« Le journalisme, quand on sait trop bien ce qu’il est, on a du mal, semble-t-il, à penser avec un peu de souffle, de recul, ce qu’il pourrait être - les idéaux qu’il est censé servir les chemins pour le sortir de ses crises »
(Muhlmann, 2004a : 9-10)
1La
conception de la responsabilité collective développée dans cet article
s’appuie sur les représentations et les pratiques à partir desquelles un
individu ou un groupe prennent en compte les problèmes de la
communauté. Accepter de donner à cette responsabilité un contenu éthique
fondamental, d’inspiration kantienne, implique la nécessité de faire
dialoguer des points de vue différents, voire conflictuels, afin d’aider
à la résolution des problèmes dans un sens utile à la société.
Autrement dit, le sentiment de la responsabilité porte certes à se
préoccuper de ses intérêts (personnels, catégoriels, de classe, etc.),
mais aussi à se décentrer à prendre en compte les intérêts des autres,
afin de faire émerger des compromis honorables et acceptables pour
l’ensemble du corps social. Car le corps politique gagne à renouveler à
intervalles réguliers sa volonté et son désir - ce n’est pas tout à fait
la même chose -de vivre ensemble et de faire société. La recherche d’un
point d’accord passe par une mise en débat argumentée qui gagne à exister sur la place publique ; elle ne se limite donc pas à l’affrontement polémique des
parties en présence et favorise l’entrée en scène de médiateurs
dégageant des compromis positifs. Une telle conception de la
responsabilité collective interroge la fonction des médiateurs éminents
des sociétés modernes que sont les responsables politiques et les
journalistes, ce que nous ferons ici en analysant la manière dont
journalistes et politiques débattent de leur vision de l’avenir du pays,
durant la campagne présidentielle de 2007.
- 1 Voir par exemple Neveu (2001), Charon (2007).
2En
réponse à l’appel de Géraldine Muhlmann que nous citons en exergue,
nous appréhenderons la question en pensant à ce que le journalisme et
l’engagement politique pourraient être, aux idéaux qu’ils sont censés servir. Cette
approche critique met en relief un déficit global des pratiques, par
rapport aux exigences de la responsabilité collective. C’est pourquoi on
considérera comme des variables secondaires la diversité des
journalismes - selon la nature des médias, les titres, les genres, les
professionnels1
- dans la mesure où les déficits interrogent les fondamentaux du métier
Toutes choses égales, il en va de même avec les responsables
politiques. Comme le but n’est pas de dresser une profession contre une
autre, ni d’opposer un peuple sain à ses élites malades, comme d’autre
part la responsabilité collective n’est la propriété de personne,
d’aucun groupe, on espère que le lecteur comprendra que cette réflexion
critique linguistique, qui relève de l’analyse de discours, mais qui est
ouverte à l’analyse sociologique et aux travaux en sciences de la
communication, n’entend pas s’épuiser dans un normativisme stérile ni
verser dans un moralisme naïf.
3Il
s’ensuit qu’après une première partie consacrée aux cadres théoriques
de référence, notre investigation portera autant sur ce qui est dit que
sur ce qui ne l’est pas, à partir d’un dispositif théorique qui,
s’appuyant sur la transcription d’un débat télévisé dans des journaux de
la pqn et de la pqr,
montrera que les déficits de responsabilité perdurent, tout en se
transformant. Un tel angle d’attaque déroutera éventuellement le
familier de notre approche traditionnelle, décrivant les processus au
plus près des discours. L’analyse linguistique des discours, bien
qu’elle soit mise en œuvre lors de l’étude du corpus, à propos de la
notion de responsabilité de (ses discours), dans la deuxième
partie, ne peut toutefois occuper seule tout le champ d’une telle
réflexion. C’est pourquoi la troisième partie ouvre sur des analyses
croisées avec des données sociologiques et débouche sur les notions de responsabilité pour (c’est la fonction de porte-parole d’un groupe) et de responsabilité devant (c’est
la fonction de témoin, devant la communauté toute entière), notions
qui, à l’aune des exigences de la responsabilité collective, impliquent
d’autres pratiques -et donc d’autres discours et d’autres comportements.
La difficile émergence d’une conception positive de la responsabilité collective
4Outre
la complexité intrinsèque de la notion de la responsabilité collective,
des freins sociaux compliquent l’émergence d’une conception positive
telle que nous l’avons esquissée dans l’introduction (Rabatel, Koren,
ici même).
Limites de l’éthique de la responsabilité collective chez les responsables politiques au prisme de l’émergence du bien commun
- 2 Nous articulons l’éthique avec la dimension collective du fait politique, afin de ne pas tomber da (...)
- 3 La distinction entre éthique de conviction et de responsabilité souligne qu’il n’y a pas de recouv (...)
5Chez
les politiques, l’éthique de la responsabilité collective se heurte
d’abord à l’entrecroisement des niveaux de responsabilité :
responsabilité décisionnelle, responsabilité collective devant ses
mandants, responsabilité politique d’une institution, responsabilités
administrative, juridique, personnelle peuvent concourir à la dilution
de la notion, surtout lorsque la décision intervient dans des structures
complexes. Elle se heurte ensuite aux conceptions dominantes de la
politique comme expression des intérêts d’une fraction du corps social.
L’approche éthique2
de la responsabilité collective, sans nier le caractère fondamental des
intérêts et des conflits, propose un mode de régulation articulant
éthique de conviction et éthique de responsabilité3,
pour penser les interdépendances et faire émerger de nouvelles
solidarités (Ricœur 1986 : 442-444). On n’est plus dans le fantasme
d’une classe porteuse à elle seule de l’universel, mais dans l’idée que
chaque fraction sociale doit se trouver associée, aussi justement que
possible, à la vie commune, à la marche des institutions et de la
production comme aux fruits de la croissance. Cet objectif se heurte à
la pression des électeurs et des militants qui attendent que le(ur)
gouvernement agisse dans le sens de leurs intérêts, selon une logique
d’affrontement des camps ; d’où l’inanité de la diabolisation des corps
politiques et de l’idéalisation du peuple.
Limites de la déontologie journalistique, au prisme de la responsabilité collective de construction non de la vérité, mais de moyens de penser et d’agir
- 4 La déontologie est plus restreinte que l’éthique : « Alors que l’éthique intervient comme puissanc (...)
6Du côté des professionnels des médias, les difficultés sont légion : influence de la logique économique vs indépendance rédactionnelle, influence de la communication vs information, séduction de la technique et de la vitesse vs délais
d’investigation, de vérification et d’analyse (Rieffel, 2005 : 135-1
38). C’est pour mieux répondre à ces défis qu’ont été érigés un certain
nombre de codes de déontologie4, avec la protection, la vérification des sources, etc. (Pigeat, 1997 : 116 et sq.), les débats sur la question de savoir s’il faut « tout dire, tout montrer » (ibid. :
133). Ces questions, certes importantes, reposent sur l’impensé que
toute vérité a une source, qu’elle est déjà là. Les règles
professionnelles renvoient à une adéquation fantasmatique à un réel
qu’il suffirait d’évoquer honnêtement (fairness), abdiquant
ainsi une bonne part de l’ambition intellectuelle de construire sinon
« la » vérité du moins des parcelles de vérité(s). Ces limitations
viennent de loin, comme le rappelle la prégnance de l’opposition entre
informer et former (Pigeat, 1997 : 52) ou entre opinion et information,
cruciale dans les pays anglo-saxons et érigée en norme dans les codes
déontologiques. Tout cela doit être interrogé sans abdiquer les
exigences de l’implication du journaliste dans la construction de
vérités, qui va au-delà de la simple fonction d’information soumise à la
règle des points de vue opposés, à ces trop faciles « rituels
d’objectivité » que sont la règle des both side view, ou le culte de la vue - « la vérité se voit » - (Muhlmann, 2004b : 14-17 ; Rabatel, 2006).
