Je voudrais d'abord, à titre personnel, rendre
hommage à la mémoire de Georges Bourdon qui a été de 1922 à 1938, secrétaire
général puis président du syndicat des journalistes, unique à l'époque. Jusqu'à
sa mort, il y a un peu plus de 70 ans, il a été le véritable organisateur de la
profession ; il s'est battu et a obtenu la loi de 1935, la convention
collective des journalistes en 1937, l'institution de la commission de la carte
en 1936…
Ses deux leitmotiv étaient solidarité et discipline.
Solidarité à l'intérieur d'une profession qui était déjà divisée, comme elle
l'est encore maintenant. Et discipline parce que ce mot recouvrait à l'époque
le respect des règles éthiques et professionnelles. Son objectif de créer une
instance d'autodiscipline – que nous préférons aujourd'hui nommer une instance
d'éthique et de médiation entre la profession et le public des médias – est
toujours aujourd'hui l'objectif de l’APCP. Quelles que soient nos convictions
ou nos appartenances, je crois que nous sommes ici pour réfléchir ensemble dans
cette direction.
1. La genèse
Oui, c'est aujourd'hui peut-être la fin des tabous.
Commençons par une petite genèse des évolutions que nous constatons.
Le 6 juin 2006, la commission parlementaire sur
l'affaire d'Outreau termine ses travaux, remet son rapport et réclame un code
de déontologie pour toute la profession. Elle le fait après de nombreux
dérapages qui ont émaillé les traitements médiatiques depuis la fin des années
1980 ; et à l'issue d'une affaire qui, après celle du petit Grégory, a montré
des médias et des journalistes particulièrement peu à cheval sur les règles
déontologiques. Ces manquements répétés à l'éthique professionnelle avaient
provoqué déjà de nombreuses réactions dans la profession, dans la société
civile et les sphères politiques. Quelques brefs rappels.
4 février 1992, la Commission de la carte adopte à
l'unanimité une déclaration sur « la
cascade de dérapages qui sape la crédibilité des journalistes et des
médias ».
21 mars 1995, la Commission nationale consultative
des droits de l'homme émet un avis sur la liberté de la presse et la
responsabilité des journalistes, elle préconise notamment l'adoption d'un code
de déontologie.
27 octobre 99, le Conseil économique et social
national demande la création d’une commission consultative « média –
éthique ».
Citons aussi, par exemple, les rapports
gouvernementaux de Jacques Vistel en 93 et de Jean-Marie Charon en 99, qui tous
deux mettent en avant la nécessité déjà ressentie par le public d'un texte de
référence et d'une instance chargée de veiller à son respect.
Six mois après le rapport de la commission
« Outreau », une association se créait : l'APCP, l'Association de
préfiguration d'un conseil de presse. Elle émane de l'Alliance internationale
de journalistes, réseau de professionnels réunis pour réfléchir et agir en
faveur de la responsabilité des journalistes à l'égard du public. L'APCP comprend
des journalistes et des non professionnels de l'information. Elle constate
qu'il n'existe dans notre pays, alors que la question se pose depuis 1898, ni
code d'éthique reconnu par toute la profession (éditeurs et journalistes) comme
c'est le cas dans de nombreux pays étrangers, ni instance d'autorégulation
comme il en existe dans une centaine de pays dans le monde, sous le vocable
internationalement reconnu de « conseil de presse ».
Une exception toutefois : il s'est créé, fin 2007,
une association d'éditeurs, FIDEO, qui, en application de la loi de 2005 sur la
protection des consommateurs d'informations boursières et financières, évite à
ses adhérents de passer sous la coupe de l'Autorité des marchés financiers.
FIDEO a adopté un code de bonne conduite qui fait référence à la seule charte
existante, celle du SNJ de 1918 – 1938.
L'APCP a décidé dès le départ de porter son action
sur la faisabilité d'une telle instance, sur l'information et le débat autour
de la création d'une telle instance et sur le soutien à la mise en place d'un
texte éthique de référence.
