AVIS adopté par le Conseil éco et soc etat de la presse- ethiques - autoregulation etude ( large extrait)





1. Les dérives et la nécessité d’une éthique

Les sondages Sofrès pour La Croix Télérama, déjà évoqués, ont révélés

une certaine défiance du public à l’égard des médias.

Longtemps, ce qui était lu dans le journal était tenu pour vrai. En revanche,

la crédibilité de l’image était longtemps restée inattaquée. Ce qu’on avait vu était

nécessairement vrai. Un certain recul et un certain esprit critique se sont

manifestés depuis plusieurs années. Une étape fondamentale a été franchie dans

ce domaine lors des événements de Timisoara en 1990.
Les victimes, dont les

cadavres étaient présentés, n’étaient pas celles des massacres du

17 décembre 1989 mais des morts qui avaient été déterrés dans le cimetière

voisin. Le téléspectateur, et certains journalistes eux-mêmes, ont pris pour vrai

ce qui était une supercherie. Pour la première fois, l’image était mise en cause.

Cet incident a provoqué un mouvement de défiance puis une réflexion. Au-delà

même du mensonge délibéré, le public a également compris que l’angle de prise

de vue, le montage, le choix des plans et les images elles-mêmes pouvaient avoir

une influence considérable sur le récit.

La guerre du Golfe a constitué une seconde étape importante, confirmant le

relatif recul qui s’était amorcé à l’égard de la croyance en l’image.

Le mensonge allait se développer. « Le bidonnage » n’est pas nouveau.

Chacun se rappelle ce journaliste du New York Times qui racontait de la manière

la plus impressionnante les atrocités de la guerre du Cambodge alors qu’il n’était

jamais allé sur le terrain et qu’il avait écrit ses articles, tranquillement installé à

Marbella en Espagne. On a également gardé le souvenir de la fausse interview de

Fidel Castro par Patrick Poivre d’Arvor, sur TF1.

Il est difficile de savoir si la multiplication récente de ces « bidonnages »

résulte d’une volonté plus ferme de les rechercher et de les dénoncer ou si elle

correspond à un phénomène qui s’est accentué. Force est de constater que les

mois qui viennent de s’écouler ont été révélateurs à cet égard.

En Allemagne, le journaliste Michaël Born, a été reconnu coupable d’avoir

falsifié totalement ou partiellement une vingtaine de reportages. En 1994, une

chaîne allemande avait présenté une émission où on pouvait voir un combattant

kurde, masqué et armé jusqu’aux dents, accompagnés de deux autres maquisards

et d’un reporter qui escaladaient de dangereux sentiers de montagnes les

conduisant dans une grotte où on voyait d’autres combattants fabricant une

bombe en vue de l’attentat de Fethie (centre touristique en Turquie). Rien n’était

vrai. Les Kurdes étaient des Albanais, la grotte se trouvait dans la résidence d’un

ami suisse et le tournage avait eu lieu en Grèce...

Ce faussaire avait réalisé d’autres reportages sur des sujets passionnants

notamment sur une prétendue section allemande du Ku Klux Klan, sur des

trafiquants de cocaïne, sur un Australien chasseur de chats, sur le travail

d’enfants exploités dans le tiers monde, sur des passeurs immigrés clandestins...

Chacun de ces reportages avait été fabriqué de toutes pièces avec l’aide de

comparses. Arte a consacré récemment une émission à ce singulier journaliste

qui a été condamné à quatre ans de prison par les tribunaux allemands. Ce qui

frappait d’ailleurs c’était le sentiment de légitimité qu’il donnait à ses actes et

l’indifférence à l’égard du mensonge. Avec une étonnante désinvolture, il

paraissait penser que peu importe qu’il s’agisse ou non du réel puisque les

images étaient peut-être plus vraies que lui ! Sa conception est simple. Selon les

propos que lui prête Ignacio Ramonet : « les images ont toujours menti, et

mentiront toujours ».

Un reporter anglais n’a pas été en reste. Il démontrait dans une émission,

comment le cartel de Cali en Colombie, avait ouvert une nouvelle route pour

passer de la cocaïne en Europe. Tout était également faux. Le « passeur » était là

aussi un comparse ; le chef du « cartel de Cali » un employé de banque à la

retraite.

Malheureusement, la France n’a pas échappé à la tentation. Le reportage

diffusé le 5 décembre 1998 « sur la piste de l’ecstasy », réalisé par

Philippe Buffon en apporte la preuve. On y voyait, dit le Canard Enchaîné, « une

vaillante équipe de gendarmes filer des trafiquants, les arrêter, mener un

interrogatoire et retrouver le bon paquet d’ecstasy et un peu d’héroïne ». Ici

encore, il s’agissait d’une pure mise en scène. C’était cette fois les gendarmes

qui avaient servi d’acteurs et les locaux filmés étaient ceux de leur gendarmerie !

L’intéressé, interviewé dans le cadre de l’émission « le vrai journal » de

Karl Zéro paraissait estimer, ici à nouveau, qu’il n’y avait rien d’anormal

puisque la reconstitution reproduisait exactement la réalité. On pourrait

également citer les fausses arrestations (les brigades de l’autoroute en juin 1998),

la simulation d’un sauvetage en montagne (Des Racines et des Ailes FR3,

février 1999) on pourrait hélas sans doute allonger la liste sans difficulté.