- 5 L’absence de débat est d’autant plus significative que l’on compte quelques travaux sur la questio (...)
- 6 C’est pourquoi le lecteur appréciera à sa juste valeur la contribution de J.-Fr. Tétu, ici même. (...)
7Aussi
le fil rouge de notre investigation est-il le suivant : à supposer que
le journaliste ait accompli un geste professionnel impeccable, du point
de vue déontologique (Legavre, 2007), subsiste-t-il dans son travail un
reste qui puisse être interrogé, à la lumière d’un questionnement
éthique ? La notion de responsabilité (ou de l’utilité) sociale et
collective des journalistes n’a pas donné lieu à des débats de premier
plan, à la différence de la déontologie5. Il est d’ailleurs significatif que la notion de public journalism soit souvent évoquée positivement, sans un effort de conceptualisation critique6 :
« La responsabilité sociale consiste à donner du sens aux événements et
à s’interroger sur la manière dont le journaliste peut aider les
citoyens à mieux comprendre les problèmes contemporains, à s’orienter
dans le dédale de l’actualité. L’utilité sociale renvoie à l’idée que le
journaliste peut servir directement des intérêts concrets de citoyens,
produire des changements tangibles au sein de la société (ce que les
Américains appellent le « public jounalism ») et donc être un
acteur de la société. En définitive, il s’agit de savoir comment
renouveler les relations des journalistes avec le public et de mieux
définir leur rôle dans nos démocraties » (Rieffel, 2005 : 138).
8Car
il s’agit moins de trouver une vérité unique, sacralisée par des
experts, que de trouver les médiations pour que les acteurs et actants
de la scène sociale, comme les lecteurs et les citoyens, participent à
la construction d’objets de pensée communs pour aider à la prise de
décisions utiles au corps politique. De quoi s’agit-il plus
précisément ? L'objectif pour les médiateurs que sont les journalistes,
est de dépasser la relation des faits, le récit des évidences partagées,
de les resituer dans une réalité sociale, politique, économique,
culturelle, etc., en insistant sur la construction nécessairement
complexe et parfois conflictuelle des diagnostics, ce qui implique une
prise en compte sérieuse de l’avis des divers acteurs sociétaux. Ce sont
là des préalables à la pesée critique des arguments des uns et des
autres, pour éclairer les citoyens sur la nature des enjeux. En
définitive, il ne s’agit pas de penser à la place du peuple, mais de
l’aider à et dans l’exercice concret et éclairé de la
responsabilité politique pour qu’il prenne des décisions en connaissance
de cause, comme on le verra plus en détail dans la troisième partie de
cette enquête. Disant cela, nous ne prétendons donc pas à la vérité,
ni que les journalistes ou les hommes politiques seraient sourds à ces
problématiques ; nous pointons des dysfonctionnements, dans un esprit
constructif.
Analyse du corpus
9Notre
corpus porte sur le deuxième débat télévisé entre postulants
socialistes à la candidature à l’élection présidentielle (24/10/06).
Aborder la question générale de la responsabilité collective à travers
une étude de cas mérite explication. Certes, l’analyse scientifique du
fait médiatique doit croiser les entrées, encourager les études
comparatistes, longitudinales, de façon à échapper aux tyrannies du sens
commun ou aux a priori Idéologiques ou théoriques (Rieffel,
2005 : 213). Est-ce à dire qu’il n’y aurait plus de place pour les
études de cas ? Assurément pas, car les études globales sont parfois
trop générales. L’étude de cas - à la condition que la situation soit
exemplaire - permet de suivre en détail les linéaments et les logiques,
de mieux cerner des problèmes, sur un plan qualitatif. Tel est du moins
notre pari.
- 7 Il serait erroné de conclure que la restitution des questions et des noms propres des journalistes (...)
10C’est
l’ensemble du processus de construction de l’événement, tel qu’il a été
conduit/construit par les interviewers des chaînes parlementaires puis
restitué/reconstruit et commenté dans des quotidiens représentatifs de
la pqn et de la pqr,
qui sera analysé à l’aune de la responsabilité collective, notamment à
travers l’analyse de la formulation des questions, qui privilégie
l’approche d’un des débatteurs (Ségolène Royal), puis de leur effacement
dans le commentaire, comme si Laurent Fabius et Dominique Strauss-Kahn
avaient d’eux-mêmes reconnu le rôle dominant de la candidate. Par
conséquent la logique de la constitution du corpus avec la restitution
du débat télévisé dans la Presse quotidienne nationale (pqn) et dans la Presse quotidienne régionale (pqr) ne limite pas le rôle de la presse écrite à une commode transcription du débat. Le corpus vise à mettre en avant des responsabilités partagées dans
la construction de l’événement : celle-ci est un processus global, dans
lequel entre de plein droit l’analyse des dispositifs (Amey, 2007).
Compte tenu de notre problématique, nous restreignons notre analyse au
matériel verbal, et, plus encore, aux questions des journalistes, qui
contraignent les échanges. Nous mettrons ainsi en lumière la permanence
d’un déficit de la notion de la responsabilité collective, quel que soit
le support médiatique - confirmant ainsi notre décision de considérer
comme secondaires les variables journalistiques eu égard aux exigences
de la responsabilité collective. En effet, la presse écrite, réputée
plus propice à la distanciation critique, durcit des logiques qui
étaient déjà à l’œuvre dans le débat télévisé, à travers l’anonymisation des journalistes puis à travers l’effacement de leurs questions, en sorte que la presse écrite traite du débat comme un préconstruit qu’elle entérine sans l’interroger7.
- 8 Le débat entre candidats à la candidature d’un même parti est relativement inédit, du moins sous s (...)
11Comme
notre objectif est d’interroger des pratiques linguistiques et leurs
déficits par rapport à la notion de responsabilité collective, nous ne
chercherons pas à contextualiser longuement, sur un plan politique, la
campagne des élections présidentielles, et notamment la phase de
précampagne qui a opposé, à l’intérieur du parti socialiste, Ségolène
Royal à Laurent Fabius et à Dominique Strauss-Kahn. Ces données sont
certes Importantes pour les politistes (comme dans l’absolu,
d’ailleurs), mais elles sont relativement secondaires par rapport à
notre objet de recherche. Cela dit, il est important de retenir pour
notre propos que l’organisation d’un débat entre candidats à la
candidature d’un même parti est inédite et a présenté aux journalistes
comme aux débatteurs, sans doute, une difficulté importante. Étant donné
que ce débat (le deuxième d’une série de trois) avait pour fonction
d’aider les socialistes à choisir par leur vote leur candidat à
l’élection présidentielle, il a privilégié les différences de personnes
et de propositions. Or cette logique d’objectivation des différences
opère au détriment de l’analyse critique des problèmes et des solutions,
et des éventuelles convergences qu’on serait en droit d’attendre chez
des candidats qui appartiennent à la même famille politique,
indépendamment de leurs différences de positionnement et de programmes8.
Il y a là, du point de vue de la problématique de la responsabilité
collective, sinon une contradiction, du moins une double contrainte dont
on ne peut pas ne pas tenir compte, mais qui n’empêche malgré tout pas
qu’on s’interroge sur la façon dont la notion de responsabilité
collective est traitée.
