre lesquels migrent
et s’enrichissent des conceptions, un socle commun à ceux
qui marchent dessus.
Cette triple attention (temps, espaces, discours) conduit à
travailler sur deux plans : en
synchronie et en diachronie. Synchronie : on ne peut
prétendre comprendre un discours si l’on
ne parvient pas à l’inscrire dans un contexte, dans une
époque, dans des contraintes
spécifiques. Prenons la charte déontologique que les
journalistes syndiqués publient (1918) à
leur fondation. Ce texte comprend deux articles surprenants
: « Un journaliste digne de ce
nom : (…) 7 - Ne se rend coupable d’aucun plagiat, cite les
confrères dont il reproduit, dans
sa forme ou dans son esprit, un texte quelconque; 8 - Ne
sollicite pas la place d’un confrère,
ni ne provoque son renvoi en offrant de tenir sa rubrique
pour une rémunération moins
élevée »4. Ces principes déontologiques prennent sens dans
un contexte dont un autre texte
témoigne : « Laissez-moi vous faire partager le bénéfice
mélancolique de trente années de vie
dans la presse, et, pour cela, vous dire que, même lorsqu’on
peut se flatter d’avoir les mains
propres et les poches vides, et de valoir par une certaine
indépendance, on ne saurait jurer
que l’on n’a pas servi, malgré soi, des intérêts que l’on
eut réprouvés si on les avait
découverts. Si je m’adresse à mes confrères, amis ou
adversaires, ils me donneront ce
témoignage : qu’ils ont tous connu de ces crises de
conscience où leur gagne-pain et ce que
j’appellerai leur “gagne-conscience” étaient opposés l’un à
l’autre. », racontait un
journaliste à ses confères durant l’entre-deux-guerres5. Ce
qui structurait l’argumentation
morale de non-concurrence sur les emplois qu’on lit dans la
charte, c’est une très forte
compétition pour le travail qui se fit sentir dès la fin du
conflit mondial et avait commencé
avant.
Contexte qui n’était pas du tout le même dans la France des
« Trente glorieuses », quand les
syndicats de journalistes adoptèrent un autre texte, de
portée européenne, en 1971. La clause de
concurrence disparaît, plein emploi oblige. Par contre, une
autre prescription apparaît :
« L’équipe rédactionnelle doit être obligatoirement informée
de toute décision importante de
nature à affecter la vie de l’entreprise. Elle doit être au
moins consultée, avant décision
définitive, sur toute mesure intéressant la composition de
la rédaction : embauche, licenciement,
mutation et promotion de journaliste. » Se jouait alors une
autre partition, qui laissait entendre de
fortes dissonances entre les éditeurs et les journalistes.
Ces derniers disaient alors que leur
intention, en défendant leur autonomie au sein des
entreprises, était supérieure. C’était la liberté
de la presse, thème très en vogue à l’époque, comme en
témoigne l’introduction que le
philosophe Paul Ricoeur faisait à l’ouvrage du journaliste
Jean Schwoebel, principal animateur
du mouvement des sociétés de rédacteurs : « Les journalistes
ne sont pas des salariés
ordinaires, ce sont des intellectuels qui coopèrent à l’acte
principal de l’entreprise, la
production d’information ; (…) cela leur donne un droit
moral et un droit commercial fondé sur
leur apport de compétence. Ce n’est donc pas au nom du droit
des salariés à participer à la
gestion des entreprises qu’ils revendiquent une part à la
propriété et à la gestion, mais au nom
d’un droit propre au monde de l’information » (Schwoebel,
1968, 11).