A ces mensonges, il faut ajouter la création artificielle d’événements et les

risques de manipulation que peuvent induire les images de synthèse et les images

virtuelles ; il est en effet désormais possible d’intégrer n’importe quel

personnage dans n’importe quelle situation sans que le téléspectateur puisse s’en

apercevoir. Le film « Forest Gump » où l’on voyait Tom Hanks s’entretenir

successivement avec le Président Kennedy et avec le Président Nixon a fait

prendre brutalement conscience de ce phénomène.

A l’heure actuelle, sauf lorsqu’il s’agit de situations où le donneur d’ordre

n’était absolument pas au courant et où les peines de l’escroquerie peuvent être

envisagées, le « bidonnage » ou les images virtuelles ne peuvent donner lieu à

sanction pénale. Le délit prévu par l’article 27 de la loi du 29 juillet 1881, n’est

constitué que lorsqu’il est porté atteinte à la « paix publique ». Ce texte a été très

rarement appliqué et ne pourrait certainement pas l’être en l’espèce.

2. Code de bonne conduite et chartes

Les journalistes n’ont pas attendu ces événements pour prendre conscience

de la nécessité, compte tenu de l’importance de leur rôle et de l’immense

influence dont ils disposent, pour chercher à se constituer un code de référence,

une déontologie.

2.1. Le code de bonne conduite et les déclarations

a) Le code de bonne conduite de 1918

Le syndicat national des journalistes, créé en 1918, se préoccupait

immédiatement de cette question, souhaitant rassembler les journalistes dans le

cadre d’une profession libérale à l’instar de celle réunissant les avocats. Il

rédigeait un « code de bonne conduite » qui comportait déjà l’essentiel des

principes qui peuvent diriger la conscience « d’un journaliste digne de ce nom ».

Il définit certaines valeurs éthiques auxquelles le journaliste doit se soumettre à

savoir :

− le sens de l’honneur ;

− la responsabilité de ses écrits ;

− le respect de la vérité ;

− la résistance à la corruption ;

− la délicatesse envers ses confrères ;

− le respect du secret professionnel ;

− le respect du rôle de la justice.

b) La révision de 1938

Cette tentative de professionnalisation avait pour but de décourager les

amateurs, les occasionnels, mais aussi les politiciens peu soucieux de

déontologie. Il faut souligner que la charte de 1918 se situait dans une logique

ordinale1.

Le code de 1918 est révisé et complété en 1938 introduisant des principes

nouveaux : la calomnie, les accusations sans preuve, l’altération des documents,

la déformation des faits et le mensonge sont des fautes professionnelles graves.

Le journaliste « ne reconnaît que la juridiction de ses pairs souveraine en

matière d’honneur professionnel, il n’accepte que des missions compatibles avec

sa dignité professionnelle ; il s’interdit d’invoquer un titre ou une qualité

imaginaire, d’user de moyens déloyaux pour obtenir une information ou

surprendre la bonne foi de quiconque, il ne touche pas d’argent dans un service

public ou une entreprise privée où sa qualité de journaliste, ses influences, ses

relations, seraient susceptibles d’être exploitées ; il ne signe pas de son nom des

articles de réclames commerciale ou financière, ne commet aucun plagiat, cite

les confrères dont il reproduit un texte quelconque ; ne sollicite pas  la place

d’un confrère ni ne provoque son renvoi en offrant de travailler à des conditions

inférieures ; garde le secret professionnel ; n’use pas de la liberté de la presse

dans une intention intéressée ; revendique la liberté de publier honnêtement ses

informations, tient le scrupule et le souci de la justice pour des règles premières,

ne confond pas son rôle avec celui du policier. ».

c) La convention collective

Il faut aussi souligner le rôle de la convention collective de travail des

journalistes et ses avenants pour les entreprises de l’audiovisuel du secteur

public, dont la dernière version a été étendue en février 1988.

Elle comporte quelques dispositions d’ordre déontologique.

C’est ainsi que son article 5 prévoit qu’un journaliste ne peut accepter, pour

la rédaction de ses articles, d’autres salaires et avantages que ceux que lui assure

l’entreprise de presse à laquelle il collabore.

En aucun cas, un journaliste professionnel ne peut présenter, sous la forme

rédactionnelle, l’éloge d’un produit, d’une entreprise, à la vente ou à la réussite

desquelles il est matériellement intéressé.

La convention reprend la fameuse « clause de conscience des

journalistes ». Cette disposition est évidemment essentielle. C’est elle qui assure

une relative garantie d’indépendance aux journalistes et qui constitue une

caractéristique essentielle de leur contrat de travail.

Il faut aussi ici rappeler l’existence de « La Charte du droit à

l’information ».

Le SNJ, le Syndicat des journalistes français CFDT, le Syndicat général

des journalistes CGT-FO et la Fédération française des sociétés de journalistes

réunis à Paris le 19 janvier 1973 ont proclamé solennellement que le temps était

venu d’inscrire dans les textes officiels la notion capitale de droit pour le public à

l’information et la définition d’un nouveau statut d’une entreprise de presse.

d) La déclaration de Munich

Le 25 novembre 1971, les Syndicats de journalistes de la communauté

européenne auxquels s’étaient joints leurs confrères de Suisse et d’Autriche

adoptaient la « Déclaration de Munich ».

Les grandes organisations internationales de journalisme, la Fédération

internationale des journalistes (FIJ) et l’Organisation internationale des

journalistes (OIJ) l’ont reprise à leur compte. Elle comporte un préambule, une

déclaration des devoirs, et une déclaration des droits.