12Dans
un précédent travail (Rabatel, 2006), nous avions conclu que les
journalistes n’échappaient pas à une interrogation sur leur
responsabilité, d’un point de vue linguistique, à cinq niveaux d’analyse
différents : responsabilité du choix des mots ; responsabilité de la
sélection et de la combinaison des informations ; responsabilité de la
gestion de la polyphonie ; responsabilité des grilles ou des cadres
notionnels à partir desquels la réalité est appréhendée ; responsabilité
de la mise en texte ou en discours, par exemple des choix de
dramatisation et d’exacerbation des positions (Rabatel, 2006 : 81 -83).
Le rôle des questions puis des commentaires des journalistes sera
appréhendé en fonction de leur contribution à la construction
linguistique des événements et en fonction de leur influence sur la
prise en compte large ou au contraire étriquée de la responsabilité
collective.
Des questions partielles qui relèvent d’une conception étriquée de la responsabilité collective
13Considérées
à l’aune de la responsabilité collective, les questions sont
réductrices à plus d’un titre. Elles portent sur des mesures partielles,
essentiellement émanant de propositions de Ségolène Royal et ne se
contentent pas d’orienter le débat sur ses propositions, elles renvoient
à une conception de la politique réduite à des mesures, des coups
ponctuels et emblématiques, et moins à des actions complexes étalées
dans le temps. Ce phénomène est remarquable lorsque les questions
ouvrent une séquence thématique, comme dans les questions 2, 3, 7 :
(2) Interventions des interviewers reproduites par Le Monde du 26-10-06 [l’allocutaire entre crochets] :
Question 1 : (du script
pages 18-19) « Les Français n’ont plus confiance dans les politiques.
Comment retissez-vous le lien avec eux. Est-ce par des jurys de
citoyens ? » [à Laurent Fabius]
Question 2 : « On sait
qu’en moyenne, aujourd’hui. une famille sur trois contourne la carte
scolaire. Voulez-vous. oui ou non, la supprimer ? » [à Ségolène Royal]
Question 3 : « C’est la privatisation des universités ? » [à Dominique Strauss-Kahn]
Question 4 : « Ça ne va pas faire exploser la dette ? » [à Dominique Strauss-Kahn]
Question 5 : « Est-ce qu’il faut une grande loi sur la famille pour qu’on y voie plus clair en 2007 ? » [à Laurent Fabius]
Question 6 :
« C’est-à-dire aller jusqu’à la légalisation du mariage homosexuel ? Et
l’adoption d’enfants également ? » [à Laurent Fabius]
Question 7 :
« L’immigration. On estime aujourd’hui qu’il y a environ 300 000
clandestins en France. Ségolène Royal, si vous êtes élue présidente de
la République, est-ce que vous les
régulariserez tous ? » [à Ségolène Royal]
Question 8 : « Est-ce que vous avez un plan d’urgence pour les banlieues ? » [à Ségolène
Royal]
Question 9 : « Vous aviez proposé deux personnes dans une classe ? » [à Ségolène Royal]
Question 10 . « Vous
maintenez votre proposition sur l’encadrement militaire des jeunes
délinquants de plus de 16 ans pour leur premier délit ? » [à Ségolène
Royal] Question 11 . « Si vous êtes élu président de la République, à
quoi ressemblerait votre présidence ? » [à Dominique Strauss-Kahn]
Question 12 : « Vous
aviez dit. à propos d’un problème particulier « Mon opinion est celle du
peuple français. » D’une manière générale. cela peut-il être votre
conception de la présidence de la République » [à Ségolène Royal]
14Ces questions, plus ou moins reprises par tous les quotidiens, structurent le débat, comme le confirment les sous-titres du Monde :
« Jurys de citoyens ; Carte scolaire ; Mariage homosexuel ;
Régularisation des clandestins ; Banlieues ; Institutions ». La
structure comme le rythme du débat compliquent l’approche de la
complexité, tout comme les injonctions de faire « vivant ».
15Par
leurs questions, les journalistes entérinent le rôle majeur des
propositions de Ségolène Royal : ainsi en est-il des questions 2, 9, 10,
1 2, qui invitent cette dernière à s’expliquer sur ses propositions, en
les confirmant ou en les rectifiant. Il n’en va pas de même pour les
autres candidats, dont les questions partent de problèmes généraux.
Plus, certaines questions à Laurent Fabius (question 1) et Dominique
Strauss-Kahn (question 3) intègrent des positions de Ségolène Royal
(question 1) ou des critiques de la candidate (question 3), conférant à
ses positions un rôle de préconstruit interdiscursif qui est censé
traduire son rôle central dans le débat politique. Là encore, la
réciproque n’est pas observée. Dans deux cas, un diagnostic de crise est
mis en parallèle avec des positions de Madame Royal (crise de confiance
politique/jurys citoyens, non respect de la carte scolaire/ suppression
de la carte scolaire), ce qui confère à ces dernières une aura de prise
de risque en phase avec les attentes des Français.
16Sur le plan conceptuel, la formulation des questions 1, 2, 10 privilégie une approche pointilliste, par l’idéologie « de la mesure concrète »
qui influe sur les réponses des candidats. Ségolène Royal critiquera
d’ailleurs cette façon de faire, dans un entretien du 25-10 à 20 minutes, après le 2e débat télévisé, mais publié le 9 novembre (soit après le 3e) :
« "Sur des enjeux majeurs, il ne fallait pas rentrer dans le débat par
une question secondaire même si elle est légitime". Elle dénonce un
débat qui l’a mise en porte-à-faux : "Aborder l’état de la France par le
biais des jurys citoyens avec une déformation de mes propos, aborder la
question scolaire par la carte scolaire avec une autre déformation
puisque je n’ai jamais proposé sa suppression comme cela a été dit, ce
n’est pas bon pour le débat" » (http://www.20 minutes.fr/print/2006/11/09/article 1 I9609.html).
17La
sincérité de ces réserves ne convainc pas car leur auteur, juste après
le deuxième débat télévisé, s’était félicitée que ses propositions aient
été au centre des débats et avait ironisé contre son prétendu manque
d’idées ; la candidate, plus que ses concurrents, avait la stratégie
d’occuper le terrain par des déclarations fracassantes pour mieux se
retrouver au centre de la bulle politico-médiatique. De fait, la
formulation des questions réduit la marge de manœuvre des autres
débatteurs, qui peuvent être fondés à penser que l’éducation ne se
réduit pas à la carte scolaire, pas plus que la distance entre les
citoyens et le pouvoir aux jurys citoyens. Ils sont ainsi contraints de
se situer par rapport à ces mesures et peuvent difficilement les évacuer
rapidement, sauf à donner d’eux-mêmes l’image négative d’un politicien
professionnel cassant ou verbeux, à l’aise dans les discours généraux.
18Le
cadre des questions réside dans les positions des débatteurs, et, comme
on vient de le voir essentiellement dans celles de Ségolène Royal. Le
débat ne fait guère place, explicitement, aux positions autres, émanant
du corps social (syndicats, ong,
experts, etc.), renforçant ainsi la coupure entre des politiques qu’on
fait s’affronter entre eux au lieu de les faire dialoguer avec des
représentants autorisés du corps social. Quelles que soient les limites
de la représentativité des corps intermédiaires, celle-ci vaut mieux que
les opinions d’un individu sélectionné par les journalistes ou des
officines qui vendent des plateaux clé en mains aux journalistes, en
fonction de motifs pas toujours avouables (à l’instar du plateau
organisé pour TFI par Dominique Ambiel, l’ancien directeur de cabinet du
Premier ministre Raffarin, pour l’émission de Nicolas Sarkozy « Face à
l’opinion publique »).
