Le médiateur de presse dans un monde numérique

en l’an 17 avant Jésus Christ, Virgile, dans l’Enéide, apparentait la nature de la rumeur à cent 
langues
…opiniâtres messagères d’inventions, de fausseté comme de vérité.  Se plaisant à répandre partout les propos les plus divers, elle diffusait à la fois des faits réels et d’autres qui ne l’étaient pas.
Vingt siècles plus tard, la description de Virgile se prête toujours aux vecteurs de bavardages planétaires que sont les médias sociaux comme Twitter, Facebook et leurs nombreux dérivés.  Ce « cinquième pouvoir », comme on l’appelle parfois, se conduit en colosse indiscipliné.  Le sociologue William Dutton, à qui on doit l’expression, en fait la description suivante :
Des individus très interconnectés (grâce aux plateformes technologiques nouvelles telles que les réseaux sociaux et les messageries) peuvent sortir des limites des institutions existantes, les fragiliser ou les outrepasser.  Ils sont à la base de réseaux socialement très soudés qui composent ce que j’appelle le Cinquième Pouvoir.2
Parallèlement, le quatrième pouvoir, c'est-à-dire le journalisme, évolue aussi bien dans l’environnement virtuel que dans le monde réel, et ce dans un cadre professionnel auto réglementé.  Il est composé d’un groupe relativement restreint de personnes travaillant vers un objectif spécifique, qui est celui d’écarter tout ce qui est du domaine de la rumeur et de la bêtise pour produire et diffuser une information à caractère politique, économique et social sur laquelle les publics visés puissent se fier.
C’est parce que les médias d’information ont cette capacité, cette constance et cette crédibilité que le journalisme d’actualité occupe une place à part parmi l’avalanche d’informations qui caractérise l’espace cybernétique.  Si la profession perd cette crédibilité, le public, dont les compétences informatiques sont de plus en plus solides, risque de considérer, à juste titre, que le journalisme est superflu.  Par le passé, les organismes d’information privilégiaient le scoop, l’exclusivité.  Si cet aspect de notre activité reste important, c’est aujourd’hui, avec l’ère de l’information, le maintien de la crédibilité et de la confiance qui sont les garants de la longévité de la profession.
Cette communication vise à examiner le rôle du médiateur de presse dans un journalisme numérique en pleine maturation.  Elle cherchera à mettre en exergue certains des défis auxquels nous sommes confrontés, nous, médiateurs de presse, ainsi que les organisations qui nous emploient, dans un environnement où nous sommes de plus en plus connectés à nos différents publics.  Elle s’attachera à proposer des orientations permettant à la fonction de médiateur de presse et à l’ONO de s’adapter aux nouvelles formes de production et de contenu qui transforment la pratique et la perception du journalisme.
Le rôle du médiateur de presse
À mesure que s’intensifie la communication entre les organismes d’information et leurs publics, et que ces publics sont de plus en plus organisés en réseaux, les organismes d’information sont de plus en plus tenus de justifier ce qu’ils diffusent. Comme nous le savons tous, cette responsabilisation passe par l’adhésion à un ensemble de principes journalistiques communs.
C’est au médiateur de presse qu’il incombe d’évaluer si son organisation souscrit à ses principes.  Son rayon d’action reflète l’environnement juridique et réglementaire dans laquelle son organisation fonctionne.  Un examen de la composition actuelle de l’ONO met en évidence plusieurs types de médiateurs de presse :

·      le médiateur de presse interne, comme on le rencontre aux États-Unis, est indépendant et apporte un regard critique au traitement de l’actualité, particulièrement à celui de son organisation.
·      le médiateur de presse chargé de l’application du code interne traite de façon officielle les griefs du public et les confronte au Code déontologique de l’organisation qui l’emploie ; il représente son organisation face à l’organe national de régulation de l’audiovisuel.  Il peut éventuellement, mais pas nécessairement, participer à des discussions plus générales portant sur des questions de normes journalistiques.
·      le médiateur de presse « à l’antenne » a sa propre émission de radio ou de télévision dans laquelle il répond en public aux plaintes des téléspectateurs ou auditeurs et se livre lui-même à des critiques des médias.
·      le responsable des normes journalistiques à la télévision a pour rôle de gérer les plaintes des téléspectateurs mais est également impliqué dans les processus d’élaboration des principes journalistiques.
Médiateurs de presse et cadres règlementaires
Les médiateurs de presse sont soumis à différents systèmes règlementaires selon
les organismes d’information et les pays.  En règle générale, un organe de régulation national fait fonction de juridiction d’appel lorsque le consommateur d’actualité auteur d’une plainte n’est pas satisfait de la réponse qu’il a reçue de l’organisme d’information par l’intermédiaire de son médiateur de presse.
Le système australien est représentatif de la plupart des régimes réglementaires auxquels sont soumis les médias dans les pays occidentaux, à l’exception des États- Unis où les restrictions imposées aux organismes d’information sont moins importantes.  En Australie, le « Press Council » ou Conseil de la presse, organe d’autorégulation de la presse, examine en toute indépendance les plaintes formulées contre les journaux et les magazines.  Un autre organe de régulation national, l’Australian Communications and Media Authority, enquête sur les plaintes relatives aux normes journalistiques des groupes audiovisuels publics et privés.  Le journalisme en ligne relève à la fois de ces deux entités, statut qui, j’imagine, se clarifiera au fil des années.