Le préambule rappelle le droit à l’information, à la libre expression et à la

critique comme constituant l’une des libertés fondamentales de tout être humain.

Il affirme clairement que la « responsabilité des journalistes vis-à-vis du public

prime toute autre responsabilité, en particulier à l’égard de leur employeur et

des pouvoirs publics ».

Les devoirs du journaliste s’inscrivent dans le cadre des valeurs qui

viennent d’être rappelées. On y trouvera en outre certaines dispositions qui

obligent le journaliste à « publier seulement les informations dont l’origine est

connue ou, dans le cas contraire, les accompagner des valeurs nécessaires ; ne

pas supprimer les informations essentielles et ne pas altérer les textes et les

documents ». Le journaliste « s’oblige à respecter la vie privée des personnes. Il

s’engage également à rectifier toute information publiée et se révélant inexacte »

(article 6).

Après avoir rappelé les devoirs, la Déclaration énonce les droits du

journaliste. Elle consacre pour lui le libre accès à toutes les sources

d’information et le droit d’enquêter librement sur tous les faits qui conditionnent

la vie publique (article 1). Le journaliste est en droit de refuser toute forme de

subordination qui mettrait en péril son indépendance ; il ne peut être contraint à

accomplir un acte professionnel où à exprimer une opinion qui serait contraire à

sa conviction ou à sa conscience. L’équipe rédactionnelle doit être informée de

toute décision importante de nature à affecter la vie de l’entreprise. Le journaliste

a droit à un contrat personnel qui assure la sécurité matérielle et morale ainsi

qu’à une rémunération suffisante pour garantir son indépendance économique.

Enfin, il faut rappeler également la décision de l’Assemblée parlementaire

du Conseil de l’Europe qui a adopté, le 1er juillet 1993, une résolution qui

affirme les principes éthiques du journaliste et estime qu’ils devraient être

appliqués dans la profession à travers l’Europe.

e) Le Livre Blanc de la déontologie des journalistes ou de la pratique

du métier au quotidien

En 1993, le Syndicat national des journalistes publie le n° 1 du Livre Blanc

qui contient certains témoignages apportés par des journalistes engagés avec le

SNJ dans le respect de la pratique de leur métier.

Cette publication rend compte des différentes entorses à la déontologie qui

ont pu être constatées à l’occasion de la couverture d’événements de toutes

sortes.

f) La Commission nationale consultative des droits de l’homme

Un avis portant sur la liberté de la presse et la responsabilité des

journalistes a été adopté lors de sa réunion plénière du 21 mars 1995.

La Commission nationale consultative des droits de l’homme propose :

• en ce qui concerne les journalistes professionnels :

- que soit établi un nouveau code déontologique de la profession

s’inspirant de la Charte française des devoirs professionnels, adoptée

en 1918, révisée en 1971 à Munich ;

- que toute demande d’attribution de la carte d’identité professionnelle

soit subordonnée à une adhésion expresse aux principes de ce code ;

- que toute violation grave desdits principes valant rupture de

l’engagement contracté, entraîne le retrait ou le non renouvellement

de la carte.

• en ce qui concerne les entreprises de presse :

- que chaque entreprise de presse soit incitée, par le canal des

organisations représentatives, à créer un organe de défense des

lecteurs et de toute personne mise en cause, doté d’un statut

garantissant son indépendance ;

- que chaque journal précise les règles déontologiques qu’il entend

appliquer pour respecter le code de la profession et traiter les

problèmes spécifiques auquel il peut être confronté ; que ce règlement

déontologique du journal soit affiché dans chaque rédaction et que

son application soit l’objet d’une évaluation annuelle et publique ;

- que le montant des aides publiques consenties aux entreprises qui

peuvent y prétendre prenne en compte une telle création afin

d’encourager semblable initiative et de compenser les charges qu’elle

peut entraîner.

2.2. Les chartes d’entreprises

Dans le droit fil de ces codes de bonne conduite, de l’avis de la

Commission nationale consultative des droits de l’homme, et de leur

responsabilité chaque jour accrue, différents journaux ont adopté une charte :

ainsi, Ouest France, Sud-Ouest, La Nouvelle République du Centre Ouest, La

voix du Nord, La Croix, Le Dauphiné libéré, Libération, Médias, J. Presse, Le

Monde.

Ces chartes méritent quelques observations :

• Ouest France : La Charte d’Ouest France attache une importance

particulière au traitement des faits divers.

Elle rappelle quatre principes essentiels : dire sans nuire - montrer sans

choquer - témoigner sans agresser - dénoncer sans condamner.

En ce qui concerne les faits de justice, elle invite à une « haute conscience

du droit absolu de tout homme à un procès équitable et souligne la nécessité de

la présomption d’innocence.

« Il est rappelé qu’il convient d’éviter des termes blessants ainsi que les

formules qui peuvent conditionner les jurés ou l’opinion publique et ainsi porter

atteinte à la présomption d’innocence ».

De nombreux autres conseils sont formulés, notamment éviter de parler des

suicides, sauf s’ils paraissent liés à l’exercice d’une responsabilité politique ou

professionnelle, ou s’ils ont un caractère spectaculaire. Pour les délits, l’identité

de l’auteur ne sera indiquée que s’il y a mise en examen ou détention. En cas de

viol, aucun élément permettant une identification ne sera donné.

Il faudra éviter les humiliations inutiles. Cela demande du coeur et du

jugement.