19Bref,
il y a là une approche réductrice, pointilliste, spectaculaire,
superficielle et partiellement déséquilibrée de questions relevant de la
responsabilité collective, qui est encore accentuée par :
• les contraintes contradictoires auxquelles les journalistes (et l’opinion) exposent le responsable politique, dans les débats médiatiques, pour faire de l’audience. Il est sommé de donner des réponses globales à des problèmes complexes : ainsi de la question 8 qui présuppose que les banlieues nécessitent un « plan », qui plus est « d’urgence », ce qui sous-entend qu’il faut « une ou deux mesures », qui sont des « signes forts » à envoyer dans « les 100 premiers jours »..
- 11 Les conditions particulières de ce débat inédit entre trois membres du même parti semblent non rep (...)
• les interruptions fréquentes des discoureurs sous prétexte que les discours généraux seraient vagues, et doivent en conséquence être soumis à l’injonction du concret. Si d’aventure le responsable politique veut déployer un ensemble de mesures, il lui faut être très vigilant pour garder le fil du discours, très souvent perturbé par les questions sur la première mesure (financement, faisabilité, etc.), qui font perdre de vue l’approche globale. Ainsi, la question 4 sur la dette relève davantage d’une analyse primaire et pour tout dire pavlovienne (« combien ça coûte ? »), qui intervient au début de la réponse et enraye de déploiement d’une pensée globale qui tienne compte de la complexité - car des dépenses peuvent être compensées par des gains ailleurs, selon une approche systémique de la question des finances ; • la structure du trilogue, qui oblige à ne pas laisser trop longuement la parole à un seul débatteur et qui, comme Catherine Kerbrat-Orecchioni (1999) l’a montré, favorise des coalitions de deux locuteurs contre le troisième, situation qui ne peut, dès lors, qu’avantager le locuteur qui avait choisi un mode d’intervention provocateur a fortiori si les journalistes amplifient le mouvement. Ce phénomène se produit y compris dans cette scène d’énonciation très originale, parce qu’elle renvoie à un débat entre camarades11, et non entre adversaires, soumettant le débat à un ensemble complexe de doubles contraintes : il faut faire émerger des différences politiques sans se couper de sa famille politique, manifester par son ethos ses aptitudes à incarner, d’une part, le projet socialiste et à endosser la fonction présidentielle, être rassembleur et, d’autre part, à faire preuve de la combativité propre à prendre le dessus sur un adversaire de droite réputé pugnace.
L’effacement des questions des journalistes dans les comptes rendus
20Il
est lourd de signification de voir que le rôle si prégnant des
questions est totalement omis dans les commentaires des journalistes. La
une du Monde (26/10/06) titre « PS : le débat s’organise
autour des propositions de Ségolène Royal », au-dessus d’un dessin de
Plantu surenchérissant sur son omniprésence. Pages 18 et 19, la
sélection des principales déclarations des candidats à l’investiture ne
comprend que quelques unes des questions des journalistes. Or, ce sont
les journalistes qui mettent au centre des débats les propositions de
Ségolène Royal. Il n’y a pas à s’étonner dès lors, que le débat tourne
autour de propositions qui deviennent le prétexte des questions
auxquelles ses challengers ne peuvent refuser de répondre, sauf à perdre
la face.
21L’effacement du rôle des journalistes est plus net dans Libération (ou dans Le Figaro) qui
remplace les questions des journalistes par un montage de citations et
des sous-titres (« Les jurys citoyens, l’éducation, la famille,
l’immigration, banlieues et sécurité »). Le commentaire sur le débat met
l’accent sur la spectacularisation, titrant sur le conflit entre
« frères ennemis », en précisant dans le sous-titre : « Pour leur
deuxième débat télévisé, les trois concurrents du ps se
sont divisés sur les jurys citoyens, l’éducation et l’immigration ».
L'éditorial insiste sur le fait que Dominique Strauss-Kahn et Laurent
Fabius n’ont fait que se positionner par rapport à la pensée de leur
concurrente : « Depuis que la compétition s’est engagée, tout revient à
Royal, tout s’organise autour de sa parole, tous les débats et
invectives tournent autour de ses propositions. Invités à venir les
commenter Fabius et dsk se
sont transformés en censeurs impitoyables. En vieux routiers, l’un
comme l’autre ont sauté sur ses hésitations lexicales et ses confusions
théoriques pour la mettre sur la défensive. Intense, parfois violente,
la charge conjointe des deux éléphants a eu l’intérêt de pousser la
gazelle à affiner corriger et amender ses dernières trouvailles. [...]
De vifs contempteurs, dsk et
Fabius se sont transformés ainsi en involontaires traducteurs d’un
« ségolisme » parfois caricaturé par le verbe de son auteure elle-même »
(Libération, 25/10/06).
22L’effacement des sources journalistiques est accru dans la pqr. Le Dauphiné Libéré (25/10/06)
titre sur « Un second débat musclé », sans rapporter les questions et
consacre l’essentiel du compte rendu à l’« affrontement central sur les
« jurys citoyens » » : « D’emblée, tous trois ont affiché leurs
divergences à propos d’une idée, lancée par Ségolène Royal, qui a fait
couler beaucoup d’encre : des « jurys citoyens » susceptibles de passer
au crible le travail des élus ».
23La formulation initiale du paragraphe passe sous silence le rôle des journalistes dans le questionnement. Le Progrès du
même jour procède de la même façon, même s’il consacre plus de place à
l’événement, en titrant « Royal, Strauss-Kahn et Fabius affichent leurs
divergences ». Un jour plus tard, Le Dauphiné Libéré revient
sur le débat à travers un article d’Hélène Pilichowski : l’article titre
« Ségolène mène la danse », selon une expression de son porte-parole
Gilles Savary et conclut que « c’est bien la ’madone des sondages’ qui
impose ses thèmes. La journaliste dresse un portrait flatteur (« la
"madone des sondages" », celle qui n’a « pas peur du peuple ») en
s’appuyant sur les déclarations de Gilles Savary et de François
Rebsamen, directeurs de campagne, qui accréditent la thèse d’une
battante capable de l’emporter sur Nicolas Sarkozy. Le rôle des
journalistes dans la mise en avant de la thématique de Ségolène Royal
est totalement estompé dans les paragraphes consacrés aux challengers :
« Désigné pour ouvrir le feu des questions sur la société française,
Laurent Fabius saisit la toute dernière proposition de la favorite des
sondages sur les jurys citoyens pour la mettre en difficulté » (Le Dauphiné Libéré, 26/10/06) ;
« Dominique Strauss-Kahn n’apprécie pas davantage l’idée de faire
évaluer les résultats des élus par des groupes de personnes tirées au
sort. Se demandant si ces instances auront "ou non" un "pouvoir de
sanction", le chantre de la social-démocratie lui reproche de vouloir
"bâtir une société sur la suspicion généralisée" » (Le Dauphiné Libéré, 26/10/06).