Quelle est donc la voie de l’avenir pour le médiateur de presse, à la fois interlocuteur d’un public plus informé et mieux connecté, et représentant d’un organisme d’information de plus en plus décrédibilisé par les détenteurs du cinquième pouvoir ?
Les médias institutionnels
Qu’on se rassure : on ne peut ignorer l’actualité.  Elle est omniprésente et continue, que ce soit en ligne, à la télévision ou sur nos appareils électroniques de poche. L’accès à l’information n’a jamais été aussi facile, point d’ancrage permanent dans le domaine planétaire de l’information, espace de stabilité dans un monde instable.
Les organismes d’information, probablement parce qu’ils emploient des professionnels, continuent d’être les mieux placés de la blogosphère en terme de rapidité de diffusion de l’information.  Des études menées par le département d’informatique de Cornell University ont révélé que, lors des élections présidentielles américaines, les informations étaient d’une façon générale diffusées en premier par les organismes d’information traditionnels, et non pas sur la blogosphère.  Peut-être cela reflète-t-il la nature des comptes-rendus de l’actualité politique ?

Les auteurs de ces études ont suivi, sur une période de trois mois précédant les élections présidentielles de 2008, 1,6 millions de sites d’information en ligne, dont
20,000 appartenant aux médias classiques ainsi qu’un nombre important de blogues
– soit un total de 90 millions d’articles.  Ils ont constaté que :
Presque tous les articles partaient d’un média traditionnel.  Seuls 3,5 % des articles recensés sont apparus pour la première fois sur la blogosphère et ont ensuite été relayés par les médias traditionnels.3
Les attentes du public consommateur d’actualités
Les pressions subies par les organismes d’information pour rester au fait de l’actualité deviennent cependant de plus en plus problématiques.  Quand la BBC a diffusé, lors des attentats de Bombay en 2008, des éléments d’information non confirmés provenant de Twitter, trois types de réactions se sont rencontrés sur le blogue du rédacteur en chef :
a)   N’utilisez pas Twitter ou toute autre source informelle – vous êtes la BBC –
nous voulons des faits solides, et rien d’autre.
b)   Utilisez les médias sociaux; se servir de ce que les autres savent pour s’informer, c’est faire preuve d’intelligence.
c)   Utilisez les deux, mais INDIQUEZ-LE clairement.  Séparez même les deux types d’informations.4
Le public exige donc des informations fiables et ne veut pas être traité comme un imbécile par les organismes d’information.  Tyler Brûlé, gourou du design et chroniqueur au Financial Times, a exprimé son inquiétude face aux éditions spéciales diffusées par CNN sur Haïti :
J’étais cloué sur place dans la lueur de mon poste de télévision : une séquence entière était consacrée à Cooper prenant part à l’actualité en portant secours à un jeune Haïtien alors que Dr Gupta expliquait à Larry comment plus tôt ce jour-là il avait dû abandonner de son rôle de journaliste pour procéder à une opération du cerveau.
J’imaginais à la régie de CNN à Atlanta un producteur zélé brandissant un poing victorieux à l’idée qu’ils venaient de créer l’actualité audiovisuelle.   Peut-être
échangeait-il ou elle des « high-five » avec ses collègues en s’exclamant « Ça y est ! CNN ne se contente pas de présenter l’actualité.  Elle crée l’actualité. ” 5
Brûlé, comme les blogueurs de la BBC, représente un public consommateur d’actualités éduqué.  Aujourd’hui, les organismes d’information ne peuvent pas simuler la crédibilité.  Ils doivent être crédibles.  Cela passe par des principes journalistiques bien définis et un engagement public d’adhésion à ses principes.




Limites
En mars, le British Press Council, « Conseil britannique de la presse », a réaffirmé ces principes en se prononçant contre l’un des journalistes du Spectator qui avait publié une information erronée dans le blogue de son journal.  Le journaliste réputé Rod Liddle avait en effet écrit que :
L’écrasante majorité des crimes de rues, des attaques au couteau et des crimes de violence sexuelle à Londres sont perpétrés par des jeunes hommes issus de la communauté africaine des Caraïbes.6
Le PCC a souligné qu’il était « difficile de prétendre que la phrase en question ne faisait que représenter le point de vue du chroniqueur, qui peut être contesté.  Il s’agissait au contraire d’une description de fait ».
Et Roy Greenslade d’ajouter dans son blogue dans le Guardian :
Dans un monde en ligne apparemment anarchique, dans lequel un nombre apparemment infini de personnes sont prêtes à colporter des mensonges et à déformer la réalité, il est extrêmement important de gagner la confiance du public.  Les journaux et les magazines sérieux s’assureront la fidélité de leurs lecteurs s’ils font preuve de crédibilité, d’intégrité et d’autorité.  Leur contenu journalistique se doit donc d’être
exact, honnête et impartial.  En montrant que le site internet d’un magazine ne peut se permettre de publier une déclaration erronée, le PCC a conforté le public dans l’idée que les journalistes britanniques qui publient en ligne ne peuvent pas dire n’importe
quoi.7
La leçon que l’on peut tirer du cas Liddle est claire : les organismes d’information ne peuvent pas utiliser la technologie pour contourner leurs propres principes journalistiques ; un blogue ne donne pas carte blanche.  Tout ce qui paraît sous le nom d’une organisation doit être conforme à ses principes journalistiques.