• La nouvelle République : la ligne directrice qualifiée « d’humaniste »

tient lieu de charte. Elle répond à une triple vocation :

- être en toute indépendance le média des institutions ;

- être aussi le média des citoyens en se faisant leur porte-parole ;

- être le photographe des réalités politique, sociale, économique et

culturelle du moment.

La charte prône des valeurs : démocratie, droit de l’homme, justice,

tolérance qui donnent au journaliste une mission d’intérêt général ou au moins

une responsabilité dans la société

• Sud-Ouest : Ce journal dont la devise est : « acta sacra, libera verba »,

(Les faits sont sacrés, les commentaires sont libres) s’est doté d’une

charte en 1984. Elle arrête les grands principes rédactionnels du journal

et en définit le contenu. Elle comporte quelques rudiments de droit.

La charte rappelle que l’éthique à laquelle elle se réfère n’est pas figée et

qu’elle est le fruit d’une concertation et d’un dialogue permanents.

Elle insiste particulièrement sur la bonne foi qui doit être celle du

journaliste et reprend les critères généralement admis sur ce point par la

jurisprudence.

La charte précise que la photo montage doit comporter la mention

« montage ».

• La Voix du Nord : sa charte rédactionnelle est en cours de discussion ;

• La Croix : il s’agit d’un texte d’orientation en date de novembre 1980,

régulièrement révisé, dont la dernière version date de 1995, et qui

rappelle son attachement aux valeurs fondamentales de l’Evangile

s’ordonnant autour de « liberté, dignité, justice, paix, amour » ;

• Libération : le journal a en 1993 adopté un règlement intérieur.

Le journaliste ne doit accepter aucune invitation impliquant la prise en

charge totale ou partielle de son voyage ou de ses frais de séjour.

• Médias : nécessité d’une séparation totale entre le service rédaction et le

service publicité ;

• Jeune presse 1991 : les journalistes, jeunes lycéens, acceptent de

respecter une éthique mais refusent tout contrôle sur leurs journaux

notamment dans les établissements scolaires ;

• Le Monde : la rédaction s’en tient aux usages internes sans estimer

nécessaire de les enfermer dans un cadre institutionnel ;

• La charte Presse quotidienne régionale : règles et usages.

Elle proclame que la liberté d’expression doit s’exercer à travers une

pratique guidée par une déontologie. Elle rappelle quelques principes essentiels :

exigence du sérieux et de la rigueur, respect de la personne.

Le journaliste doit veiller à la véracité de l’information, à la prudence et à

l’équité dans l’expression. Il ne faut pas se substituer à la justice : informer sans

condamner.

En dépit de toutes ces chartes, force est de reconnaître que les

manquements aux règles de conduite énoncées sont nombreuses, voire en

augmentation. Ce constat amène à s’interroger sur les causes de leur inefficacité.

Est-ce imputable à une absence de cadre juridique contraignant, assorti de

sanctions opposables aux entreprises de presse et à leurs salariés ou s’agit-il des

effets de l’exacerbation de logiques commerciales concurrentielles ? D’autres

causes pourraient être évoquées.

3. Les médiateurs

De nombreux journaux s’inspirant de la nécessité d’une déontologie et de

tenir compte des aspirations des lecteurs ont désigné un « Médiateur ».

L’idée d’un médiateur est née en 1913, aux Etats-Unis, quand Pulitzer créa

un bureau d’exactitude et d’équité pour recevoir les plaintes adressées au World,

son quotidien de l’Etat de New York mais il a fallu attendre 1967 pour que soit

nommé le premier médiateur. Ombudsman ou Leader Representative, le

médiateur a été désigné par certains grands médias d’Amérique du Nord. On en

dénombrait 37 en 1995 dont le Washington post, Chicago tribune, le Boston

globe, le Voice of america, Le GBC (Radio Canada).

En revanche, on en recense très peu en Europe. Il en existe en Espagne où

« El Pais » a désigné un « défenseur du lecteur » et en France auprès du journal

Le Monde depuis 1992. Dans ce quotidien national, André Laurens, Thomas

Ferenczy et maintenant Robert Solé se sont succédé dans leurs rendez-vous du

samedi pour donner à leurs lecteurs la possibilité d’exprimer leurs critiques et

leurs observations sur la façon dont le journal avait traité l’information. La

chronique hebdomadaire du médiateur est la seule qui ne soit pas relue et

échappe ainsi à tout contrôle de la rédaction.

Le médiateur du Progrès répond par lettre et au téléphone mais n’offre pas

ses colonnes aux mécontents et ne dispose lui-même d’aucune expression

rédactionnelle dans le journal.

De leur côté France 2 depuis septembre 1998 et France 3 deux mois plus

tard, dans leurs émissions respectives « Hebdo du médiateur » et « On se dit

tout » donnent l’antenne aux téléspectateurs qui souhaitent exprimer leurs griefs

sur les émissions de la semaine. Noël Copin se prête au même jeu avec les

auditeurs de RFI.

La désignation d’un médiateur témoigne de la volonté de servir le public en

lui permettant d’accéder à une information de qualité. Le but à atteindre est

essentiellement d’accroître l’auditoire. Il s’agit d’une démarche pragmatique.

La charge est en général assumée par un journaliste qui est un salarié du

journal. Il faut évidemment qu’il s’agisse d’une personnalités respectée par ses

pairs. Il reçoit les plaintes du public sur l’exactitude, l’impartialité, l’équilibre de

l’information. Il est l’avocat du public auprès de la rédaction et l’avocat des

journalistes auprès du public.