Si la question du pouvoir au sein des entreprises, de la
divergence d’intention entre les
employés et les employeurs, domina les années
d’après-guerre, elle était au contraire très
mineure lorsque les journalistes commencèrent leur
organisation au 19e siècle, et qu’ils
procédèrent en cherchant à rassembler les uns et les autres
sous la même bannière. Les
associations d’alors regroupaient généralement les éditeurs
et les journalistes, unis dans une
même quête, celle de la construction d’une identité
distincte, notamment de la littérature. En
1880, un journaliste s’adressait en ces termes à ses
confrères pour leur proposer de se
rassembler : « Si utile que soit la société des Gens de Lettres,
dont je m’honore de faire
partie, il faut convenir que son action ne se fait guère
sentir en dehors des productions de
romans et qu’il y a, de nos jours, davantage à tirer de la
Presse que ce que cette société en
tire. (…) Aucun malentendu ne doit être possible. Nous
sommes isolés et déclassés : il faut
que nous soyons une force, car nous pouvons être une force,
la plus colossale du pays »6.
Journalistes et éditeurs souhaitaient en commun construire
une légitimité sociale jusqu’ici
niée, faire reconnaître leur notabilité dans la nation
conquérante : « Nous sommes à une heure
solennelle de notre histoire, la République française voit
accourir vers elle, en colossale
fédération pacifiste, tous les peuples de l’univers avide de
contempler, dans notre synthèse
triomphale, les conquêtes amoncelées du siècle qui finit.
Paris est bien réellement à l’heure
actuelle la capitale de la civilisation (…). Votre comité a
pensé que la Presse républicaine
départementale avait le droit de revendiquer sa place dans
cet universel concours de toutes
les activités, de toutes les énergies, de toutes les bonnes
volontés »7 exprimait, en 1900, un
dirigeant de la première des associations.
L’approche diachronique s’impose alors, car elle permet de ne
pas analyser les discours à la
seule aune d’une époque. En les mettant en regard, en
comparant les thèmes discursifs, le
poids des arguments, toujours néanmoins reliés à un
contexte, elle fait émerger les
ajustements, les ruptures, et les continuités, ce qui survit
d’un cadre à l’autre, d’un moment
discursif à un autre et qui, en discours, finit par
constituer l’identité que le groupe a donné de
lui-même, a produit sous son contrôle, à travers ce rituel
moral. La perspective diachronique
fait alors apparaître une structure générale du discours
déontologique identitaire, et une
temporalité.
La structure : tous les textes produits par le groupe depuis
le premier en 1918 (et pour la
période précédente, on fait appel à des déclarations
d’intention comme équivalents
fonctionnels, nous en avons cité plus haut), sont construits
avec la même intention d’ordonner
les relations des journalistes avec leur environnement que
l’on peut réduire à quatre entités :
leurs pairs, leurs éditeurs, leurs sources et leurs
récepteurs. En soi, ce découpage n’est pas
surprenant, tous les métiers peuvent être observés à travers
cette catégorisation qui distingue
les relations aux confrères, aux employeurs, aux
fournisseurs, et aux mandants. Mais ce à quoi
nous parvenons, c’est au constat que les textes
déontologiques n’ont finalement pas
d’intention moralisatrice (ce qui explique qu’ils n’ont
aucun prolongement pratique), mais
organisationnelle. Ils ont pour objet de définir les termes
des relations, et partant de
restreindre l’autonomie de ces autres discours en les
incorporant. En disant ce qu’il faut faire
et ne pas faire, les textes sont un propos sur le
journalisme et sa place en relation avec
d’autres entités dont le discours est anticipé et ainsi
maîtrisé.