Megan Garber, dans le Columbia Journalism Review du 4 mars 2010, pressait les journalistes à se mobiliser professionnellement  et culturellement et à se rallier à la voix institutionnelle, la voix discursive lorsqu’elle écrivait :
… parce que la technologie permet des stratégies de distribution de contenus de plus en plus individualistes, le journalisme institutionnel se fait rare.  Ce qui veut dire, à mon avis, qu’il gagne en valeur.  C’est là un point de vue auquel les organismes d’information devraient adhérer et donner un large écho. 8
Cette voix institutionnelle s’articule en premier dans nos divers Codes déontologiques ou normes journalistiques qui sont, bien évidemment, remarquablement similaires.
Le British Press Council
i)      La presse doit s’assurer de ne pas publier des informations inexactes, trompeuses ou déformées, y compris dans ses images.
ii)   Toute inexactitude, déclaration trompeuse ou déformation des faits doit être, une fois constatée, corrigée sans délai et de façon bien visible.  Cette correction peut au besoin s’accompagner d’excuses.

iii)   La presse, tout en étant libre de prendre position, se doit de faire la distinction entre ce qui relève du commentaire, de la conjecture et des faits.
iv)  Une publication doit, sauf accord préalable ou déclaration préalablement publiée, faire état, avec honnêteté et exactitude, de l’issue d’une action en justice pour diffamation dont elle aurait été partie.9
La Canadian Broadcasting Corporation
·      Exactitude: L’information présentée est conforme à la réalité et n’est d’aucune façon trompeuse ou erronée.  Cette exigence implique non seulement une recherche minutieuse et approfondie des faits mais également une utilisation rigoureuse du langage et des techniques de production, y compris des éléments visuels.
·      Intégrité: L’information doit être honnête, et non pas déformée pour justifier une certaine conclusion.  Les groupes audiovisuels ne doivent pas profiter de leur pouvoir pour présenter un parti pris personnel.
·      Bonne foi: L’information présente ou reflète de façon équitable les faits pertinents et les points de vue importants ; elle traite de façon juste et éthique les personnes, les institutions, les questions et les évènements.10
Les principes journalistiques de PBS America
A)   Bonne foi - …les producteurs doivent également adhérer aux principes de transparence et d’honnêteté en utilisant la signalétique appropriée et en faisant état de toute exonération de responsabilité,  mise à jour ou autre information susceptible de faire comprendre clairement au public ce qu’il voit.
B)   Exactitude – Tout doit être mis en œuvre pour s’assurer que l’information présentée est exacte et contextualisée.   Les émissions, les sites internet et tout autre contenu comportant des éditoriaux, des analyses, des commentaires et des points de vue doivent répondre aux mêmes exigences d’exactitude factuelle que les reportages d’actualité.  Ce souci d’exactitude implique d’être disposé à rétablir les faits si des informations nouvelles pertinentes justifiant une correction sont mises à jour, et de répondre aux réactions et aux questions du public.
C)  Objectivité – Avec la bonne fois et l’exactitude, l’objectivité est le troisième principe fondamental auquel les journalistes sont tenus.  …L’objectivité.. va au-delà d’une présentation neutre de l’actualité et de l’information…,  les journalistes doivent entamer toute enquête l’esprit ouvert, et sans chercher à privilégier un point de vue prédéterminé.
D)  Impartialité – PBS cherche à présenter, dans le temps, des émissions qui traitent d’un vaste éventail de sujets, et selon diverses perspectives.  Il appartient cependant à PBS de déterminer non seulement dans quelle mesure les émissions diffusées contribuent à l’équilibre général de la programmation, mais également si
une séquence donnée est présentée de façon honnête compte tenu des informations disponibles.11
Principes journalistiques
Au cours des années 1990, ce sont précisément ces principes qui ont été remis en question par des universitaires et par certains journalistes qui les jugeaient inatteignables.  Les scandales qui ont cependant éclaboussé les organismes d’information ces dernières années, allant même jusqu’à atteindre la BBC et le New York Times sur des questions de crédibilité, suggèrent que les organismes d’information et leurs publics continuent de penser que ces principes sont au cœur d’un journalisme de qualité.
Julian Baggini, dans sa publication de 2003 intitulée La Philosophie du journalisme, souligne que :
·      L’idée que les journalistes devraient tendre vers l’objectivité n’est ni anachronique ni incohérente.  En fait, l’objectivité est précisément ce que nous devons viser.
·      Les sceptiques qui objectent qu’on ne peut jamais totalement s’abstenir de prendre position ne font qu’avancer un lieu commun…  L’objectivité maximale est une fin réaliste et louable et n’est en aucun cas à remettre en cause.
Il ajoute:
·      Le travail du journaliste d’actualité n’est pas seulement d’énoncer un enchaînement de faits réels puisque ses omissions seules, par exemple, peuvent induire en
erreur.  Le journaliste d’actualité doit, dans un souci de vérité, déterminer quels
faits doivent être portés à notre attention pour que nous puissions « voir, au-delà des apparences, les mécanismes et les motivations réels ».
·      Cela implique discernement et compétence car il y a plus d’une façon honnête de rendre compte d’un évènement donné.  Cela ne veut pas dire que certains reportages ne soient pas plus honnêtes que d’autres et qu’un reporter ne puisse
pas aspirer à la plus grande honnêteté possible. 12
Même si le journalisme d’actualité prend des formes légèrement différentes selon la nature des supports utilisés, télévision, presse écrite, radio ou internet, les mêmes principes prévalent.