Son rôle est surtout un rôle d’observateur indépendant, objectif et crédible

« le médiateur a pour tâche de faire comprendre au lecteur comment travaillent

les journalistes, pourquoi il leur arrive de se tromper, quelles difficultés ils

rencontrent dans l’exercice de leur métier non pour les excuser mais pour éviter

malentendu et procès d’intention » (Thomas Ferenczy).

Une « Organization of news ombudsman » a été créée en 1981 et a

rassemblé environ dix pays.

Sur Radio-Canada, une émission mensuelle de vingt minutes sur la chaîne

d’information continue de langue française est très populaire.

Le recul est suffisant pour jeter un premier regard sur l’expérience du

médiateur. C’est presque toujours un journaliste qui appartient ou a appartenu au

média qui le choisit. Le niveau d’indépendance est évidemment fonction des

clauses du contrat, de sa durée et de la possibilité de le renouveler. Au journal Le

Monde, la durée est de deux ans, non renouvelable, ce qui garantit une réelle

indépendance ; au Washington Post deux ans renouvelable deux fois ; à Radio

Canada quatre ans non renouvelable.

Les journalistes ont manifesté tout d’abord quelque inquiétude, craignant

qu’il puisse s’agir là d’une atteinte à la liberté d’expression et d’un début de

censure. Certains, comme Thomas Ferenczi, ont pensé que cette institution

pouvait avoir un effet inhibant sur la rédaction.

Parallèlement, il peut être considéré par le lecteur ou le téléspectateur

comme un élément de relation publique au service de l’entreprise de médias.

Pour remplir efficacement sa mission, le médiateur doit faire preuve de

pédagogie, vérifier le travail du journaliste, savoir rassurer le public quant à son

indépendance et savoir écarter les soupçons de manipulation.

Il correspond certainement à un progrès dans les rapports entre le média et

le public. Pour autant, il ne peut évidemment, en l’état actuel des choses,

correspondre à une autorité disposant d’un pouvoir décisionnaire. Il est

seulement, comme son nom l’indique, une personne dont les qualités sont

reconnues et qui cherche à expliquer et à concilier.

4. Conclusion

Pour conclure sur ces développements, il faut noter la prise de conscience

des médias qui manifestent une très louable intention de garantir une fidélité à

l’égard des normes morales qui doivent inspirer l’activité du journaliste.

En même temps, plus la profession pourra faire la démonstration de ses

exigences déontologiques, plus elle pourra être elle-même protégée dans

l’exercice de son activité et tout particulièrement, pour citer un exemple parmi

d’autres - mais il est essentiel - dans la garantie du secret des sources.

Pour autant, il paraît difficile de parler d’une véritable déontologie dans la

mesure où les manquements ne sont soumis à aucune sanction. Certes, ils

peuvent être invoqués dans le cadre de la rupture d’un contrat de travail, mais

cette seule menace n’est peut-être pas suffisante et elle ne peut peser sur le

responsable financier de l’entreprise.

On peut s’interroger sur le point de savoir s’il est une véritable déontologie

sans sanction.

Une question peut aussi se poser à ce sujet. Afin d’être reconnus dans

l’intégralité de leurs droits et prérogatives, de voir organiser l’accès aux

documents et aux sources, mais aussi organiser le respect d’une déontologie

émanant des journalistes eux-mêmes, ne pourrait-on envisager la création d’un

ordre ou tout au moins d’un organisme institutionnel qui assumerait ses fonctions

sans en prendre le nom ? 1

L’accès aux sources se révèle de plus en plus difficile auprès des

administrations qui, prétextant différents secrets et procédant à des amalgames,

semblent souvent refuser des communications à la presse. Quant au secret des

sources, il a certes été théoriquement consacré par la loi du 4 janvier 1993 dont

l’article 55 précise que : « les perquisitions dans les locaux d’une entreprise de

presse ou de communication audiovisuelle, ne peuvent être effectuées que par un

magistrat qui veille à ce que les investigations conduites ne portent pas atteinte

au libre exercice de la profession des journalistes et ne constituent pas un

obstacle ou n’entraînent pas un retard injustifié à la diffusion de l’information ».

Parallèlement, le nouvel article 109 du code de procédure pénale déclare que

« tout journaliste entendu comme témoin sur des informations recueillies dans

l’exercice de son activité est libre de ne pas en révéler l’origine ».

Sur le plan pratique, les commentaires des auteurs et la jurisprudence

montrent que ces dispositions sont d’une efficacité relative. Cependant, il est

difficile de penser que les journalistes puissent arriver à une systématisation de

ce secret sans que des garanties soient apportées par l’organisme auxquels ils

appartiennent. Le Professeur Derieux écrit à ce sujet : « parmi d’autres, la

question du secret professionnel des journalistes... fournit une illustration du

caractère fort limité de l’éthique ou déontologie journalistique, en l’absence de

toute véritable formulation de tels principes et de l’inexistence de toute instance

ou institution professionnelle compétente pour dégager ces principes et en

assurer le contrôle et le respect... pas plus que cette juridiction de ses pairs,

aucune autre instance de ce type n’a non plus été créée, en France, pour

garantir le respect des droits et des devoirs du journaliste dans l’exercice de sa

profession... Là encore, l’accord entre les diverses catégories professionnelles -

d’employeurs et de journalistes - et la création d’institutions de contrôle

constitueraient un préalable nécessaire ». 1

Les journalistes jusqu’ici paraissaient hostiles, craignant de voir leurs

libertés altérées par une caste de mandarins dont ils redoutent ainsi la

constitution.