La temporalité. Nous avons observé que les textes, par delà
leurs similitudes relativement
nombreuses, font apparaître des thèmes discursifs
particuliers que l’on relie au contexte; nous
l’avons exprimé plus haut. Nous avons aussi constaté que les
foyers de discours ne sont pas
les mêmes d’une époque à l’autre, et même si les discours
passent d’un espace à l’autre, les
dispositifs sociaux ont du sens : on ne produit pas les
mêmes conceptions si on les développe
dans une association, un syndicat, une coopérative ou un
réseau. De l’observation de cette
double temporalité des thèmes et des organisations, nous en
avons tiré une hypothèse
générale, qui divise, sans doute grossièrement, en cinq
phases, correspondant à cinq relations,
dans cinq foyers. 1 - Les associations professionnelles
entre 1879 et 1918 : la relation au
public. 2 – Le syndicat de journalistes entre 1918 et 1940 :
la relation aux concurrents. 3 - Les
sociétés de rédacteurs entre 1943 et 1980 : la relation aux
employeurs. 4 - Le réseau
international de 1985 à 2000 : la relation aux sources. 5 -
Les espaces délibératifs, depuis
2000 : la relation aux publics. Certes ce découpage est à la
hache, et je ne prétendrai pas qu’il
y ait une étanchéité quelconque entre les phases et les
thèmes. Mais je souhaite souligner ici
que tendanciellement chaque période révèle une attention
particulière : un discours, dans un
cadre spécifique, se concentre sur un pan relationnel, qu’il
prétend organiser à travers des
arguments de nature déontologique depuis des espaces
distincts.
Nous voyons, par un examen détaillé de chacune de ces
périodes, que le cadre proposé par
Michel Foucault, qui permet de penser la raréfaction
discursive selon deux modalités
distinctes bien que proches, la restriction et
l’incorporation de la prolifération, s’adapte bien.
En effet, il est manifeste que certaines périodes ont été
propices à un discours plus cassant, de
l’ordre de l’interdit; l’entre-deux guerre et l’après-guerre
sont des moments de prohibition, les
discours rejettent fortement les voix singulières pour
affirmer un primat des journalistes
professionnels salariés sur le journalisme. La période
suivante, que nous appelons celle du
réglage des relations aux sources, commence sur la même
note, mais finit autrement : devant
l’évidence de la prolifération des discours sur le
journalisme dans le contexte du
développement des activités de communication, le groupe
professionnel incorpore ces
discours plus qu’il ne les exclue, il se fait plus rond,
plus conciliant. Comme il le sera durant
la période ultime, celle de la relation aux publics, et
comme il le fut durant la toute première
phase à la fin du XIXe siècle, celle de la construction de
sa légitimité publique. Devant la
profusion de pratiques (multiplicité des discours et
expansion des usages) du journalisme,
qu’il ne paraît pas possible de restreindre et encore moins
d’interdire, le propos professionnel
se contente de s’insérer dans le concert afin non pas de
monopoliser l’espace, mais de s’y
positionner, de contrôler sa place sans la refuser à
d’autres, dans l’attente d’une autre phase
plus favorable. À l’image de ces variations, le discours sur
la morale est plus cassant ou plus
rond, plus restrictif ou plus dans le contrôle de la
prolifération.
* * *
Références
BAZANGER, Isabelle. (1990). Émergence d’un groupe
professionnel de travail de
légitimation. Le cas des médecins de la douleur. Revue française
de sociologie, XXXI, 257-
282.
DUBAR, Claude. (1991). La socialisation. Construction des
identités sociales et
professionnelles. Paris, Armand Collin,.
Le CAM, Florence. (2009). Le journalisme imaginé. Histoire
d’un projet professionnel au
Québec. Montréal, Léméac.
RUELLAN, Denis. (1993 et 2007). Le Professionnalisme du
flou. Identité et savoir-faire des
journalistes français. Grenoble, Presses universitaires de
Grenoble.
SCHWOEBEK, Jean. (1968). La presse, le pouvoir et l’argent,
Seuil, 287 p.
TERRENOIRE, Jean-Paul. (1991). Sociologie de l’éthique
professionnelle. Contributions à la
réflexion théorique. Sociétés contemporaines, 7, septembre,
7-33.
UTARD, Jean-Michel. (2007) « Dispersion et réinvention
permanente du journalisme » avec
RINGOOT R. Cycle Regards croisées sur le journalisme, Réseau
d’études sur le journalisme.
Paris, 1er juin 2007.