Le problème du panachage de l’information par le public
Le nombre accru de points d’accès à l’information à la disposition des nouveaux publics est un facteur de complication pour les organismes d’information dans un environnement où les supports médiatiques sont multiples.  Et il est fort probable que ce public interactif soit moins passif que par le passé.
De plus, la technologie permet à chacun de ces nouveaux consommateurs d’information de personnaliser son accès à l’actualité.  Plutôt que de faire du journal télévisé du soir de la BBC sa source principale d’information, il peut aller en ligne et créer son propre bulletin d’actualité.  Il peut ainsi par exemple choisir le journal de la BBC pour les reportages européens, ABC America pour les dossiers américains, le FT pour les questions financières, Sky pour le sport et ainsi de suite.
Cette fragmentation du public de l’information nécessitera probablement une meilleure communication entre les organismes d’information sur leurs enjeux communs en matière de principes journalistiques.  Cela ne veut pas dire qu’ils devront renoncer à leur indépendance.  Tant s’en faut.  Mais afin de protéger la crédibilité de leur marque journalistique, amenée à être de plus en plus vilipendée par le cinquième pouvoir, les organismes d’information auront intérêt à adopter une
approche plus collaborative.  Ce serait déjà une évolution significative dans la culture de notre profession.

L’ONO pourrait être un lieu de dialogue ; le fruit de nos réflexions communes sur les problèmes journalistiques ou éthiques du moment pourrait ensuite alimenter nos organisations respectives.  Dans une certaine mesure, il y a déjà une sorte d’osmose culturelle avec le secteur de l’actualité, mais des débats plus clairs et plus ciblés produiraient des résultats plus concrets.
Les enjeux éthiques des organismes d’information
Au risque de nager à contre-courant, je dois avouer avoir toujours trouvé préoccupant le manque de mobilisation des organismes d’information en faveur de nos collègues danois lors de la publication des caricatures de Mahomet.  La majorité des organismes d’information se sont en fait autocensurés et abstenus de publier les dessins.  Ils ont ainsi placé la sensibilité des critiques des caricatures avant le droit à l’information de leur public, pourtant majoritaire.  Celui-ci s’est donc vu refusé le droit de voir les images au cœur d’un débat de fond sur la liberté d’expression.  Alors que les valeurs libérales occidentales étaient en cause, le secteur de l’information a dit
« Faites nous confiance, mieux vaut ne pas vous les montrer».  C’était un acte de
censure scandaleux, visant à protéger ses propres intérêts, chose que la profession ne tolère généralement pas chez les autres.  Le journalisme n’a pas répondu à l’exigence d’impartialité de son public.
Si l’ONO avait eu un réseau étendu et rapidement mobilisable et de médiateurs de presse bien connectés entre eux, cette question fort controversée aurait peut-être pu être débattue en temps voulu.  L’issue de ces débats aurait pu trouver écho dans les divers organismes d’information.  Et peut-être aurions-nous fait preuve de plus de courage.
Les problèmes éthiques à débattre ne manquent pas :
·      Que diffuser d’une vidéo d’otages sans se faire, sans le vouloir, les colporteurs de la propagande d’une organisation terroriste ?
·      De même, que montrer d’une vidéo mettant en scène un candidat au martyre quand l’objectif du document est à la fois de glorifier le meurtrier et d’intimider les personnes se trouvant dans les régions ciblées ?
·      Si l’on examine les vidéos, apparemment inspirées par d’autres, envoyées à NBC par le tueur du Virginia Tech, et que l’on regarde sur Youtube les photos mises en lignes par l’auteur d’un massacre de lycée en Finlande, on peut difficilement ne pas souhaiter des orientations claires en ce qui concerne la rediffusion de ce genre de document.
Doit-on fermer les yeux puisque, quoiqu’on y fasse, toutes sortes de choses passent sur You Tube ?  Peut-être, mais il n’en demeure pas moins que ces questions doivent faire l’objet d’un débat de fond.  L’ONO est particulièrement bien placée pour mener ce débat.
Les sources
L’Internet est un outil important pour le journalisme.  Les médias sociaux, vecteurs d’innombrables informations, peuvent être utiles pour les organismes d’information en quête de sujets susceptibles d’interpeller le public.  Google facilite de facon considérable la recherche de personnes, d’organisations et de sources.  En règle générale, nous vivons dans un monde où il est plus difficile de se cacher, ce qui est un avantage pour le journalisme.

Parallèlement, les consommateurs d’actualité, grâce à l’internet, n’ont jamais été plus actifs et plus connectés ; il est donc plus difficile pour le journalisme de se cacher. Nous sommes de plus en plus à la merci de sources qui dissimulent leur identité en ligne, ou de groupes de pression bien connectés qui se servent de l’internet pour
faire connaître et promouvoir leur cause.
En 2004, la chaîne CBS s’est trouvée mêlée à l’affaire du rapport Killian, supposé dévoiler le passé militaire du Président Bush ; le producteur responsable de l’information avait eu, pour autant que je sache, un contact direct avec la personne à l’origine du dossier.  Mais quand les choses ont mal tourné, la source en question s’est avérée incapable de produire le document original, forçant le Président de CBS News de l’époque, Andrew Heyward, à d’embarrassantes excuses publiques :
...CBS News ne peut prouver l’authenticité des documents, ce qui est pourtant la seule règle journalistique qui puisse justifier de leur utilisation dans un reportage.  Nous n’aurions pas dû les utiliser.  C’est une erreur que nous regrettons profondément. 13
L’internet, où il est facile de se cacher et de se faire passer pour quelqu’un d’autre, est une complication de plus pour les organismes d’information.  Rien n’y garantit que les gens sont ce qu’ils prétendent être, et une personne que vous pensez connaître peut tout à fait être un imitateur.  L’internet peut être une gigantesque galerie des glaces.
