Un conseil national d’éthique et de médiation, instance indispensable pour les entreprises médiatiques





Les travaux des Etats généraux de la presse écrite à l’automne 2008 (groupes « Métiers du journalisme » et « Confiance ») ont montré l’importance et l’urgence d’un dispositif favorisant l’éthique, la déontologie et la qualité de l’information, en vue de restaurer la crédibilité des journalistes et la confiance des publics envers les médias d’information (cf. baromètre annuel TNS-SOFRES pour La Croix).
Une charte commune et reconnue. Le dispositif à mettre en œuvre repose d’abord sur l’adoption d’un texte déontologique national de référence, s’imposant à tous – journalistes et éditeurs de médias – et porté à la connaissance des publics. Il existe déjà des textes adoptés par les syndicats (SNJ 1918-1938 et Munich 1971), ainsi que le projet actualisé de « Charte qualité de l’information » (2008), mais ils n’ont pas été avalisés par toute la profession. Les chartes spécifiques à tel ou tel média (en presse écrite comme dans l’audiovisuel), de leur côté, ne couvrent pas toutes les exigences. D’une part, l’existence d’un système médiatique global plonge le consommateur d’information, le citoyen, dans un bain de nouvelles largement redondantes et il ne distingue plus toujours l’origine de celles-ci (les témoignages de médiateurs de quotidiens régionaux, par exemple, sont édifiants : des lecteurs adressent des critiques à leur journal pour des fautes commises par d’autres médias…). D’autre part, la taille réduite de la rédaction de très nombreux médias et le recours à des moyens de production extérieurs (agences, pigistes, sociétés de production…) rendent eux aussi nécessaire un texte national, que nul ne soit censé ignorer s’il concourt à la production éditoriale.

Des médiateurs quand c’est possible. Mais une « charte » d’éthique et de qualité de l’information, commune et reconnue, ne suffit pas. De nombreux exemples montrent déjà que l’adoption d’une charte spécifique dans un média écrit ou audiovisuel ne garantit pas contre les erreurs, les dérapages et les manquements à la déontologie, parfois suffisamment graves pour faire débat publiquement. La création de postes de médiateurs dans une quinzaine de médias – à l’initiative des éditeurs de presse écrite et audiovisuelle – vise à permettre au public d’exprimer ses critiques et au média d’y répondre, dans le but de maintenir ou de retrouver la crédibilité et la confiance. C’est un des éléments utiles lorsque la taille de l’entreprise rend possible et pertinent l’existence de tels postes.

Avis, veille et débat. La solution, à l’instar de celles adoptées dans une centaine de pays depuis la Suède en 1916 (sous la dénomination générique de « conseil de presse ») est de compléter la « charte nationale » par une « instance nationale d’éthique et de médiation » de l’information : elle est chargée d’exercer une veille permanente sur les respect des bonnes pratiques, de recevoir les plaintes du public et de rendre des avis motivés après enquête contradictoire, d’être un lieu de débat public sur la qualité de l’information. Une telle instance a besoin d’une charte de référence pour fonctionner, une charte a besoin d’une instance pour être efficace.

L’intérêt des éditeurs. Les éditeurs de presse (écrite, audiovisuelle, électronique) ont tout intérêt à promouvoir un conseil d’éthique et de médiation en France. Pour plusieurs raisons.

  • Renforcer la crédibilité des médias. Etre à l’écoute du public et rendre des « avis » va à l’encontre du sentiment largement répandu que les journalistes et les médias « sont intouchables ». Il s’agit de contrecarrer l’idée reçue (propagée notamment sur Internet) que la presse ne dit pas la vérité et qu’elle est à la solde d’intérêts publics et privés.
  • Eviter des actions en justice. L’existence d’un « conseil d’éthique et de médiation » a de ce point de vue un double avantage, pour le public et pour les éditeurs. Le public est incapable dans la plupart des cas, pour des raisons financières notamment, d’aller en justice lorsque les faits reprochés l’autorisent ou que le droit de réponse lui a été refusé : la médiation, gratuite, lui permet d’être entendu. Mais l’éditeur trouverait de son côté dans cette instance médiane et préventive le moyen d’éviter les coûts et les tracasseries des actions judiciaires. L’expérience de nombreux conseils de presse étrangers le montre. Les éditeurs auraient donc tout intérêt à promouvoir eux-mêmes une instance de ce type. Car sans conseil d’éthique et de médiation contrôlé par la profession, la déontologie journalistique est soumise au pouvoir des juges et à la pression des avocats.
  • La liberté de la presse va de pair avec l’autorégulation. Dans une conception libérale, qui est celle de notre démocratie, la plus grande liberté (nécessaire dans le cas de l’information) ne peut fonctionner sans l’exercice volontaire de la responsabilité, que le public soit « consommateur » ou « citoyen ». Sinon, les pouvoirs publics ont le devoir d’intervenir. Dans le domaine particulier de l’information financière et boursière, en application d’une directive européenne de défense du consommateur, la loi Breton du 26 juillet 2005 a conduit les éditeurs à créer FIDEO, association « d’autodiscipline » régie par un « code de bonne conduite » qu’ils ont élaboré. Pour l’information tout court (et pas seulement « générale et politique ») les dirigeants des entreprises médiatiques ont tout intérêt à promouvoir un dispositif dissuadant l’Etat d’intervenir, comme il l’a fait dans d’autres secteurs de l’activité sociale. La pression du public, celle des journalistes qui commencent à prendre conscience de la nécessité de redonner à leur métier sa respectabilité, pourraient l’y conduire. Mettre en place une instance d’éthique et de médiation est aussi – pour la presse écrite du moins – le moyen de montrer aux citoyens (qui vont payer les aides supplémentaires destinées à maintenir le pluralisme de l’information dans le contexte de la crise) que les médias tiennent compte de leurs critiques et ne s’intéressent pas qu’à leur argent. Un message fort.
  • Une réponse appropriée pour les « petits » médias. Une grande partie des médias (presse écrite, agences, radios et télévisions de proximité…) n’ont pas les moyens de se doter d’un dispositif autonome de médiation avec le public. Ils n’en sont pas moins, comme les « grands » médias, soumis aux contraintes du système médiatique et aux critiques du public. Une instance nationale (comme une charte nationale) est la réponse appropriée.
  • Renforcer les liens avec le public. Une instance d’éthique et de médiation ne peut plus se concevoir, dans une démocratie moderne et à l’heure d’Internet, comme découlant du principe étroitement corporatiste en vogue au XXème  siècle : le « jugement des pairs » (qui figure dans la charte du SNJ de 1938 et dans la charte européenne de 1971). Ce principe a pourtant encore été défendu par des participants, notamment journalistes, au sein des Etats généraux de la presse écrite… Une instance n’associant pas le public n’aurait plus, aujourd’hui, de crédibilité. Et ce public, c’est lui que les entreprises médiatiques doivent savoir faire venir à elles. Celles-ci auraient donc intérêt à défendre le point de vue d’une instance tripartite – éditeurs, journalistes, représentants du public – , voire de prendre l’initiative de la mettre en œuvre et de faire en sorte que la représentation du public ne soit pas réduite à une simple cooptation.