2. L’action
L’APCP a d'abord mis au point un projet d'instance
de médiation tripartite – éditeurs, journalistes, public – en s'inspirant
d'exemples étrangers et en l'adaptant au contexte français. Ce document a été
présenté aux Assises de 2008, mais il a été remanié depuis parce que nous
pensons qu'il doit évoluer et ce colloque servira également à cela.
Notre idée de base est que, 70 ans après la charte
de 1938, qui évoque pour la première fois le fameux « jugement des pairs » repris dans la charte européenne
de Munich de 71, ce jugement n'a pas fonctionné. Il est devenu une formule
creuse, étroitement corporatiste, sans rapport avec l'objectif à atteindre,
celui de réconcilier les publics avec leurs médias et avec les journalistes. Ce
jugement est de plus totalement dépassé, à l'heure d'Internet et des demandes
nouvelles de ces publics. Donc pas d'Ordre des journalistes, même si c'est vers
cela que voudraient nous entraîner certains. Une instance doit impérativement
associer le public.
Nous avons aussi commencé à rencontrer des
interlocuteurs privilégiés : syndicats et sociétés de journalistes, syndicats
d'éditeurs, organisations de la société civile telle que UNAF, Ligue de
l'enseignement, sociétés de lecteurs, etc. Nous avons activement participé aux
Assises internationales du journalisme et aux Etats généraux de la presse
écrite et nous y avons porté le débat sur le conseil de presse, ou conseil
d'éthique.
Nous avons produit et diffusé une documentation et
répondu à des sollicitations (plus nombreuses depuis quelques temps), notamment
de la part d'établissements d'enseignement supérieur, d’organismes de la
société civile ou encore professionnels tels que l'Union des clubs de la presse
ou encore le Syndicat national des radios libres…
Nous avons encore lancé avec l'association
Journalisme et citoyenneté un Appel en faveur du principe d'une charte et du
principe d'une instance d'éthique, qui
avait déjà recueilli les signatures d'une cinquantaine de personnalités de la
presse avant les Assises du journalisme de mai 2008.
3. Quoi de
neuf depuis fin 2006 ?
Premier constat : sur le front des bavures
journalistiques il n'y a pas eu de répit. A titre d’exemples le CSA est
intervenu auprès de chaînes de télévision
en août 2008, octobre 2008, février 2009… Le CSA, pas plus que la
Commission de la carte, n'a de prérogatives déontologiques reconnues par la
loi. Mais il s'est forgé une doctrine et une pratique au cours de ces dernières
années, autour de la notion d'honnêteté de l'information, et il intervient de
plus en plus fréquemment maintenant parce qu'un certain nombre de règles sont
inscrites dans le cahier des charges des chaînes publiques ou privées. Et c'est
au titre de ces cahiers des charges qu'il fait ses rappels à l'ordre.
Mais la presse écrite n'est pas en reste (le Nouvel
Obs), la radio non plus (Elkabbach) et Internet de même… Tandis qu'en juin 2008
sur France 2 François Fillon déclare que les médias français doivent
s'interroger sur « l'éthique de leur
métier » et qu'ils n'ont « plus
grand chose à envier aux tabloïds anglo-saxons ». Bigre !
Deuxième constat. De nombreux livres venant de
journalistes ou d'observateurs ont été publiés ces dernières années : citons La trahison des médias de Pierre Servent
(2007), Les journalistes et leurs publics
: le grand malentendu de Jean-Marie Charon (2007), Média-paranoïa de Laurent Joffrin (2009), Journalistes à la niche ? de Bruno Masure (2009), Les journalistes français sont-ils si
mauvais ? de François Dufour (2009). Certains évoquent la question de
l'instance d'éthique, d'autres préconisent une telle instance.