Autrefois, les organismes d’information connaissaient leurs sources anonymes.  Ils décidaient de publier une information dans l’intérêt du public.  Aujourd’hui, des sites comme WikiLeaks, qui a publié de nombreux documents, dont certains ont été reconnus comme étant authentiques, se targuent de protéger l’identité de leurs sources.  La clause d’exonération de responsabilité de WikiLeaks précise :
·      L’information que vous soumettez sera nettoyée par nos soins afin qu’elle ne puisse permettre à personne de remonter techniquement jusqu’à votre programme PDF, votre installation Word, votre scanneur ou votre imprimante.
·      Nous anonymiserons également toute information vous concernant dès vos premières démarches dans le réseau WikiLeaks ; nos services ne vous connaîtront pas, et ne conserveront aucune information sur votre visite.
·      Nous n’apporterons jamais notre coopération à quiconque cherchera à vous identifier en tant que source.  Nous sommes en effet légalement tenus de ne pas le faire, et toute enquête dont vous seriez l’objet pour avoir été l’une de nos sources
est considérée comme un délit dans divers pays, et est passible de poursuites. 14
C’est là une excellente façon de contourner la législation relative aux procédures d’alerte, de plus en plus utilisée pour empêcher les fonctionnaires de divulguer des documents officiels aux organismes d’information.  Cependant, cette clause d’exonération peut être problématique pour les organismes d’information si
l’authenticité d’un document sensible est contestée après sa diffusion.  CBS avait au moins au départ un contact direct avec sa source.


Le porte-voix des groupes de pression
Avec l’internet, les organismes d’information risquent encore plus de servir de porte- voix à des groupes de pression externes, voire à un jeune auteur de canular.  Le problème est d’autant plus aigu que l’actualité ne s’arrête jamais, et qu’une nouvelle a de grandes chances d’avoir été publiée et diffusée avant la détection de toute fraude.
Lors du conflit au Sri Lanka, notamment en 2009-2009 où les affrontements étaient particulièrement intenses, un certain nombre de vidéos ont été diffusées sur la Toile par des sympathisants tamouls.  Quand ils sont authentiques, de tels documents présentent un intérêt journalistique : certaines images montraient notamment le bombardement d’un hôpital, d’autres des corps de femmes membres des Tigres tamouls profanés par des soldats semblant appartenir à l’armée sri-lankaise ; la plus notoire des vidéos montraient des personnes nues, les mains attachées, exécutées par des soldats sri-lankais.  Aucune de ses vidéos n’ont cependant pu être authentifiées de façon indépendante.  Elles n’étaient pas datées, et le lieu où les images ont été filmées était inconnu.
En Australie, certaines de ces séquences ont été diffusées, provocant une vague de plaintes provenant des partisans du gouvernement sri-lankais.  En août 2009, la diffusion par la télévision britannique d’images de soldats sri-lankais tuant des Tamouls a donné lieu à une enquête du Rapporteur spécial de l’ONU sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires et arbitraires.  Il annonçait en janvier : « J’en conclus que la vidéo est authentique »15.  Le porte-parole du Sri Lanka auprès de l’ONU, Palitha Kohana, rétorqua que les autorités sri-lankaises avaient elles aussi fait appel à des experts qui considéraient de façon catégorique que la vidéo était un faux.16
La communauté tamoule comme le gouvernement du Sri Lanka aiment utiliser les organismes d’information pour faire passer leur message.  J’ai constaté au cours de l’année 2009 que les sympathisants tamouls faisaient circuler des documents sur internet juste avant les visites en Australie de représentants officiels du gouvernement sri-lankais.  J’imagine qu’il en était de même dans d’autres pays. Certains de ces documents provenaient d’une chaîne de télévision communautaire tamoule au Canada, qui elle-même les téléchargeait de sites internet tamouls.  Que les groupes de pression cherchent à faire relayer leurs points de vue par les médias n’a certes rien de nouveau, mais il est de plus en plus difficile pour un organisme d’information de rejeter des documents vidéos qui paraissent authentiques.
Or, à l’ère de la manipulation numérique, les images sont de plus en plus contestées. Jay Rosen, dans un blogue intitulé Audience Atomization Overcome (« Vaincre
l’atomisation du public »), soutient que l’internet a affaibli l’autorité de la presse :
… l’un des facteurs de changement les plus importants dans notre monde est qu’il est devenu de moins en moins cher pour des personnes idéologiquement proches de se localiser les unes les autres, de partager des informations, d’échanger des impressions et de prendre conscience de leur nombre.  Ils peuvent décider d’emblée que la
« sphère de débats légitimes » telle que la définissent les journalistes ne s’applique pas
à eux.  Autrefois, ce type de sentiments n’aboutissaient  à rien.  Maintenant, il se forme, se solidifie et s’exprime en ligne. 17
Il faudra cependant du temps pour voir si, effectivement, ces groupes affaibliront l’autorité de la presse.  Il est possible qu’en fin de compte ils la renforcent.  Tout dépendra de la qualité des rapports entre les organismes d’information et les médias sociaux.  Il est possible que ces sites qui débattent en ligne de certains sujets élargissent l’éventail des questions traitées par les organismes d’information.  Il est facile, face au pouvoir de la Toile, de perdre de vue les thèmes qui y sont débattus. Le militantisme n’a rien de nouveau.  Les manifestants anti-G8, les opposants à la chasse à la baleine ou les écologistes ont déjà fait la une de l’actualité en organisant des activités publiques médiatiques.  La différence, dans l’environnement cybernétique, est que l’organisme d’information peut voir les manifestants se mobiliser en ligne avant qu’ils ne descendent dans la rue.  Si leur cause présente un intérêt journalistique, elle peut être relayée par les médias traditionnels plus tôt qu’elle ne l’aurait été dans l’ère pré-numérique.  Dans ce sens, nous assistons à une accélération des choses.