Il semble toutefois qu’un mouvement d’opinion se dessine en faveur d’une

telle idée. Lors de l’émission le « vrai journal » de Karl Zéro du dimanche

31 janvier 1999 à laquelle il a été fait allusion ci-dessus, le journaliste

Pierre Hurel présentant « le bidonnage » ne déclarait-il pas spontanément, après

le rappel de quelques dérives, qu’on ne pouvait pas rester passif et que peut-être

la constitution d’un ordre pouvait être envisagée ? Le Syndicat national des

journalistes n’a pas toujours été hostile à la création d’une juridiction spécifique.

C’est ainsi que le code de bonne conduite dans sa rédaction de 1938 prévoyait :

« le journaliste ne reconnaît que la juridiction de ses pairs, souveraine en

matière d’honneur professionnel ». C’est au demeurant le propre d’un ordre.

Régulièrement, il est tiré argument de ce que la majorité des ordres sont nés sous

Vichy. Il faut seulement rappeler que l’Ordre des avocats a quelque six siècles

d’existence et que c’est probablement grâce à lui qu’une profession où

l’indépendance est sans doute aussi difficile à sauvegarder, a pu traverser les

âges en protégeant son autonomie à l’égard des pouvoirs politiques et financiers.

Il n’est pas inutile de rappeler ce qu’Albert Camus répondait au journal Le

Monde en 1957 : « J’ai toujours regretté qu’il n’existe pas un Ordre des

journalistes qui veillerait à défendre la liberté de la profession et les devoirs que

cette liberté comporte nécessairement ».

Aucune solution n’est évidemment parfaite, et quelles que soient les

institutions, les dérives ne peuvent jamais être complètement évitées. Mais il

s’agit peut-être là d’un axe de réflexion qui mériterait d’être à nouveau exploré.

D - LA FORMATION

Si l’importance croissante des médias et leur influence imposent une

référence à la déontologie, elles doivent également conduire à porter une

attention prioritaire à la formation. Certes, formation des journalistes d’abord ;

mais aussi formation du public à qui doit être appris le langage de l’image, à qui

on doit montrer sa relativité et la nécessité de savoir s’en protéger.

1. La formation des journalistes

1.1. La fonction sociale des journalistes

Le rôle des journalistes et leur responsabilité sociale seront de plus en plus

essentiels dans l’information du citoyen et le maintien de la démocratie.

Dominique Wolton, répondant à Didier Adès, déclarait1 « avec Internet...

n’importe quelle information peut faire le tour du monde en 20 secondes... »

Cette rapidité, cette transparence de la transmission des informations paraissent

être conformes à l’idéal démocratique explique-t-il. Mais, il ajoute : « on

s’aperçoit qu’il y a de vrais problèmes culturels, que la démocratie ce n’est pas

forcément de tout mettre, tout sur le Web, ce n’est pas forcément de mettre toutes

les informations accessibles par tout le monde. Pourquoi ? Pour deux raisons :

la première c’est qu’il y a un problème de compétence. Tout le monde ne peut

pas comprendre l’ensemble des interventions économiques, financières,

militaires, stratégiques. On est obligé de passer par le filtre d’un professeur ou

d’un documentaliste ou d’un journaliste pour comprendre un certain nombre de

choses... Deuxième contrainte, c’est que si ce système Internet sur le plan

technique est formidable puisqu’il permet de tout diffuser, la question qui est

posée c’est qui contrôle la véracité des informations... Il faut qu’il y ait des

professionnels qui s’appellent des journalistes dont le seul métier est de vérifier

la qualité et la justesse des informations... La démocratie, aujourd’hui, ce n’est

pas l’absence d’intermédiaires, c’est au contraire de restituer et de revaloriser

le rôle des intermédiaires, c’est-à-dire des journalistes, des hommes politiques,

de tous ceux qui permettent de filtrer l’accès et l’interprétation et la

connaissance du monde ». Il souligne enfin que, lors de l’affaire Clinton, les

journalistes ne se sont pas rendu compte qu’ils « abandonnaient leur fonction de

journaliste en se transformant en simples transmetteurs. Transmettre, ce n’est

pas exercer une fonction d’information parce que, pour transmettre de

l’information, il faut l’avoir construite... Cela veut dire que cette fonction de tri,

de hiérarchisation de l’information, de sélection de l’information,

d’organisation de l’information, est une fonction essentielle et qui fait la

grandeur du métier de journaliste ».

On ne pouvait mieux expliquer combien, compte tenu du rôle social

prééminent que doit remplir le journaliste, une déontologie, d’abord, et cela a été

précédemment évoqué, mais aussi une formation bien adaptée, sont nécessaires.

La rapidité de la transmission impose à ceux qui devront en assumer la

responsabilité une compétence, une rigueur particulière, et aussi une formation

efficace tant sur le plan de la culture générale que sur celui de techniques

spécialisées.

1.2. Des compétences souvent acquises par la pratique

Il faut noter qu’en dépit de l’absence de formation spécifique 52 % des

jeunes journalistes (moins de 31 ans) sont titulaires d’un diplôme de

l’enseignement supérieur. Parmi ceux-ci plus de la moitié d’entre eux possèdent

une maîtrise. Les cursus sont variés : les sciences humaines viennent en premier

lieu, puis le droit, les sciences politiques, les lettres, le journalisme, les sciences

de l’information et de la communication et enfin les sciences et techniques.