Une autosatisfaction inquiétante
24Fait
notable, ces constats négatifs ne sont pas partagés par les promoteurs
du débat. Richard Michel, président directeur général de la Chaîne
parlementaire-Assemblée nationale, dresse un bilan positif de
l’organisation de ces « confrontations indirectes comparatives » dont le
succès « dévoile que les Français ont une véritable fringale de
politique, à la condition que celle-ci échappe aux ressorts du "mauvais
spectacle". Une faim de politique où s’affichent des points de vue, des
projets, des visions, des désaccords. Et cela prend d’autant plus de
valeur lorsque le comparatif permet aux téléspectateurs d’apprécier
d’analyser de juger ce qui leur paraît le plus attrayant, le plus
pertinent » (Libération, 13/11/06).
25Or
le choix des questions comme le mode incisif d’intervention n’ont guère
permis de penser la complexité. Certes, les journalistes ont montré,
d’un débat à l’autre, une grande plasticité pour rendre le débat vivant
et pour faire émerger des différences. Mais reste la question de la
pertinence de l’angle par lequel les différences sont appréhendées.
Reste aussi la question, insuffisamment théorisée, du but du débat : non
pas seulement mettre en relief des différences entre des candidats,
mais faire émerger des solutions après avoir aidé au diagnostic. Mais
ces objectifs sont sous-estimés par les journalistes, dans la mesure où
ils pilotent le débat en évacuant un grand nombre de problématiques qui
ne correspondent pas à la doxa. Ce phénomène repose sur le fait
que les mêmes citent les mêmes, à travers le « discours convoqué » (De
Proost, 2006 : 414). Il repose aussi sur le fait de convoquer des thèmes
convenus, négociés au préalable entre les chaînes et les représentants
de chaque candidat. Le débat devient un artefact dans lequel la
sélection des thèmes et le calcul prévisionnel des propos qui feront
mouche relève d’une représentation dramaturgique à visée persuasive,
plus que d’une conception argumentée et rationnelle du véritable débat
d’idées. L’autosatisfecit des directions des médias souligne la
nécessité de ne pas cantonner la réflexion aux journalistes, d’autant
qu’ils ne sont pas les seuls responsables de ces dysfonctionnements.
- 12 Ce manque d’ambition fait écho aux analyses de G. Mulhmann (2004a).
26Les
défauts de gestion du débat, voire les limites du genre du débat
médiatique (Lhérault, 2007), interrogent le rapport des médias, des
responsables politiques et plus largement des citoyens à la saisie du
complexe dans le cadre de l’exercice d’une responsabilité collective
lors d’une campagne électorale : « À coups de statistiques simplifiées
et de déclarations sentencieuses, personnalités politiques, instituts de
sondage, publicitaires, éditorialistes, syndicalistes, polémistes,
chercheurs et journalistes participent, volontairement ou non, par
manque d’ambition12,
d’outils ou d’intérêt, à la construction d’une représentation biaisée
de la société française. À force d’être "routinisée" par des catégories
ou des concepts trop lourds ou trop datés, la société semble devenue
illisible » (Beau, Confavreux, Lindgaard, 2006 : 7-8).
27Les
déficits précédents renvoient, en profondeur ; aux limites d’un système
médiatique (et politique tout autant). Ces limites s’appréhendent en
tant que le système entend reposer sur un type de contrat fondationnel
qui affirme avoir à informer concevant l’information en assumant la
responsabilité de clarifier la complexité du monde contemporain (à des
fins cognitives), ainsi que l’évoque Le Monde dans Le style du Monde, afin de contribuer à construire ce que Patrick Charaudeau appelle « la vérité civile ».
28C’est
cette haute ambition qui n’exonère pas les médias de leur
responsabilité propre pour rendre compréhensibles les évolutions
sociales sans attirer l’attention sur des phénomènes marginaux ou
superficiels, comme le montre la différence de traitement entre le
concept de working poors et la notion floue de « Bobo ». Quatre ans après son introduction dans la presse française en 2000, le concept de working poors continue
toujours d’« émerger » et d’être présenté comme une « nouveauté », en
2004 (De la Porte, 2006 : 511). En dépit de sa solidité scientifique, le
concept ne prend pas dans la presse. En revanche, l’expression Bobo, au
contenu approximatif, qui apparaît aux USA en 2000 dans le livre de
David Brooks, est la même année présent dans les médias, via un compte rendu de l’ouvrage dans le Courrier international, dans un article d’Alix Girod de l’Ain dans Elle, puis d’Annick Rivoire dans Libération. La
notion profite du contexte des élections municipales qui se conclut par
la victoire de Bertrand Delanoë à la mairie de Paris. Mais il y a un
monde entre le contenu scientifique du concept géographique de
gentrification -transformation sociale des quartiers populaires, conquis
par des couches supérieures, à l’instar des évolutions de l’Est
parisien analysées par le géographe Christophe Guilly (De la Porte,
2006 : 515) - et la valeur péjorative du terme dans la presse qui
réactive l’idée de gauche caviar, en étendant le phénomène aux ex-jeunes
de la génération 68, embourgeoisés et installés dans les rouages du
pouvoir qui gardent un mode de vie plus bohème que celui des bourgeois
traditionnels. Ces exemples interrogent radicalement la responsabilité
des médiateurs que sont journalistes et politiques, dans leur
appréhension de la société : « Que les médias aient du mal à appréhender
le monde social est une évidence. Mais, compte tenu de leur importance
dans la mise en scène du débat public, ils sont au cœur d’un
questionnement sur l’invisibilité. À cause d’un paradoxe qui leur est
propre. D’un côté, ils donnent à voir le monde à leurs lecteurs, aux
auditeurs et téléspectateurs. Ils ne se contentent pas de rendre compte
de l’actualité, mais sont aussi producteurs de réalités par l’impact
qu’ils donnent aux représentations dominantes. De l’autre, du fait de
leur rythme ("télégraphique", selon Pierre Bourdieu), des contraintes
d’audience et de vente, de la spectacularisation de l’information, de sa
"folklorisation" - à travers notamment les faits divers -, des lacunes
dans la formation des journalistes, de leurs contraintes de temps dans
leur travail au quotidien, du "formatage" qui pousse au schématisme et
parfois à la caricature, et de leur perméabilité à l’agenda politique,
ils sont les premiers producteurs d’invisibilité » (De la Porte, 2006 :
509).
Les défis de la responsabilité collective
29Face
à des pratiques préoccupantes, la réflexion sur la responsabilité ne
doit pas se focaliser sur des coupables. D’une part parce que les
responsabilités sont partagées, d’autre part parce qu’il est préférable
d’envisager l’avenir en associant l’ensemble des acteurs autour
d’objectifs plus conformes aux attentes d’une responsabilité commune - c’est une autre manière de parler de responsabilité collective, de l’intérieur.
Des responsabilités à partager
30Ces
dérives ne sont pas imputables aux seuls médias, dont l’influence ne
joue que dans certaines limites, et de façon indirecte, tant les études
ont montré que le public était inégalement réceptif aux discours
politiques, davantage aux pressions sociales des groupes -qui poussent à
homogénéiser les pratiques et valeurs du groupe. C’est pourquoi
d’aucuns, à l’instar de Bernard Berelson, ont pu ironiser sur cette
influence : « Certains types de communications sur certains types de
sujets, émis à l’intention de certains types d’individus, pour certains
types de condition, ont certain types d’effets » (in : Rieffel, 2005 :
20)... Cette thèse est cependant contestée, et l’on aurait tort de
penser que l’influence des médias est nulle. Au minimum, elle joue à la
marge : mais la marge peut s’avérer d’autant plus importante que le
corps social est déboussolé, que les appartenances sociologiques pèsent
moins, que les frontières idéologiques sont plus poreuses. Encore
convient-il de souligner que les raisonnements précédents réfèrent à
l’idée d’un pouvoir à court terme de l’influence journalistique. Mais il
faut aussi envisager les « effets structurants de discours capables de
définir la hiérarchie des enjeux sociaux et les manières de les
formuler » (Neveu, 2001 : 83), sur un plus long terme. Ainsi que le
disait René Rémond (2004 : 181) : « Les médias ne font pas l’élection,
mais ils contribuent grandement à façonner la vie politique et
concourent à la formation des électeurs. Leur action sur les élections
n’est pas nulle, mais elle s’exerce de façon diffuse et dans le long
terme ». D’une certaine manière, c’est à ce type de préoccupations et
d’analyses que notre corpus fait écho, car nous mesurons bien que la
complexité de la construction sociale de la réalité et des identités ne
se laisse pas réduire à des influences unidirectionnelles.
