La profession de journaliste est indispensable au bon fonctionnement d’une société démocratique, mais elle est souvent tourmentée, parfois arrogante,
toujours narcissique, et par nature fragile, et faillible. L’immense mérite des Assises internationales du journalisme et de l’information, lancées par Jérôme Bouvier, et réunies pour la troisième année consécutive, cette fois à Strasbourg, du 5 au 9 octobre, est de parvenir à relever ce défi : confronter les journalistes non seulement à leurs difficultés, mais aussi à leurs propres défauts.
Au fil des nombreux « ateliers », organisés au sein du Conseil de
l’Europe, il a été question de « diversité » (ou plutôt de manque de
diversité, sociale et culturelle, dans le recrutement des
journalistes) ; de mutation économique ; de nouveaux moyens de diffusion
de l’information ; et de déontologie. Le sujet évidemment favori des
médiateurs de presse !
Il est indéniable qu’en quelques années, la réflexion sur la
déontologie, au sein de la profession, a beaucoup progressé. Le
journaliste, hier fièrement intouchable, accepte aujourd’hui de se
remettre en question. Peu à peu convaincu que la défiance du public à
son égard se nourrit aussi de ses propres faiblesses. Trois idées font
leur chemin : 1) le respect de la déontologie est au cœur de la bataille
pour retrouver la confiance du public. 2) le lecteur, l’auditeur, le
téléspectateur, l’internaute, le public, ou plutôt les publics,
doivent être entendus, voire être partie prenante de la fabrication de
l’information, d’une manière ou d’une autre. 3) une formule de
médiation, dans les entreprises de presse, est un outil précieux, et une
instance de régulation, ou de médiation, au niveau national, devra un
jour exister, comme elle existe dans de nombreux pays, notamment
européens.
Un projet de charte de déontologie des journalistes est en train
d’être élaboré, par un groupe de « sages » formé à la suite des Etats
généraux de la presse écrite, tenus au printemps. Ce projet devrait être
soumis aux partenaires sociaux, pour négociation, avant la fin de
l’année. Aboutir ne sera pas facile : les représentants des salariés
aimeraient voir reconnus leurs droits, et pas seulement leurs devoirs.
Ceux des employeurs craignent des contraintes supplémentaires. Mais
tous, pour le moment, acceptent d'en discuter. Les pouvoirs publics y
sont favorables. Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture, s’est
adressé en ces termes aux Assises : « l’Etat a souhaité que la
profession s’organise pour rédiger elle-même un code déontologique. Je
m’emploierai résolument à ce qu’il puisse être reconnu et appliqué
rapidement par toute la profession ».
Dialoguer avec les publics, « se remettre en question avec les
publics » comme l’a noté Jérôme Bouvier, est une autre nécessité du
moment. Les journalistes qui travaillent sur Internet le pratiquent tous
les jours, au point, pour certains, de bâtir leurs articles en
confrontation avec l’internaute. Ceux qui écrivent dans la presse locale
et régionale connaissent aussi cette proximité exigeante des lecteurs.
Quant aux médiateurs de presse, ils se font, régulièrement, et c'est
leur fonction, les interprètes du public, des publics auprès des
rédactions et des directions. Mais, paradoxe de la période, alors même
que les publics s’imposent dans la réflexion de la profession, les
médiateurs de presse peinent à exister, je dirais presque à survivre. Le
Club des médiateurs, http://www.mediateurs-de-presse.fr ,
présidé par Marie-Laure Augry, médiatrice des rédactions de France 3,
souhaiterait que le médiateur de presse ait un statut. Il a élaboré un
projet, qui a été présenté à Strasbourg :
Projet de statut du médiateur de presse :
Il n'existe pas de statut du médiateur de presse en France. Sans considérer que la médiation est une panacée, ni concevoir une définition trop lourde, quelques garanties pourraient être apportées dans la définition du rôle des journalistes médiateurs, là où les médias décident de s'en doter, et dans l'exercice de leur fonction. Ce statut pourrait figurer dans la charte éditoriale de l’entreprise, dans la convention collective, dans le contrat de travail…
Le journaliste médiateur crée et entretient le dialogue entre le média et son public. Il est à l’écoute des remarques, des interrogations, des critiques sur le traitement de l’information. Il recueille les réponses de la rédaction et de la hiérarchie et livre ses conclusions, en veillant au respect des règles déontologiques, en référence aux chartes ou codes lorsqu’ils existent. Son rôle est aussi d’expliquer à son public les mécanismes de fabrication de l’information, avec ses exigences et ses contraintes.
Dans les médias qui ont choisi de se doter d'un médiateur, celui-ci est clairement identifié comme indépendant de toute autorité hiérarchique. Pendant la durée de son mandat, délimité dans le temps, éventuellement renouvelable, le médiateur est inamovible. Il doit disposer d'un espace d'expression visible et régulier sur son média principal (chronique, blog, site ou émission), et totalement placé sous sa seule responsabilité. La fonction de médiateur est exclusive de toute responsabilité dans la hiérarchie rédactionnelle
En résumé, le statut du médiateur de presse doit préciser :
- la durée de son mandat, éventuellement les conditions de sa reconduction
- son inamovibilité pendant cette période
- l'indépendance rigoureuse de la fonction vis-à-vis de toute hiérarchie
- l'attribution d'un espace autonome d'expression dans son média principal
- l'incompatibilité de cette fonction avec d'autres responsabilités rédactionnelles
- les conditions de réintégration dans la rédaction à l'issue de sa mission, au moins équivalentes à son ancienne fonction.
Enfin faudra-t-il, un jour, que la profession accepte la création
d’une instance de médiation, qui rappellerait quelques principes, et
répondrait aux doléances des publics, ou des journalistes. Une instance
qui n’aurait pas de pouvoir juridique, ni de sanction, mais qui
pourrait, publiquement, donner des avis, ou rappeler les uns et les
autres au respect des règles déontologiques. L’APCP, l’Association de
préfiguration d’un conseil de presse, présidée par Yves Agnès, milite
pour la création de cette instance. Elle s’en est expliquée à
Strasbourg.
Au moment où la révolution technologique s’accélère, où la crise
économique bouscule la presse, où la défiance perdure entre journalistes
et publics, il est urgent de revenir aux règles de base qui font que le
journalisme est un métier crédible, tout en tissant des liens nouveaux,
et solides, avec les lecteurs, les auditeurs, les téléspectateurs, les
internautes, tous, par delà leurs intérêts et leurs exigences.