Troisième constat. L'évolution des organisations de
journalistes : trois des syndicats ont beaucoup évolué sur les questions
d'éthique, de qualité de l'information, de déontologie professionnelle. Le SNJ
d'abord qui a adopté à son congrès d'octobre 2008 une résolution importante
souhaitant notamment que les compétences de la Commission de la carte soient
étendues à la dimension éthique de la pratique journalistique. Le SNJ renoue
ainsi avec ses débuts quand dès sa création en 1918 il adopte la fameuse
première charte des journalistes : « un journaliste digne de ce nom,
etc », dont Bourdon était déjà le rédacteur avec Vautel. L'USJ-CFDT, de son
côté, lors de ses toutes récentes assises en mai 2009, s'est aussi saisie de la
question : elle préconise le développement de la médiation, elle veut mettre en
place elle- même un « observatoire des pratiques professionnelles de la
presse ». La CFTC est attentive aussi ; pour les autres syndicats de
journalistes, ils sont soit absents du débat soit hostile comme la CGT. Quant
au Forum des sociétés de journalistes, il n'est pas hostile à une telle
instance même si ce n'est pas son combat prioritaire puisqu'il se bat d’abord
pour la reconnaissance juridique des équipes rédactionnelles.
Quatrième fait marquant. Les syndicats patronaux
sont plus ouverts que par le passé. Ils ne montraient pas une attention
particulière à ces questions de déontologie et de pratiques professionnelles,
ni à l'égard des publics. Toutefois, trois organisations professionnelles se
sont distinguées. Le SPQR, dont la commission de l'information avait déjà
travaillé sur les bonnes pratiques avec un texte de référence mis au point pour
ses adhérents, puis plus récemment sur la création de postes de médiateurs. La
Fédération française des agences de presse s'est engagée en faveur d'une charte
déontologique nationale et d'une instance nationale d'éthique et de qualité de
l'information et elle a réitéré cet engagement. Le Syndicat national des radios
libres a fait de même et a confirmé ce choix lors de son congrès de novembre
2008.
4. Les Etats
généraux comme déclencheur
On peut noter, surtout depuis les Etats généraux de
la presse écrite, une plus grande
ouverture, une capacité accrue au dialogue dans ces diverses organisations
patronales et en particulier parmi celles qui n'étaient pas branchées sur ce
type de problème. Si la mise en oeuvre de la recommandation de ces Etats
généraux d'une charte nationale de référence est considérée par ces
organisations, et à juste titre, comme prioritaire, le sujet « instance
d'éthique et de médiation » connaît
moins de réactions hostiles et péremptoires qu'il y a seulement deux ans. Cette
évolution des mentalités se note chez les éditeurs comme chez les journalistes.
Je crois que les Etats généraux ont été en fait un
déclencheur. Ils ont permis de faire avancer nombre d'idées et de propositions
concrètes en matière de déontologie et de qualité de l'information. Depuis ces
discussions, on n'ose plus nous jeter à la figure « on ne veut pas d'ordre
des journalistes ». Que chacun se rassure, nous les premiers !
Mais les tabous ont été levés. De plus en plus
nombreux sont ceux qui pensent qu'il faut faire quelque chose, que la crise de
confiance et de crédibilité envers les médias et les journalistes, ressassée
chaque mois de janvier par le baromètre La Croix-SOFRES, impose de se ressaisir
et de prendre enfin les mesures appropriées. C'est-à-dire un véritable
dispositif déontologique qui comprenne une charte nationale bien sûr, mais qui
soit aussi couronné par une instance chargée par la profession, et avec le
public, de veiller à cette qualité de l’information.
Notre sentiment est qu'il n'y a pas d'exercice de la
liberté d'informer, et nous le voulons total, sans une responsabilité
individuelle et collective. Donc sans une instance de médiation pouvant
accueillir les observations et les critiques du public.
Notre colloque se tient après plus d'un siècle de
pratiques pas toujours vertueuses où médias et journalistes ont souvent ignoré
un droit que nous devrions faire inscrire dans la Constitution française :
celui du public à disposer d'une information de qualité pour exercer avec
toutes les capacités son rôle de citoyen. Essayons de réfléchir ensemble, en
attendant ce temps, à ce que nous pouvons déjà créer par nous-mêmes, afin de
redonner au public la confiance dans ses médias et de redonner aux éditeurs et
aux journalistes une fierté renouvelée d'être au service de l'information et de
la démocratie.
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