- 13 Qui n’est pas sans trouver des prolongements avec le storytelling politique. C. Salmon (2007 : 200 (...)
- 14 Les journalistes qui occupent des postes stratégiques sont souvent passés par des 1ER, en sorte qu (...)
- 15 Le rôle des communicants accroît cette osmose, d’autant plus lorsqu’ils sont engagés politiquement (...)
31C’est
pourquoi il est plus satisfaisant d’évoquer des influences croisées et
réciproques des médias sur la politique (et inversement). Celles-ci se
lisent à partir des modifications des comportements des responsables
politiques, convertis à un usage formaté : importance de l’image,
contrôle de soi et des messages, dramatisation, choix de la petite
phrase, discours accessible, ethos de proximité, importance de
l’émotionnel dans le cadre d’une histoire partagée, fût-elle mythique13,
occupation du terrain médiatique, soumission à l’urgence et à la
nécessité de proposer des mesures immédiates, collaborateurs fournissant
aux médias des informations clés en main, etc. (Rieffel, 2005 : 21-24).
Ils imitent les médias dans leur recherche d’idées à la mode, faisant
davantage appel aux experts qu’aux intellectuels (sauf à quelques
intellectuels fortement médiatisés), moins aux universitaires, en
recourant ainsi de façon privilégiée à un vivier homogène dans ses
façons de penser1415.
La dictature du temps politique, l’injonction de répondre vite et par
des mesures simples, la « sondageomanie » entraînent des simplifications
en sorte que « la plupart d’entre eux [les politiques] ne font guère
usage de la sociologie et des sciences consacrées à l’étude du monde
social. La conséquence en est que leur représentation de la société est
perméable aux analyses des instituts de sondage, aux requêtes de leur
clientèle électorale, au formatage induit par leur formation, aux images
véhiculées par les médias » (Lindgaard, 2006 : 484), et rejaillit sur
les conceptions, les programmes comme sur les pratiques des uns et des
autres. Bref, s’il est une image qui résume la complexité de ces
interrelations, c’est celle du « réseau ».
- 16 J. Dakhlia (2007 : 275-276) développe une conception balancée de la pipolisation, en soulignant qu (...)
32Cette
coresponsabilité des journalistes et des politiques se lit à travers
les entrelacs de la pipolisation et du populisme. La pipolisation
affecte la vie médiatique et politique, avec, à l’arrière-plan, les
dangers du populisme. Dans une interview à Libération (30/07/07),
Christian Delporte, revenant sur l’élection présidentielle, souligne
que la pipolisation de la vie politique - qui vient de loin, voir la
« politique-spectacle » des années 70 et l’« américanisation de la vie
politique » dans les années 60 -repose sur la désacralisation et la
personnalisation de la vie politique. Ce phénomène est accentué en
France par les évolutions institutionnelles liées au quinquennat et à
l’inversion du calendrier entre les élections présidentielles et
législatives mais aussi par les évolutions technologiques (médias
audio-visuels, sondages). L’affaiblissement des clivages idéologiques
favorise dès lors une « bataille d’images »16.
- 17 Voir également la critique de N. Truong des ouvrages de B. Stiegler (La télécratie contre la démoc (...)
33La
suite de la campagne vérifiera les dérives saillantes de notre étude de
cas, à travers la multiplication des émissions avec panels de
citoyens : Marc Abélès (Libération, 20/02/07) fustigera cette « démocratie des petits moi, je », Éric Debarbieux (Le Monde, 1
6/02/07) regrettera l’éviction « stupide et humiliante » des chercheurs
des débats électoraux opposant « peuple "d’en bas" contre intellos d’en
haut », Jean-Marc Vittori, dans Les Echos (04/05/07),
caractérisera le face à face avant le deuxième tour comme un « débat
très médiatisé mais sans médiation » et constatera que la
« désintermédiation » frappe les intellectuels, mais aussi les médias
eux-mêmes ; enfin, Pierre-André Taguieff (2007 : 51 -66) consacrera une
analyse hélas convaincante à la compétition populiste entre Ségolène
Royal et Nicolas Sarkozy dans sa préface à la réédition de L’illusion populiste17. Bref,
la couverture télévisuelle de la campagne des élections présidentielles
a apporté une contribution non négligeable au populisme ambiant avec la
montée en puissance des panels de citoyens qui se sont substitués aux
journalistes comme aux corps intermédiaires et aux spécialistes. Cette
dérive n’exonère pas le public, qui est loin d’être une victime,
puisqu’il nourrit, suscite ces involutions, participe aux émissions et
les regarde…
34Il
n’est pas sans intérêt de souligner combien les dérives ultérieures de
la campagne sont en congruence avec notre corpus : les questions
étroites des journalistes ne naissent pas de rien, elles renvoient,
au-delà des négociations avec les débatteurs sur le choix des thèmes et
des questions, à des manières de penser communes aux journalistes et aux
responsables politiques, et, surtout, elles relèvent de déficits dans
l’appréhension vive de la notion de responsabilité collective, en
montrant que les uns et les autres prennent peu en compte, en tant que
médiateurs sociaux, le fait d’être responsables, à tous les sens du
terme, de, pour et devant les autres. De quoi s’agit-il ?
Pour un journalisme du « nous »
35La
critique du journalisme ne saurait se limiter à l’idée qu’il suffirait
d’échapper au règne du libéralisme et des patrons de presse pour obtenir
des journaux de qualité (voir Le Bon, Chomsky Halimi, Carles) qui
s’adresseraient enfin à un peuple « sain » (Muhlmann, 2004a : 45 et sq. ;
78-79). L’assujettissement économique est certes négatif, mais il
n’évacue pas une réflexion sur les effets négatifs de la « dictature du
public » analogue à la dictature du pouvoir ; ainsi que Marx, Pierre
Bourdieu et Patrick Champagne l’ont montré. On ne peut pas non plus
opposer valablement des journalistes pervertis à une classe politique
exempte de perversion, puisque les deux professions épousent bien des
manières identiques de penser.