Des actions de formation continue organisées en liaison avec l’entreprise

devraient permettre une actualisation des connaissances, en particulier

juridiques, et une mise à niveau des nouvelles techniques de communication.

On peut donc considérer que majoritairement les journalistes disposent

d’une formation initiale et générale solide mais qu’ils acquièrent leur métier sur

le terrain. Ce métier est multiple et diversifié. Il y a peu de points communs entre

le « rubriquard » de politique générale, le pigiste des faits divers, le reporter

photographe des grands conflits ou encore le spécialiste du droit du travail.

Chacun d’entre eux nécessite des compétences et des connaissances spécifiques.

En outre, la compréhension du milieu et le carnet d’adresses s’acquièrent et se

constituent sur le terrain au fil du temps. C’est pourquoi le nombre de

journalistes formé sur le tas est important. Cependant, on peut regretter que les

techniques journalistiques (analyse, synthèse, mise en perspective,

déontologie...) et le droit qui semblent être les connaissances minimales de base

ne soient pas obligatoirement vérifiés au moment de la délivrance de la carte de

journaliste professionnel. Ce dernier qualificatif justifierait cette exigence et

améliorerait les relations avec le monde économique et social qui ressent le plus

grand malaise à la lecture ou à l’écoute d’articles ou d’émissions pouvant

contenir des inexactitudes.

S’agissant de la formation professionnelle, selon les chiffres donnés par le

Professeur Michel Mathien1 et confirmés par M. Claude Furet, directeur du

Centre de perfectionnement des journalistes, 15 % seulement des journalistes

sont issus d’écoles ou de centres de formation professionnelle, 75 % d’entre eux

ne suivent aucune action de formation permanente. « L’information des Français

- écrit Claude Furet - dépend de professionnels très peu formés. Et, loin de

s’améliorer, la situation s’aggrave encore. Alors qu’il y a une vingtaine

d’années, 25 % des journalistes sortaient d’une école de journalisme, il ne sont

plus aujourd’hui que 15 % ». Il faut rapprocher cette situation de celle des

salariés des autres secteurs, dont 30 % en moyenne suivent une formation

continue, ce pourcentage s’élevant à environ 50 % pour les cadres. « Les

journalistes français figurent donc parmi les professionnels les moins formés et

les moins perfectionnés de notre pays ».

Le Professeur Mathien a pu écrire, constatant cette insuffisance de

formation : « la couverture des crises internationales récentes a mis en relief des

carences dans ce domaine : méconnaissance des problèmes de géostratégie, de

sécurité, de défense, de problèmes militaires, de l’histoire, des religions, de la

diversité des populations, de la réalité et de l’importance des « nuances » etc.

L’éthique des journalistes et des médias ne saurait donc être dissociée de la

connaissance sans cesse renouvelée des êtres et des choses ».

1.3. Les centres de formation

Ces centres se sont peu à peu développés. Les établissements reconnus

figurent dans les versions successives de la convention collective : l’Ecole

supérieure du journalisme de Lille, la plus ancienne, créée en 1924, le Centre de

formation des journalistes de Paris, en 1946, puis le Centre universitaire

d’enseignement du journalisme au sein de l’université de Strasbourg, en 1957, et

les départements du journalisme des Instituts universitaires de technologie de

Bordeaux et de Toulon, en 1968. Viennent ensuite la filière journalisme de

l’université de Paris IV, le Centre transméditerranéen de communication de

l’université d’Aix-Marseille et l’Institut professionnel du journalisme de Paris.

Des formations internes aux entreprises ont également été organisées. C’est

le cas de l’Académie pour la presse magazine, créée par le groupe Prisma presse

(Çà m’intéresse - Prima - Femme actuelle - Télé Loisirs - Voici - Média cuisine -

Capital - Gala).

Nombre d’associations professionnelles spécialisées et syndicats

s’investissent dans la formation et permettent aux journalistes d’acquérir les

compétences nécessaires dans les rubriques dont ils sont chargés.

Ouest France et France 3 proposent des formations internes. De son côté,

le Centre de perfectionnement des journalistes organise des stages

interentreprises de un à cinq jours dans divers domaines (droit de la presse - droit

de l’image - droit de l’internet et du multimédia, etc.) , des interventions et des

stages dans les entreprises, des conférences de spécialistes du droit de la

communication. Il édite également différents ouvrages.

La question se pose de savoir si les pouvoirs publics doivent s’engager

dans une politique incitative ou obligatoire de formation. Il paraît en tout cas

nécessaire d’inciter les entreprises à organiser des actions de formation continue.

2. La formation du public

Parallèlement, il est évident qu’il y a lieu d’assurer la formation du lecteur,

de l’auditeur ou du téléspectateur.

2.1. Apprendre à « lire l’image »

A cet égard, on ne saurait trop souligner les potentialités culturelles offertes

par le magnétoscope. Il permet, en quelque sorte, une forme de « lecture

rapide ». On peut, comme on apprend à lire en diagonale, visionner un document

en passant en accéléré. On disait autrefois qu’il manquait à la télévision la fin de

chapitre, la page blanche du livre. Elle existe désormais grâce à cet appareil.