Les imitations
Les choses se compliquent pour les journalistes et les médiateurs de presse lorsque des groupes d’internautes chevronnés pastichent les sites internet d’institutions connues pour s’arroger une crédibilité de facto.
Un journaliste peut facilement se munir d’un exemplaire du rapport Goldstone sur Google.  Il suffit de taper  http://www.goldstonereport.org.  Pour le non-averti survolant rapidement l’écran, le site peut faire l’illusion.  La page d’accueil précise que le site a été mandaté par le Conseil des Droits de l’homme de l’ONU auquel il a été présenté et dont il a reçu l’aval.  Les éléments visuels associés à l’ONU y sont présents.  C’est en ouvrant le lien Qui sommes-nous ? qu’apparaît la première indication qu’il ne s’agit pas d’un site officiel de l’ONU.  Il y est dit :
Ce site a été mis en place par un groupe de blogueurs qui suivent l’actualité et les rapports des ONG sur l’opération israélienne Plomb durci, ainsi que l’historique de la Commission Goldstone.  Nous avons joint nos efforts pour proposer une analyse probante, empirique et approfondie de la Commission Goldstone.18
Si Goldstonereport.org peut être un point de départ utile pour les journalistes à la recherche de sources, ce n’est pas le site du rapport Goldstone.  Et la confusion est facile.
Les journalistes et les médiateurs de presse d’aujourd’hui doivent être dotés, en plus des techniques de recherche habituelles, de compétences spécifiques à la lecture des contenus internet.  Par ailleurs, les médiateurs de presse auraient intérêt à partager les renseignements qu’ils ont cumulés dans le cadre de leurs activités sur les sites potentiellement problématiques.  Une simple liste sur une page internet où figureraient toutes les imitations crédibles suffirait.
Autre problème, bien plus ancré encore dans les organismes d’informations, celui des pigistes aux intentions moins qu’impartiales.  Ces journalistes engagés sont décrits ainsi dans Wikipedia :
… une forme de journalisme qui adopte, de façon intentionnelle et transparente, un point de vue qui n’est pas objectif, généralement à des fins sociales ou politiques. Parce qu’il cherche à se baser sur des faits, il est à distinguer de la propagande.
Il se distingue également des cas de parti pris et de manque d’objectivité des médias qui se veulent être – ou se targuent d’être – objectifs ou neutres.19
Je saisis mal la différence entre un journaliste engagé et un journaliste habile s’occupant de relations publiques pour le compte de l’industrie du charbon, du pétrole ou du tabac.  Le journalisme engagé est une version « politiquement correcte »  des relations publiques.  Les Journalistes de Paix, par exemples, se décrivent comme utilisant :

…l’analyse et la transformation des conflits pour repenser les concepts d’impartialité, de bonne foi et d’exactitude dans le traitement de l’actualité.  L’approche du journalisme de paix propose une feuille de route nouvelle qui suit les liens entre les journalistes, leurs sources, les évènements qu’ils relatent et les conséquences de leur reportage – l’éthique du journalisme d’intervention.20
Il y a une différence entre compte rendu des faits et intervention, comme il y a une différence entre reportage impartial et reportage partisan, même quand le parti pris est avoué.  Il n’appartient pas au journalisme professionnel de décider qui sont les bons et qui sont les méchants, et de prendre fait et cause pour ceux que l’on préfère.
Un principe fondamental
Un traitement professionnel de l’actualité n’omet de mentionner les points de vue qui dérangent.  Il propose un éventail de perspectives à partir desquels le public peut se faire sa propre opinion.
Onora O'Neill, philosophe et spécialiste des questions d’éthique, précise dans sa communication License to Deceive (« Le droit de tromper ») qu’une presse libre peut et doit être une presse responsable :
L’obligation de rendre compte de son action n’implique pas la censure : elle fait obstacle à la censure.  En dehors des quelques exigences de protection de la sécurité publique, et de la décence et peut-être de la vie privée, personne ne devrait dicter ce qui peut être publié.  Mais la liberté de la presse ne s’accompagne pas du droit de tromper.  Tout comme Mill, nous souhaitons que la presse soit libre de rechercher la vérité et de remettre en question les points de vue généralement acceptés.  Mais la recherche de la vérité, ou (plus modestement) le souci de ne pas induire en erreur nécessite des disciplines et des règles internes afin qu’un article puisse être évalué et critiqué par ses lecteurs. 21 -
Si l’ONO est à la recherche d’un principe directeur, il est difficile de faire mieux que celui-là.