36La
tentation est grande, alors, d’opposer savants et experts aux
professionnels des médias et de la politique. Alors que d’aucuns
critiquent le manque de sérieux académique des journalistes et creusent
le fossé entre journalistes et savants, experts, universitaires
(Bourdieu), Michel Foucault (1976) travaille à combler le fossé, à
dresser un pont entre penseur et journaliste, chacun « échangeur »,
« diagnosticien du présent », « intellectuel spécifique » vs
« intellectuel universel ». Dans cette optique, il ne considère pas
comme des défauts la « futilité », la « curiosité », l’aptitude à
changer de sujet et de centre d’intérêt, la mobilité du regard, le zapping ;
ce sont aussi des occasions pour voir autrement, plus et mieux. Certes,
chaque regard est partiel, mais leur multiplication alimente un cercle
vertueux : « Le problème est de multiplier les canaux, les passerelles,
les moyens d’information, les réseaux de télévision et de radio, les
journaux. La curiosité est un vice qui a été stigmatisé tour à tour par
le christianisme, par la philosophie et même par une certaine conception
de la science. Curiosité, futilité. Le mot, pourtant, me plait : il me
suggère tout autre chose : il évoque le "souci" ; il évoque le soin
qu’on prend de ce qui existe et pourrait exister ; un sens aiguisé du
réel mais qui ne s’immobilise jamais devant lui ; une promptitude à
trouver étrange et singulier ce qui nous entoure ; un certain
acharnement à nous défaire de nos familiarités et à regarder autrement
les mêmes choses ; une ardeur à saisir ce qui se passe et ce qui passe ;
une désinvolture à l’égard des hiérarchies traditionnelles entre
l’important et l’essentiel » (Foucault, 1980 : 927).
- 18 Voir la figure de N. Bly (1864-1922), cette icône du stunt journalism, se faisant interner à l’asi (...)
37C’est
dans cette voie que peuvent émerger ; en figures de la responsabilité
collective éthique, des pratiques journalistiques qui relèvent du
« nous » Ici, nous renvoyons aux idéaux critiques successifs par
lesquels s’est historiquement manifestée une pratique journalistique qui
s’efforce de donner à voir les complexités du monde social, qu’il
s’agisse de l’idéal critique du journaliste flâneur qui, en
appui sur la théorie kantienne de l’observation, multiplie des points de
vue partiels pour faire émerger une vérité et un consensus autour de
celle-ci, de celui du journaliste-en-lutte, qui, à l’instar de
Karl Marx ou Karl Krauss, conçoit son travail comme un lieu
d’affrontement de l’idéologie sur son propre terrain. Toutefois ces deux
idéaux sont susceptibles d’être critiqués : le journaliste flâneur peut
ne pas aller flâner dans les endroits gênants, avoir des œillères
(Muhlmann, 2004a : 159-1 65) ; le journaliste-en-lutte peut se faire le
porteur messianique et scientiste d’une vérité (ibid. : 264) et
désigner l’« autre » sans suffisamment théoriser le « nous ». D’où
l’importance du troisième idéal critique du journalisme, qui dépasse les
deux précédents, celui du journalisme comme « rassemblement conflictuel » de la communauté démocratique. Avec ce dernier idéal critique, l’accent est mis sur le rôle critique et intégrateur du journalisme (ibid. :
283, 290-292). Le journaliste décentreur/ rassembleur répond à une
double nécessité, nécessité de constituer du commun, de créer du
« nous » et celle de faire vivre le conflit, sans lequel la démocratie
se meurt » (Muhlmann, 2004b : 242), pour reconstruire une communauté sur
d’autres bases18.
À cette aune, la responsabilité collective se décline en un certain
nombre de fonctions, toujours en tension entre le décentrement et le
rassemblement.
Conclusion
38C’est
pourquoi, pour finir nous évoquerons quelques-unes des pistes qui
mériteraient d’être explorées, pratiquement comme théoriquement, si l’on
envisage de traiter du journalisme (et de toute autre forme de
médiation sociale) avec « un peu de souffle », selon la formule de
Géraldine Muhlmann en exergue de ce texte.
39D’abord, il s’agit d’être responsable de, notamment
de la façon dont les locuteurs rendent compte des discours des autres
ou de leur propre parole, dont ils taisent certains points de vue,
construisent des événements ou des arguments, interpellent les personnes
et reformulent leurs propos. Sans oublier la façon dont ils
représentent - fût-ce en l’effaçant - leur rôle interactionnel dans la
reconstruction et le commentaire des événements de parole.
40Ensuite, il s’agit d’être responsable pour :
cela s’entend pour un groupe socio-professionnel, une mouvance
idéologique, une formation politique, une institution, une nation, etc.,
selon une conception du porte-parole qui sache défendre des intérêts
particuliers en ayant à l’esprit les compromis nécessaires pour faire
société ; ici aussi les journalistes ne sauraient s’exonérer de leur
responsabilité de médiateur social, de la nécessité de mieux jouer leur
rôle en ne se bornant pas à reproduire ou accentuer les mouvements de
l’opinion. Car la responsabilité professionnelle du journaliste c’est de
faire entendre tous les points de vue, afin que se construisent, autour
d’objets de débat partagés, des raisons communes et des moyens
collectifs d’agir.
41Enfin, il s’agit d’être responsable devant :
devant les siens, ses pairs, ses (é)lecteurs, les citoyens, etc. Cette
question interroge la fonction de témoin, au nom de ceux qui ne sont
plus (les morts), qui ne sont pas encore (les générations futures) ou
qui sont exclus du débat, à l’instar de cette France invisible - dont Stéphane Beaud, Joseph Confavreux et Jade Lindgaard (2006) se font l’écho, comme, naguère, Pierre Bourdieu, dans La misère du monde (Rey,
2006 ; Sicot, 2006). Quelle place, à l’aune de la responsabilité
collective, réserver aux uns et aux autres, et notamment à ces autres,
qui bien qu’ils fassent partie de notre collectivité, n’accèdent
pratiquement jamais à la visibilité ? Il y a là un problème qui concerne
au premier chef les médiateurs sociaux que sont les responsables
politiques et les journalistes.
42À
titre d’exemple, rappelons que les membres des classes populaires ou
des syndicats sont quasiment ignorés dans les médias - comme dans les
programmes politiques - : sur 32 émissions du Franc parler (Stéphane Paoli) et de Libre cours (Anne Sinclair) entre le 4 et le 24 septembre 2006, pas un représentant syndicaliste n’est invité. Dans Entreprise et stratégie, Brigitte Jeanperrin invite un syndicaliste après 41 pdg, entre le 5 septembre et le 19 décembre 2005. Sur 477 invités de La marche du siècle entre
1987 et 1999, Jean-Marie Cavada a invité 0,2 % de représentants
syndicaux. L’étude de Sébastien Rouquette (2002) sur 400 débats
télévisés entre 1958 et 2000 montre notamment qu’en 1989-1990, les
plateaux télévisés comptent 10 % d’ouvriers et d’employés alors qu’ils
représentent 60 % de la population active. Non seulement le peuple est
sous-représenté, mais quand il parle, c’est pour dire ses émotions
(témoignages, micro-trottoirs), l’analyse étant réservée à l’expert qui
commente la parole populaire (voir Maler Reymond, 2007 : 76-79 ; 83-84).
43Si
l’on croit aux vertus de la représentation du conflit, à la nécessité
de « réinventer le politique comme objet d’un spectacle collectif,
c’est-à-dire comme scène visible depuis une autre scène, celle où le
peuple se fait public de lui-même » (Muhlmann, 2004a : 351), pour mieux
jouer son rôle d’acteur alors, mieux vaudrait faire entendre toutes les
voix - notamment celles de journalistes responsables et exigeants -, et
donc aussi les voix souffrantes entachées d’inaudibilité et
d’invisibilité.
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Notes
1 Voir par exemple Neveu (2001), Charon (2007).
2
Nous articulons l’éthique avec la dimension collective du fait
politique, afin de ne pas tomber dans la « spiritualité médiatique »
(Dagnaud, 2006 : 233-235) mettant en scène un culte du moi soft, une
sorte de piétisme éthique individualiste qui s’accommode de la
domination de la logique libérale en pensant les autres comme des
doubles spéculaires du moi, abstraction faite des contraintes sociales.