Par ailleurs, sont apparues des émissions qui incitent à une réflexion sur

l’image et à son analyse. Elles sont malheureusement trop rares et souvent

méconnues. « Arrêt sur image » sur la Cinquième représente une tentative de ce

type d’émission. Son promoteur, Daniel Schneidermann utilise une méthode

consistant à comparer deux ou plusieurs présentations d’un même évènement par

différentes chaînes. Les sujets sur les trois rescapés du massif de la Vanoise en

ont fourni une illustration. Sur une chaîne, l’interview avait été coupée au

moment où les rescapés se retiraient et où l’un d’eux mécontent d’une question

posée en fin d’interview menaçait le journaliste. Sur une autre chaîne, cette

séquence avait été conservée. L’impression laissée par les trois hommes était

évidemment tout à fait différente selon que l’on avait regardé l’une ou l’autre

chaîne. Comme souvent, des enfants d’une classe étaient invités à réagir : il

s’agit aussi d’apprendre à décrypter l’image.

Aux Etats-Unis, « Brill’s Content » s’emploie à la même tâche et, ce qui

est révélateur, paraît connaître un grand succès de diffusion.

Ce mensuel a été créé aux Etats-Unis pendant l’été 1998, par Steven Brill,

un ancien avocat1. Le magazine cherche à expliciter les pratiques et les méthodes

de la presse écrite et audiovisuelle ainsi que celle du Net. Il a presque

immédiatement atteint le chiffre de 225 000 ventes par mois. Steven Brill déclare

« nous ne sommes pas seulement là pour attaquer la presse, pour dire ce qui va

mal, mais aussi pour expliquer comment les médias travaillent, leurs critères et

leurs méthodes ».

2.2. Il faut aussi apprendre à lire l’image dans le cadre scolaire

C’est ce que le Professeur de Smedt appelle « l’alphabétisation à

l’audiovisuel »2.

Certes, l’informatique a commencé à pénétrer dans le milieu scolaire. Mais

il s’est surtout agi de l’utiliser comme moyen d’appréhension de la connaissance

et du savoir. Différentes expériences ont eu lieu dans ce sens.

Beaucoup plus rares paraissent avoir été celles qui ont consisté à apprendre

les médias, à apprendre l’image. Ainsi, l’organisation chaque année dans les

établissements scolaires de « la semaine de la presse à l’école » vise davantage à

apprendre, au moyen d’une expérience pratique, comment se fabrique un journal

et, par ce biais, à promouvoir la presse, que de procéder à une analyse critique

des moyens de communication écrits et audiovisuels.

Il faut toutefois rappeler que nombre d’enseignants et d’établissements

n’ont pas attendu des directives ministérielles pour étudier la presse écrite et

audiovisuelle et leurs langages spécifiques. De même, le milieu associatif, dans

le cadre des centres de loisirs et colonies de vacances, a développé des actions

similaires. Il conviendrait sans doute d’évaluer ces expériences et d’en proposer

l’extension, voire leur intégration dans les programmes scolaires. Ceci suppose

que soient dégagés les moyens matériels nécessaires et que les enseignants

puissent bénéficier d’une formation adaptée.

Alain Gérard, dans le rapport qui avait été demandé le 12 novembre 1996

par le Premier ministre, sur le multimédia et les réseaux dans l’éducation,

écrivait : « tous les savoirs liés à la recherche de l’information, à l’exercice du

sens critique dans cette démarche, à la maîtrise des différents niveaux

d’abstraction des documents obtenus, à l’apprentissage de la lecture de

l’image... doivent être enseignés dans l’enseignement secondaire ».

Il faut aussi apprendre à opérer un recul par rapport à l’image. Comme

l’écrit le Professeur de Smedt « nous approchons aussi dans les images, des

situations particulières plutôt que des éléments conceptuels. Notre connaissance

est ainsi de l’ordre du particulier. Cela induit des processus de pensée qui sont

souvent d’ailleurs, dans nombre de théories, rapprochés ou assimilés aux rêves

ou à la logique de l’inconscient. Nous sommes donc plongés dans un état

« spectatoriel » où nous vivons une participation numérique dans laquelle notre

désir, nos investissements libidinaux, se déploient avec facilité. Nous y perdons

notre ancrage dans la réalité, l’ici et le maintenant, pour vivre quelques instants

dans la réalité filmique »1.

Il faut enseigner aux élèves et aux collégiens quels sont les procédés

d’élaboration de l’image, la puissance avec laquelle elle peut avoir une influence

sur notre psychisme, et aussi le fait qu’il ne peut y avoir d’objectivité absolue.

« Qui fait profession d’observer les professions et les hommes les voit à travers

un prisme qui reflète et qui recompose la réalité. L’objectivité consiste à

annoncer la couleur du verre et à décrire le format du prisme »2.

Cette relativité, cette prudence dans l’observation, cette permanence dans

la réserve et en même temps dans la tolérance avec laquelle l’évènement et sa

perception par l’image doivent être reçus, constituent une constante

psychologique dont l’homme doit sans doute être imprégné dès son enfance.

Il semble que des efforts considérables doivent être faits pour qu’un

enseignement spécifique soit dispensé dans le secondaire, voire dès le primaire.

Une commission ayant pour tâche de définir l’introduction de l’éducation

aux médias dans le programme scolaire de la Belgique francophone suggérait les

rubriques suivantes : les langages - les publics - les représentations - les

technologies - les typologies - la production.

Des initiatives ont été prises dans les académies de Bordeaux, de

Montpellier, de Versailles mais, ainsi que rappelé ci-dessus, il s’agissait plus de

l’utilisation des médias comme mode d’enseignement que d’une étude sur les

médias.