Les dangers de la vitesse
Indépendamment des questions d’authentification, la rapidité du domaine numérique de l’information a radicalement transformé le traitement de l’actualité.  Nous sommes maintenant dans une situation où l’on publie d’abord et rectifie ensuite.
De plus en plus, les organismes d’information se servent de documents provenant des sites de médias sociaux pour récupérer les minutes perdues.  C’est ce qu’a fait CNNI dans les premières heures qui ont suivi le tremblement de terre de Qunhai dans l’ouest de la Chine.  Pendant que les reporters de CNNI se rendaient sur place, les présentateurs lisaient les nouvelles recueillies sur Twitter, s’assurant bien de préciser qu’ils n’étaient « pas en mesure de vérifier ces informations ».
Mais celle  ci sonnaient vrai, et on peut comprendre pourquoi les organismes d’information peuvent décider de diffuser ce genre de matériel.  Cette pratique a toutefois des limites.
Si les organismes d’information prennent l’habitude de diffuser une actualité qu’ils ne sont « pas en mesure de vérifier », ils risquent à terme d’être perçus comme étant moins indépendants, et se confondraient davantage avec le cinquième pouvoir.  Si la crédibilité est la carte de visite du journalisme, l’incapacité à vérifier l’information diffusée est une dérive dangereuse.
Si l’actualité est autre, si ce n’est pas sur le lieu d’une catastrophe naturelle que les organismes d’information essaient de se rendre, mais sur une zone de guerre dont l’accès est interdit aux médias, la fiabilité des médias sociaux est beaucoup plus incertaine.  Comme l’a montré l’expérience sri-lankaise, les deux parties au conflit
ont utilisé l’internet à des fins de propagande, et les médias sociaux proposaient des
liens vers des vidéos non identifiées mais susceptibles de présenter un intérêt journalistique.
Le risque évident pour les organismes d’information n’est pas que n’importe quel individu muni d’un ordinateur ou d’un téléphone portable se transforme en éditeur en ligne, mais plutôt que les organismes d’information deviennent malgré eux les porte- voix planétaires de groupes d’intérêt et d’individus relativement réduits en nombre et peu représentatifs.  L’internet et les réseaux sociaux donnent peut-être les mêmes chances à tous, mais il est facile pour un groupe insignifiant de paraître beaucoup plus important que la somme de ses parties.  Cette égalité bien construite mais risquée est un piège potentiel pour les organismes d’information qui peuvent se trouver entraînés malgré eux dans des situations compromettantes.
À mesure que s’intensifient leurs échanges en ligne, les organismes d’information doivent améliorer leur dispositif de gestion des risques.  On peut très bien imaginer des groupes terroristes habiles se servir des médias sociaux pour assembler une foule sur un lieu d’attaque prévue.  Si les médias traditionnels relayaient ce genre d’annonce, notre culpabilité potentielle pourrait avoir des effets dévastateurs sur notre crédibilité.  Il a été d’ailleurs suggéré que les attentats de Bombay avaient fait
intervenir des tactiques de ce type, mais je n’ai pas réussi à vérifier cette information.
Plus les organismes d’information sont en prise directe avec les activités des médias sociaux, plus ils sont à l’écoute des divers publics consommateurs d’information, plus ils leur sont connectés, et plus ils deviennent vulnérables à différents niveaux.  Non seulement existe-t-il des problèmes sérieux d’authentification des sources et de vérification des documents, mais le recueil de l’information suit l’évènement de plus en plus près.  Le public assiste désormais avec nous aux conférences de presse,
aux cérémonies d’investiture des présidents et parfois même aux procès.  Il n’y a plus de délai entre l’actualité et le compte-rendu de l’actualité.
La fonction de médiateur de presse dans un environnement numérique
Un médiateur de presse doit travailler séparément et indépendamment de l’équipe de rédaction, et ne doit en aucun cas être tenu responsable d’une rubrique d’actualité.  Cependant, le caractère instantané du cycle de production de
l’information fait que les rôles du responsable des normes éditoriales et du médiateur de presse se chevauchent parfois.  L’examen postproduction du matériel diffusé
reste le rôle premier du médiateur de presse, mais il peut également contribuer à l’élaboration de procédures journalistiques crédibles et défendables qui puissent aider une équipe de rédaction toujours à court de temps à parer aux pièges de
l’espace cybernétique.  Ce serait pour leur organisation une stratégie efficace de gestion des risques.
Avant la production, le médiateur de presse pourrait par exemple :
·      aider à la mise en place de procédures destinées à vérifier l’exactitude des informations recueilles sur l’internet.
·      aider à la mise en place de procédures destinées à vérifier les sources aussi bien dans le monde réel que dans l’espace cybernétique.

·      aider à la mise en place de procédures que les organismes d’information pourraient adopter pour alerter les téléspectateurs ou les lecteurs du statut du matériel qui leur est montré – notamment lorsqu’il est « impossible de vérifier l’information ».
·      aider à la mise en place de procédures permettant d’établir l’impact émotionnel du matériel diffusé, comme dans le cas d’images d’otages par exemple.
Cette liste n’est pas exhaustive.  Le médiateur de presse peut ainsi en toute indépendance continuer d’examiner le traitement de l’actualité dans son organisation, tout en aidant celle-ci à mettre en place des procédures susceptibles de renforcer la qualité journalistique et de minimiser les risques.  Il est essentiel qu’un médiateur de presse conserve son indépendance par rapport à l’organisme d’information dont il dépend.  A cet égard, il est important que le médiateur ne soit pas consulté sur la production de l’information au quotidien.