3
La distinction entre éthique de conviction et de responsabilité
souligne qu’il n’y a pas de recouvrement entre éthique et politique,
mais, tout au plus, intersection (Ricœur 1986) ; cette idée est
longuement développée par Kant, notamment dans son appendice I de Vers ,la paix perpétuelle. Essai philosophique (Kant, 1795 : 110-123).
4
La déontologie est plus restreinte que l’éthique : « Alors que
l’éthique intervient comme puissance de questionnement de l’ensemble du
processus de l’information, la déontologie revêt la portée limitée d’une
morale propre à l’activité journalistique. Elle renvoie à des règles
professionnelles qui constituent les conditions ordinairement admises
d’une information correcte, au sens pragmatique. Elle est, en jouant sur
les mots, une "morale au quotidien" » (Cornu, 1994 : 48 ; voir
également Pigeat, 1997 : 8-9).
5
L’absence de débat est d’autant plus significative que l’on compte
quelques travaux sur la question : voir Charon (2003) et Prodhomme
(2006).
6 C’est pourquoi le lecteur appréciera à sa juste valeur la contribution de J.-Fr. Tétu, ici même.
7
Il serait erroné de conclure que la restitution des questions et des
noms propres des journalistes réglerait la question, puisque le débat
télévisé n’était pas indemne de critique.. C’est pourquoi, compte tenu
de nos choix théoriques en faveur de la disjonction locuteur/ énonciateur (Rabatel,
2005), la non-mention du nom des journalistes est un problème
secondaire. Ce qu’on voudrait interroger précisément, indépendamment de
leur histoire en tant que sujets parlants, c’est leur positionnement en tant qu’énonciateurs, c’est-à-dire
en tant que source d’un point de vue (Ducrot, 1984) à travers des
questions qui, en dépit de leur neutralité apparente, relèvent de choix
idéologiques, dans la mesure où la sélection de tel contenu plutôt que
tel autre, la manière de s’exprimer sont significatives.
8
Le débat entre candidats à la candidature d’un même parti est
relativement inédit, du moins sous sa forme institutionnalisée, en
France, à la différence de la pratique des primaires aux États-Unis. Il
serait d’ailleurs intéressant de vérifier la contribution des primaires à
la qualité du débat politique à partir des notions de mise en débat
argumentée et de responsabilité collective…
9 Sans doute faut-il distinguer le spectaculaire de la spectacularisation. Selon
une logique du moindre mal, la spectacularisation correspond au prix à
payer pour capter (et garder) l’attention d’un public zappeur qu’on dit
enclin à se détourner des débats politiques - thèse qui nous paraît
contredite par la vivacité des controverses politiques en France. pas
seulement lors du référendum de 2005 pour le traité constitutionnel
européen. Au plan cognitif la spectacularisation peut être considérée
positivement, comme une stratégie d’objectivation des problèmes. Mais en
l’occurrence, le spectaculaire porte sur les différences de personnes
et de propositions, comme I0 on l’a dit. Quoi qu’il en soit, de la spectacularisation au spectaculaire, la limite est fragile…
10 La preuve en est que les échanges consensuels entre les candidats sont jugés « ennuyeux » par les professionnels.
11
Les conditions particulières de ce débat inédit entre trois membres du
même parti semblent non représentatives des débats politiques entre
représentants de camps opposés. Mais les monologues successifs des
candidats à la candidature correspondent aux « débats » minutieusement
réglés d’avant le deuxième tour des présidentielles, dans lesquels les
« débatteurs » sont censés répondre à des questions/problématiques
négociées au préalable sans s’interpeller.
12 Ce manque d’ambition fait écho aux analyses de G. Mulhmann (2004a).
13 Qui n’est pas sans trouver des prolongements avec le storytelling politique.
C. Salmon (2007 : 200-211) montre à quel point cette tendance a marqué
les entourages des deux principaux candidats à l’élection présidentielle
française.
14
Les journalistes qui occupent des postes stratégiques sont souvent
passés par des 1ER, en sorte que leur formation intellectuelle est
proche de celle des élites politiques (Neveu, 2001 : 23). Les
journalistes politiques sont eux-mêmes conscients des dangers de cette
proximité, que les jeunes professionnels remettent en cause (Charon,
2007 : 186-187). De plus, la manière de s’informer des journalistes
politiques consiste d’abord à interroger les hommes politiques, ensuite
leurs confrères, puis les experts (politologues et sondeurs) ; l’appel
aux spécialistes est rare, plus encore l’appel à des sources telles que
les responsables associatifs, les syndicalistes : « Cependant quelques
journalistes, souvent parmi ceux qui ont eu un parcours en locale ou en
info.géné. ou en social, entretiennent un véritable réseau de contacts -
leurs anciens interlocuteurs et sources (élus locaux, fonctionnaires
territoriaux, responsables associatifs, syndicalistes, etc. - dont les
réactions sont sollicitées afin d’obtenir un "autre regard", un recul,
un contrepoint » (Charon, 2007 : 182-183), Autant dire que la pratique
des both side view est rare, en ce domaine, et que l’art du contrepoint ne contredit en rien la logique dominante, comme on le verra en conclusion.
15
Le rôle des communicants accroît cette osmose, d’autant plus
lorsqu’ils sont engagés politiquement, tout en ayant des relations
suivies avec les milieux médiatiques (voir, notamment, Legavre, 2005 ;
Giasson, 2006).
16
J. Dakhlia (2007 : 275-276) développe une conception balancée de la
pipolisation, en soulignant que celle-ci peut aider à la prise en compte
de la dimension esthétique de l’action politique, à la saisie politique
de certains comportements ainsi qu’à un élargissement de la conscience
politique, dans la mesure où la représentation « n’est pas qu’un simple
reflet du monde mais une manière d’en organiser la connaissance ». Dont
acte. Mais la réflexion ne peut s’arrêter là, dans la mesure où ces
gains ne peuvent être valablement estimés que par rapport à l’analyse
des pertes provenant de cette même pipolisation : c’est là qu’entre en
compte la dimension populiste.
17
Voir également la critique de N. Truong des ouvrages de B. Stiegler
(La télécratie contre la démocratie. Lettre ouverte aux représentants
politiques, Paris, Flammarion, 2006 ; Réenchanter le monde. La valeur
esprit contre le populisme industriel, Paris, Flammarion, 2006)
intitulée « Comment "réinventer la puissance publique" » (Le Monde,
10/11/06) ainsi que R. Bacqué, Le Monde (07/05/07,
http://www.lemond!e.fr/web/chat/0,46-0@2-823448,55-907054,0.html).
18 Voir la figure de N. Bly (1864-1922), cette icône du stunt journalism, se faisant interner à l’asile de Blackwell’s Island pour voir ce que sont les traitements infligés aux malades ( 1887).
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Référence papier
Alain Rabatel, « Pour une conception ethique des debats politiques dans les medias », Questions de communication, 13 | 2008, 47-69.Référence électronique
Alain Rabatel, « Pour une conception ethique des debats politiques dans les medias », Questions de communication [En ligne], 13 | 2008, mis en ligne le 01 juillet 2010, consulté le 15 janvier 2014. URL : http://questionsdecommunication.revues.org/1655Haut de page
Auteur
Alain Rabatel
Interactions, corpus, apprentissages, représentations CNRS, université Lyon 2 IUFM, université Lyon 1, at.rabatel@orange.fr
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