Le médiateur de presse, dans un environnement numérique, doit être de plus en plus flexible et polyvalent.  Il joue le rôle d’un arbitre interne et indépendant qui examine les griefs exprimés par les membres du public.  Il peut également être un critique indépendant, et se poser en intermédiaire entre l’organisme d’information et son public.  Nous sommes en effet flexibles et polyvalents.
Le double regard du médiateur de presse
Le rôle traditionnel du médiateur de presse est d’examiner et d’analyser les informations une fois qu’elle ont été publiées.  Mais c’est précisément par ce travail que le médiateur de presse est sensibilisé aux enjeux éthiques qui interpellent le public à un moment donné ainsi qu’aux embûches qui parsèment l’espace cybernétique pour les organismes d’information.  Il doit donc avoir un regard double :
·      vers l’intérieur de l’organisation, au nom du consommateur, afin de déterminer si les normes en vigueur ont été respectées conformément aux pratique et publications de l’organisation ;
·      vers l’extérieur, au nom de l’organisation, pour anticiper de nouveaux enjeux journalistiques potentiels.
Son rôle, dans la gestion des risques de son organisation, est donc de lancer une alerte précoce.  Dans les deux cas, il a tout intérêt à être en contact étroit avec ses collègues travaillant dans d’autres organisations.
Le médiateur idéal de demain devra donc:
·     Comprendre les principes du journalisme
·     Bien saisir la façon dont ces principes s’appliquent dans la profession
·      Comprendre la capacité et les limites du cycle de production de l’information
·      Être capable d’analyser les textes, les vidéos, les documents audio et les données diffusées sur la toile.
·      Avoir une bonne compréhension de l’internet et une bonne maîtrise des techniques de recherche en ligne.
·     Être capable d’informer le public sur le journalisme

·      Être capable d’établir des contacts avec d’autres médiateurs de presse, et éventuellement de discuter avec eux de questions parfois confidentielles et sensibles
·      Être capable de conceptualiser l’application des considérations éthiques aux pratiques de production
·      Avoir la capacité de travailler indépendamment et de faire preuve de discernement.
L’avenir de l’ONO
En tant que conciliateur entre son organisme d’information et ses différents publics, le médiateur de presse travaille de façon indépendante.  En tant que membre d’une communauté internationale de médiateurs de presse qui partagent leurs connaissances et en font bénéficier en retour leur propre organisation, il travaille en équipe.  De même, l’Organisation of News Ombudsman (ou ONO, Organisation des médiateurs de presse) doit intensifier ses activités tant au niveau interne, au sein de la profession, qu’au niveau externe, en rehaussant son profil, et ce dans l’intérêt des médiateurs de presse, du journalisme et du public.  L’ONO devrait être :
·     Un laboratoire d’idées sur les principes et l’éthique journalistiques
·      Un espace de découverte permettant au public de s’informer sur les principes et la critique du journalisme professionnel
·      Un espace de partage et de dialogue où les médiateurs de presse peuvent échanger en toute confidentialité
Conclusion
De telles structures permettraient de mettre en place deux sphères d’influence interconnectées qui à leur tour pourraient se multiplier et de se connecter avec d’autres médiateurs, d’autres organismes d’information, d’autres publics et d’autres regroupements et organisations intéressés.
Le médiateur de presse identifie les sujets à polémique (à partir des plaintes qu’il a reçues ou de ses observations personnelles ) puis s’attache à en comprendre les mécanismes ; il peut en discuter alors avec d’autres médiateurs et transmettre l’information ainsi acquise à l’organisme qui les emploie et éventuellement élaborer de nouvelles directives susceptibles d’aider l’équipe de rédaction.
L’ONO, grâce à ces membres, est au fait des enjeux éthiques au cœur du journalisme d’actualité d’aujourd’hui ; elle peut développer de nouvelles initiatives pour favoriser le dialogue dans la sphère publique tout en éduquant les publics consommateurs d’information sur les normes journalistiques qu’ils sont en droit d’exiger et en les encourageant à échanger de façon constructive avec les
organismes d’information.  Enfin, l’ONO pourrait nous transmettre, à nous les médiateurs, l’information qu’elle reçoit de la communauté dans son ensemble.
Cette approche collaborative permettra à l’ONO d’agir de façon stratégique et intelligente et de devenir la voix collective de la profession, celle d’un porte-parole indépendant sur le traitement de l’actualité, et celle d’un arbitre public entre le secteur de l’information et les divers publics nouveaux auxquels il s’adresse.
Theodore Zeldin, dans sa magnifique Histoire intime de l’humanité, prédit que les dirigeants du monde nouveau ne ressembleront en rien à ceux de l’ancien qui montaient au créneau, menaient des armées au combat et s’appropriaient des territoires.  Les dirigeants du monde nouveau seront au contraire plus transparents, et leur pouvoir dépendra de leur capacité à se connecter et à tirer parti des liens qu’ils auront tissés avec les personnes et les organisations qui les entourent, et à continuer, par ces personnes, à accroître leur influence de manière exponentielle.
L’ONO est parfaitement placée pour remplir ce rôle fédérateur, proactif, réactif, individuel et collectif.  Pour les médiateurs de presse de l’environnement numérique, le monde promet de devenir de plus en plus intéressant.